Laquelle des trois ? (The Farmer’s Wife) – d’Alfred Hitchcock – 1928
Voici l’une des rares incursions d’Hitchcock dans la pure comédie. Comme souvent à cette époque, le jeune cinéaste adapte une pièce de théâtre qui a connu un grand succès à Londres. Le film est une commande, mais Hitchcock ne prend pas le travail à la légère. Désormais pleinement maître du langage cinématographique, il s’attache à transformer cette pièce paraît-il excessivement bavarde en une œuvre visuelle d’une fluidité parfaite, et débarrassé au maximum des intertitres de rigueur dans le muet.
Effectivement, le film possède peu d’intertitres, alors même que les personnages sont particulièrement bavards. C’est le principal tour de force de cette comédie certes pas très originale, mais d’une réjouissante légèreté, avec cette petite pointe d’amoralité qu’Hitchcock aime distiller dans ses films : pas sûr que les féministes apprécient beaucoup la peinture qu’il fait des femmes et de leur place dans la société…
Le film raconte l’histoire d’un riche fermier dont la femme vient de mourir, et dont la fille se marie. Désormais seul avec son employé de ferme et sa servante, il dresse une liste des prétendantes qu’il pourrait épouser en seconde noce… et part faire ses courses. Pas franchement romantique, ni regardant, ce fermier pourtant séduisant derrière ses grandes moustaches part déclarer sa flamme aux quatre vieilles filles qu’il a repérées (oui, il y en a quatre, ce qui n’explique pas le titre français).
Mais toutes le renvoient dans ses buts, ce qui a pour effet de l’irriter franchement : pas terrible pour son image ou pour son ego. Et dire que pendant tout ce temps, alors qu’il courait après la vieille rombière, la perle absolue était sous ses yeux : sa gouvernante, charmante et dévouée, bonne femme d’intérieur et oreille attentive (la femme idéale, quoi…). Il lui faudra bien du temps pour la regarder autrement que comme une serveuse, alors que le spectateur a depuis la toute première minute compris que son bonheur était là, dans le visage pur et la délicate silhouette de Lillian Hall-Davis (qu’Hitchcock avait déjà dirigée dans The Ring).
Charmant et drôle, le film donne le sentiment d’un tournage particulièrement joyeux, avec des comédiens qui, à l’exception de la belle Lillian, jouent tous de manière légèrement (ou franchement) excessive. Le fermier lui-même (Jameson Thomas) a la moustache qui frétille à longueur de film ; l’une de ses conquêtes part à la renverse dans de grands cris effarouchés dès qu’il lui propose le bonheur conjugal ; la quatrième est une tenancière de bar vulgaire à la gueule pas possible…
Mention spéciale à Gordon Harker, dans le rôle de l’ouvrier de ferme. Déjà vu dans The Ring, cet acteur grimaçant joue merveilleusement bien les idiots sans savoir vivre. Sa prestation dans The Farmer’s Wife n’est pas très originale, mais elle est franchement réjouissante.