La Tour des ambitieux (Executive Suite) – de Robert Wise – 1954
Robert Wise est un cinéaste souvent ambitieux, et toujours appliqué. Le voilà qui nous plonge dans les coulisses d’un grand groupe industriel, côté grands pontes. Les rouages d’une grande entreprise capitaliste, les petits accords et combines, les ambitions dévorantes, la recherche du profit au prix de son âme parfois… Il y a dans La Tour des ambitieux quelque chose qui annonce le fameux Margin Call de JC Chandor. Comparer ces deux films n’est pas anodin.
Cela met en évidence à la fois l’exceptionnelle réussite du film de Chandor, et l’évolution du regard hollywoodien (en tout cas dans ce qu’Hollywood fait de mieux). En 1954, le cynisme est déjà mis en scène frontalement, et le monde de l’entreprise est déjà une jungle très cruelle, dont tout le monde ne sort pas indemne. Mais le film de Wise, malgré sa complexité, simplifie tout de même assez radicalement le propos en le résumant à une seule opposition : la seule recherche du profit, contre l’amour du travail bien fait.
C’est un peu court tout de même pour être totalement convainquant, mais c’est autour de cette opposition que tourne toute l’intrigue, l’histoire d’une difficile succession après la mort subite du président d’une grande entreprise, qui n’avait pas officiellement désigné son dauphin. D’un côté, le clan du mal (l’ultra capitalisme) incarné par l’homme aux diagrammes, Fredric March, dont le personnage n’a aucune vie privée connue. De l’autre, le clan du bien (un créateur), un homme de terrain proche des ouvriers et disponible pour sa famille joué par William Holden.
Entre les deux, une demi-douzaine de personnages qui hésitent, confrontés à leurs propres questionnements, hésitant entre soumission et probité. Et quel casting ! Barbara Stanwyck, Louis Calhern, Walter Pidgeon, Paul Douglas, Dean Jagger, mais aussi June Allyson, Nina Foch et Shelley Winters dans des rôles d’amoureuses qui n’existent que pour leurs hommes… Vraiment, on a fait démonstration plus légère.
Mais Wise est un cinéaste appliqué, donc, et parfois même très inspiré. L’utilisation de la caméra subjective dans la première partie, qui adopte le point de vue du PDG jusqu’à sa mort, est au moins originale à défaut d’être réellement convaincante (jamais été très fan de la vision subjective). L’absence de musique, y compris dans le générique, est plus originale encore, et nettement plus percutante, comme ces cloches qui sonnent régulièrement et assourdissent l’action.
Et puis, malgré toutes ses limites et facilités, le scénario est d’une efficacité imparable, lent crescendo menant à la réunion finale qui cristallise en un unique débat les deux points de vue du film, jusqu’au plaidoyer d’un William Holden qui endosse subitement les frusques d’un personnage à la Capra. C’est le tout premier scénario signé Ernest Lehman, dont la filmographie comptera quelques monuments du cinéma comme Sabrina, La Mort aux trousses ou Le Grand Chantage sur un thème pas si éloigné.