Tempête sur l’Asie (Potomok Chingis-Khana) – de Vsevolod Poudovkine – 1928
Son visage et son regard sont opaques, presque imperméables, mais on n’est pas prêt d’oublier la prestation de Valery Inkijinoff, extraordinaire bloc de fureur retenue, qui habite ce film fascinant de Poudovkine, sans doute le chef d’œuvre du (grand) réalisateur de La Fin de Saint-Petersbourg. Dans le rôle d’un trappeur modeste, venu des steppes les plus reculées de Mongolie, que les Anglais voudront placer à la tête du pays lorsqu’ils le prendront pour « le descendant de Genghis Khan » (c’est la traduction littérale du titre original), Inkishanov symbolise tout le peuple mongol opprimé de ces années 1920.
Avec Tempête sur l’Asie, Poudovkine a bel et bien signé un film symbolique. Le destin de ce jeune trappeur semble difficile à croire sur le papier ; mais à l’écran, il représente le destin d’un pays à la botte des Anglais (représentés d’une manière particulièrement odieuse), humilié et presque anéanti, jusqu’à ce que la fierté du peuple et sa volonté de rester libre ne finisse par entraîner une réaction qu’il semblait incapable d’avoir. C’est vrai du peuple mongol, et c’est vrai du personnage principal qui, après une première réaction violente (pour s’être fait volé une magnifique peau de renard), et après un bref passage au sein d’un groupe de résistant, se laisse juger, se laisse exécuter, ne doit la vie sauve qu’à ses ennemis (et à un concours de circonstance incroyable), et se laisse manipuler comme un objet, jusqu’à être travesti en « respectable » occidental… Mais derrière le masque de l’acteur, on devine la rage qui s’emmagasine. Et lorsqu’elle se libère, enfin, c’est une véritable explosion de colère et de rancœur, que rien ni personne ne peut arrêter. Le trappeur détruit tout autour de lui, la réaction du peuple mongol est lancée…
Tempête sur l’Asie n’a rien d’un documentaire, mais il décrit pourtant magnifiquement bien l’état d’esprit d’un peuple, rongé par l’humiliation et avide de liberté. Tourné dans d’impressionnants décors naturels (des steppes infinies et glaçantes aux verdoyantes montagnes, en passant par les villages de trappeurs très « westerniennes »), ce film rappelle qu’il n’y a pas qu’Eisenstein dans le cinéma muet russe. Loin de là.
Le monde entier a découvert Valery Inkijinoff grâce à ce film. L’acteur connaîtra à partir du début des années 30, et jusqu’à sa mort en 1973, une belle carrière internationale, apparaissant notamment dans Les Pirates du Rail et Les Pétroleuses de Christian-Jacque, Michel Strogoff de Carmine Gallone, Le Tigre du Bengale et Le Tombeau Hindou de Fritz Lang, La Tête d’un homme de Julien Duvivier, ou encore Les Tribulations d’un Chinois en Chine : le fameux Mr. Goh, c’était lui.