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Archive pour la catégorie '* Polars asiatiques'

Are you lonesome tonight ? (Re dai wang shi) – de Wen Shipei – 2021

Posté : 11 septembre, 2024 @ 8:00 dans * Polars asiatiques, 2020-2029, WEN Shipei | Pas de commentaires »

Are you lonesome tonight

Une nuit, un jeune homme un peu en retard renverse un homme et le laisse pour mort. Pris de remords, il cherche à se rapprocher de sa veuve… L’intrigue de ce film noir made in China n’est pas révolutionnaire, mais elle sert de base à un film étonnant, audacieux, et même hypnotique.

Le réalisateur chinois Wen Shipei (dont c’est le premier long métrage) joue avec les perceptions, les sensations, pour un film envoûtant autour de deux personnages comme emmurés dans leurs solitudes respectives, solitudes renforcées avec beaucoup de beauté par les évocations de la chanson du King, qui donne son titre au film.

L’esprit, ou plutôt l’aura qui baigne ce film a de quoi séduire, évoquant à sa manière l’effet inoubliable produit par les films de Wong Kar-wai à l’époque de In the mood for love. Mais ça, c’est pour la première partie du film.

La relation improbable entre la veuve, entre deux âges, et le jeune chauffard dont elle ignore qu’il a tué son mari, est assez fascinante. Mais elle est bientôt éclipsée par une révélation certes inattendue (attention, je spoile… l’écrasé a deux balles dans la peau), mais qui fait l’effet d’une douche froide.

Quoi ! A ce double portrait de deux êtres malades et désespérément seuls (solitude renforcée par la société, comme l’illustre cette tristement et ridiculement sinistre scène des condoléances des voisines), le réalisateur et scénariste préfère une intrigue policière banale et décevante ? L’histoire d’un sac de fric qui devient la pierre angulaire du récit…

Formellement, Wen Shipei n’abdique pas vraiment dans ses ambitions, jusqu’à une chasse à l’homme tendue et originale dans un hangar tout en box et rideaux. Mais cette stylisation de l’action ne fait plus qu’habiller une intrigue qui perdu de son attrait.

En changeant de cap à mi-film, Wen Shipei a perdu le fil de son récit immersif, transformant un magnifique mélodrame en un habile polar existentiel. C’est bien, mais ça promettait d’être tellement mieux que bien.

Va d’un pas léger / Marchez joyeusement (Hogaraka ni ayume) – de Yasujiro Ozu – 1930

Posté : 28 octobre, 2023 @ 8:00 dans * Polars asiatiques, 1930-1939, FILMS MUETS, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Va d'un pas léger

Il y a du linge accroché entre les maisons, et c’est la preuve la plus flagrante que l’on est dans un film d’Ozu. Dès ses années de jeunesse, la signature du cinéaste est déjà bien là, dans sa manière de filmer les absences, et les objets du quotidien : une théière, une porte fermée, un poster sur le mur, un rideau tiré… Les objets ont une âme chez Ozu.

Ou plutôt : Ozu les filme comme s’il y captait l’âme des protagonistes, ce qui a quand même de la gueule. Va d’un pas léger (titre que l’on comprend dans les dernières – belles – minutes du film) est donc très manifestement un film d’Ozu. Pourtant, il est difficile d’y retrouver les thèmes, l’approche esthétique et le rythme qui marqueront ses chefs d’œuvre.

Dans ce film de jeunesse, on ne peut pas dire qu’Ozu est déjà totalement Ozu. Il flirte avec le polar, genre qu’il abordera plus frontalement encore quelques mois plus tard avec l’excellent L’Epouse de la nuit, adoptant les codes visuels du film de genre, mais se focalisant sur la rédemption par amour d’un anti-héros très touchant.

Un petit caïd, chef d’un gang de petits voleurs de rue, dont la vie bascule lorsqu’il croise la route d’une jeune employée du bureau aussi paumée que lui, dont il tombe raide dingue. Au point de renoncer à la vie facile de truand pour se trouver un job assez peu glorieux mais honnête. Et là, ce sont des thèmes que l’on retrouve souvent dans le Ozu des premières années qui apparaissent : les difficultés de la jeunesse, l’humiliation, le sort des femmes…

C’est Ozu sans être totalement Ozu, mais c’est déjà formidable : cadrage, timing, sens du détail, profondeur des personnages… Ce faux film noir est passionnant, et dévoile en passant une facette légère et même très drôle d’Ozu. Un aspect de son talent qui est rarement mis en valeur à ce point.

Le Détroit de la faim (Kiga jaikyô) – de Tomu Uchida – 1965

Posté : 17 mars, 2023 @ 8:00 dans * Polars asiatiques, 1960-1969, UCHIDA Tomu | Pas de commentaires »

Le Détroit de la faim

Grâce soit rendu à Carlotta, l’éditeur vidéo qui met en lumière ce film pas si obscur – un magazine nippon l’a classé à la troisième place des plus grands films japonais de tous les temps, devant Voyage à Tokyo – mais pour le moins méconnu de ce côté-ci du monde. Tomu Uchida m’avait en tout cas totalement échappé jusqu’à présent. Le gars a pourtant une carrière impressionnante, commencée au temps du muet, et qui touchait à sa fin lorsqu’il a signé ce film noir, saga monumentale qui, sous des attraits de film de genre, nous plonge dans les années de la reconstruction.

Le film commence en 1947. Le traumatisme de la guerre n’est jamais évoqué frontalement, ou lourdement, mais il est omniprésent dans le décor, et dans la vie des personnages. La misère est omniprésente, le chômage, les dettes, la présence américaine, les terrains vagues, les coupures d’électricité, le vagabondage, l’insécurité, l’inconstance sociale… Voilà pour la trame de fond. Alors non, on ne voit rien de la guerre, mais elle introduit chacun des personnages à sa manière.

Ce qui frappe dans ce film, en plus de la puissance picturale et du grain profond du noir et blanc, c’est justement l’importance donnée à chacun des personnages, dont on adopte successivement les points de vue, avec des ruptures parfois violentes et radicales, qui chacune renforce le drame qui se noue. Avec même une ellipse radicale et belle figurée par un alignement de statuettes…

Les choses inanimées sont souvent porteuses de symboles, de souvenirs, voire même de toute une vie. A ce propos, y a-t-il un autre film dans l’histoire du cinéma où on voit une jeune femme jouer longuement avec l’ongle de son amour disparu, dans une scène qui plus est lourde en évocation sexuelle ? Je parierais que non…

D’emblée, le film s’inscrit dans un contexte historique fort : celui d’un typhon qui a ravagé une partie du Japon, causant le naufrage d’un ferry et la mort de centaines de passagers. Mais sur la plage, les corps de deux inconnus sont retrouvés, qui ne correspondent pas à la liste des passagers. Des clandestins ? Un flic malade et en bout de course est persuadé que non, et se lance à la poursuite d’un troisième homme, dont il est persuadé qu’il est responsable d’un autre crime.

L’homme est-il coupable ? Il est en fuite en tout cas, voyage autant physique qu’intérieur qui lui fait traverser un pays exsangue, côtoyer la mort de la manière la plus intime qui soit (l’image saisissante de cette vieille aveugle invoquant les esprits)… La mort est omniprésente dans le film, y compris dans la belle rencontre entre le fuyard et la jeune prostituée, cœur vibrant du film.

Deux scènes clés se répondent, à dix ans de distance. Deux scènes très similaires dans la construction : une étreinte passionnée entre le même homme et la même femme. De la première violente et angoissante née un grand moment de bonheur. De la seconde, qui a le désespoir de la passion retrouvée, ne sort que mort et désolation… Dans les deux cas, Tomu Uchida nous prend par surprise, déclenchant des torrents d’émotion.

  • Blu ray chez Carlotta

Le Lac aux oies sauvages (Nán Fāng Chē Zhàn De Jù Huì) – de Diao Yinan – 2019

Posté : 27 septembre, 2021 @ 8:00 dans * Polars asiatiques, 2010-2019, DIAO Yi'nan | Pas de commentaires »

Le Lac aux oies sauvages

Sur le papier, un film noir que n’aurait pas renié Robert Mitchum : l’histoire d’un petit truand sans grande envergure transformé en une nuit en fugitif recherché par toutes les polices après une réunion qui tourne mal. A l’écran, un grand polar chinois à l’esthétisme hyper léché, dont chaque plan est extrêmement cadré.

Un esthétisme presque trop appuyé dans la première bobine (oui, je parle encore en bobines, même à l’ère du numérique), où les cadrages sont tellement construits, tellement parfaits, que le film frôle l’abstraction, un peu comme si on assistait au passage en revue d’un story-board animé. Tellement concentré sur ses cadres, Diao Yinan en oublierait presque de laisser de l’espace à ses acteurs pour exister.

C’est en tout cas l’impression qui se dégage dans les premières minutes, visuellement splendides mais qui laissent dubitatif. Le temps qu’on se laisse happer par cette plongée aux enfers fascinante et angoissante à la fois. Il faut aller le chercher, le naturel, se donner la peine, pas bien pénible d’ailleurs, de traverser les images si belles pour pénétrer dans ce polar moite, violent et glauque. Mais quand on y est entré, c’est une virée tout sauf paisible et confortable qui nous attend.

Quelle est cette ville que filme Diao Yinan ? Une sorte d’abstraction, là aussi, un condensé de bas-fonds baignés par la pluie et la chaleur, succession d’allées obscures, de boyaux recouverts de tuyauteries, d’immeubles déglingués et de restaurants sans charme. Du film noir, on serait passé à Blade Runner, qui lui-même s’inspirait du film noir. Tout ça se tient, Diao Yinan a des références, et une manière bien affirmée de les digérer et de les recracher à l’écran.

Mouvement perpétuel, atmosphères appuyées, utilisation maligne des flash-backs, tragédie en marche… et titre trompeur. Le Lac aux oies sauvages est un grand film désenchanté, un thriller où le lac en question n’est qu’un lieu de débauche et de danger, et où les oies sauvages évoquées ne sont aperçues qu’à l’occasion d’un plan furtif, images lointaines et pixelisés d’une vision capturée au zoom. Comme un espoir si vague qu’il ne peut même pas se fixer à l’écran. Noir, noir. Superbe, mais noir.

Une pluie sans fin (Bàoxuě jiāng zhì) – de Dong Yue – 2017

Posté : 7 juillet, 2020 @ 8:00 dans * Polars asiatiques, 2010-2019, DONG Yue | Pas de commentaires »

Une pluie sans fin

Un agent de sécurité d’une usine en fin de vie est obnubilé par l’idée de démasquer un tueur en série qui a déjà trucidé quatre jeunes femmes de la région… Un polar obsessionnel de plus ? Dans un sens, on peut dire que ce premier film de Dong Yue n’invente rien : dans le genre, David Fincher (Zodiac et Seven sont clairement cités) et Bong Joon-ho (Memories of Murder) ont déjà posé des jalons majeurs.

Mais tout en s’inscrivant ouvertement dans cette filiation, tout en recyclant des images qui semblent sortir du cinéma de l’Américain Fincher (la poursuite sous la pluie) ou du Coréen Bong (le coup de folie dans les herbes hautes), Dong Yue s’impose comme un cinéaste à suivre, notamment pour sa capacité à créer une atmosphère, bien glauque et bien oppressante.

Sans illusion, non plus : il choisit comme décor la Chine de 1997, année charnière de la rétrocession de Hong-Kong, et il choisit un décor sans joie, sans beauté et sans avenir, celui d’une région qui se désindustrialise à toute vitesse, ne laissant que misère, terrains vagues et dépression. Et Dong Yue filme ce décor, et ses personnages fracassés, avec un sens du plan exceptionnel, qui fait beaucoup pour la fascination qu’exerce le film.

Surtout, la singularité de ce polar tient au doute qu’il distille mine de rien. La neige qui se met à tomber lors d’une cérémonie de remise de médailles ; une petite amie dont la beauté et la lumière semblent décalées dans la grisaille ambiante ; Yu, le héros qui veut à tout prix passer le millénaire la tête haute n’est-il pas l’objet de fantasmes… Un trouble qui finit par nous laisser sidérés.

L’Epouse de la nuit (Sono yo no tsuma) – de Yasujiro Ozu – 1930

Posté : 2 mars, 2020 @ 8:00 dans * Polars asiatiques, 1930-1939, FILMS MUETS, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

L'Epouse de la nuit

Associer Ozu au polar est loin d’être une évidence, au vu des chefs d’œuvre prestigieux du maître. Pourtant, le cinéaste a bien tourné quelques films de genre durant sa période muette. L’Epouse de la nuit fait ainsi figure de curiosité, assez loin de l’univers d’Ozu a priori. Mais finalement pas tant que ça…

L’influence de la culture américaine a souvent été très présente dans le Japon que filme Ozu. Celle du cinéma hollywoodien l’est particulièrement ici, par les affiches de films accrochés sur les murs de l’appartement où se jouera l’essentiel de l’action. Mais aussi par cette longue première séquence, que l’on croirait tout droit sortie d’un film de gangsters de la Warner. Ça se passe la nuit (ce qui est déjà une rareté chez Ozu), ça se passe même sur une seule nuit (encore une curiosité), et un matin.

Les dix premières minutes sont remarquables, et dénuées de tout carton. Dans cette nuit très profonde, Ozu filme un braquage, puis une fuite désespérée à travers les rues de la ville. Des détails : une main sur une épaule, une silhouette à travers une porte vitrée, l’empreinte d’une main, un combiné de téléphone qui pend… Ozu, qui a déjà une quinzaine de films à son actif, maîtrise parfaitement le cadre et le montage pour cette narration précise et intense à la fois, qui révèle ses talents de réalisateur américain !

Du pur film de gangster, Ozu nous emmène vers un drame plus intime, avec une transition par montage parallèle. On comprend alors que le voleur est un père de famille désespéré, qui avait besoin d’argent pour soigner sa fillette malade, entre la vie et la mort.
Et le voilà chez lui, avec sa femme, et bientôt un policier qui l’a suivi… trio inattendu autour du lit de la fillette. Le film reste alors tout aussi intense, mais change de ton, et de rythme. Le style d’Ozu n’est pas tout à fait celui de sa grande période à venir, où la caméra sera souvent au niveau du sol. Mais sa manière de filmer les objets comme les témoins du temps qui passe, est déjà là. Le linge qui pend aussi.

Et la figure du père, bien sûr, centrale et bouleversante. Celle de la mère aussi d’ailleurs, qui, même en retrait, est aussi intense que celle du mari. Une constante aussi, dans l’œuvre d’Ozu.

L’Epouse de la nuit est une curiosité, mais c’est déjà un très beau film, intime et intense. Même dans un film de genre, Ozu sait avec de petits rien faire éclater la plus forte des émotions.

Time and Tide (Zhì qu weihu shan) – de Tsui Hark – 2000

Posté : 7 février, 2020 @ 8:00 dans * Polars asiatiques, 2000-2009, TSUI Hark | Pas de commentaires »

Time and Tide

Deux amis se retrouvent dans deux camps adverses, qui vont être amenés à s’entre-tuer : thème fondamental du polar, et notamment du polar hong-kongais. Ça paraît simple sur le papier, ça l’est pendant deux minutes à l’écran, et puis on perd le fil, et puis on le rattrape, on se raccroche… Et bientôt, on s’en fout.

On s’en fout parce que Tsui Hark lui-même se moque de son scénario, histoire simple sur la frontière ténue entre le bien et le mal, qu’il s’amuse à opacifier à l’extrême, par un montage elliptique et syncopé, et une voix off qui doit autant au film noir qu’à la rêverie sous acide…

On se moque du scénario, parce qu’on sent bien que Time and Tide est pour Tsui Hark l’occasion de faire tout ce qu’il n’a pas pu faire durant sa courte parenthèse américaine (deux films, deux Van Damme : Double Team et Piège à Hong Kong) : un pur film de mise en scène, avec des scènes d’action tellement virtuoses qu’elles frôlent l’abstraction.

Toute la première partie n’a qu’une raison d’être : nous diriger vers la deuxième heure du film, où tout n’est plus qu’action pure, longue séquence de suspense et de fusillades où Tsui Hark expérimente autour de l’art de la mise en scène. Encore que le terme « expérimente » est sans doute impropre, tant le cinéaste maîtrise parfaitement son sujet.

Lui qui s’amusait à nous perdre sur un scénario pourtant très simple rend cette fois limpide une action d’une complexité sidérante. Il joue sur l’espace comme personne, dans une fusillade impliquant des tas de personnages dans deux immenses immeubles en vis-à-vis.

La manière dont Tsui Hark maîtrise l’espace et les déplacements est impressionnante. Sans temps mort, il passe de ces immeubles, avec un mouvement tridimensionnel et notamment vertical, à une gare où tout n’est plus que déplacements horizontaux. Une rupture de style qui, loin de casse la logique du film, redonne du souffle à l’action.

Le choix des décors n’est pas anodin : il est la raison d’être de ces scènes, et de ces films. Qu’importe les raisons pour lesquelles les personnages arrivent dans ces lieux : seuls comptent les effets que Tsui Hark peut en tirer. Le combat au-dessus du stade, gratuit et virtuose, est la meilleur démonstration.

Parasite (Gisaengchung) – de Bong Joon-ho – 2019

Posté : 19 juillet, 2019 @ 8:00 dans * Polars asiatiques, 2010-2019, BONG Joon-ho, Palmes d'Or | Pas de commentaires »

Parasite

Chez Bong Joon-ho, le rire est souvent proche du cri d’effroi. C’était le cas dans The Host ou dans Memories of Murder. Ca l’est tout autant dans ce Parasite, superbe Palme d’Or, qui procure à la fois un extraordinaire plaisir, et un profond malaise. Le genre de films dont on sort emballé et assommé, les deux. Et certainement pas indifférent.

Un an après Une affaire de famille, Cannes confirme en tout cas son goût pour les familles en marge. Ici : le père, la mère, la fille et le fils, qui vivent ensemble dans une certaine harmonie, mais dans des conditions très modestes, dans un entresol où l’unique fenêtre donne sur un coin où les soûlards viennent pisser leur alcool.

Le fils se fait embaucher comme professeur d’anglais particulier par une riche famille (qui elle vit dans une superbe maison d’architecture tout en hauteur, surplombant la ville) en falsifiant un diplôme. Puis s’arrange pour que sa sœur (qu’il présente comme une vague connaissance) soit à son tour embauchée comme art thérapeute. Qui elle-même fait virer le chauffeur de la famille pour que son père soit embauché à sa place. Celui-là réservant le même sort à la fidèle gouvernante pour que sa femme prenne sa place…

Lorsque la famille se retrouve seul dans cette superbe maison, profitant d’un voyage de leurs patrons, se saoulant dans le salon si confortable, on sent bien que tout ça finir très mal, et le suspense est difficilement soutenable, tant Bong Joon-ho sait jouer avec la tension. Parasite est un vrai film de genre : un thriller, ou un film noir aux rouages infernaux. Et ce qui est très fort, c’est qu’il n’y a là pas l’ombre d’un méchant, pas même un personnage antipathique.

C’est l’une des raisons pour lesquelles Parasite est si supérieur à Burning : Bong Joon-ho signe un grand film sur la lutte des classes, sans la facilité de la condescendance. Les riches patrons ont leurs failles, leurs côtés malades ou ridicules : cette obsession de la propreté, ce mal-être dissimulé derrière une apparence si lisse. Mais ils sont aussi bons et attentifs aux autres. Quant aux arnaqueurs, ils affichent une candeur qui fait passer toutes les cruautés.

Il y a pourtant un immense sentiment d’injustice qui se dégage de ce film. Une injustice de fait, qui n’est basée sur aucun mérite trop évident : les « héros » sont pauvres, mais on ne les voit jamais traverser la rue, comme dirait l’autre. La seule solution qu’ils trouvent pour sortir de leur entre-sol, c’est l’arnaque, quitte à marcher sur la tête de ceux dont ils veulent la place. « Bien sûr qu’il a retrouvé une place » assure le père en évoquant le sort du pauvre chauffeur.

Naïfs, candides, grotesques… Les personnages portent souvent à rire, et on rit effectivement souvent. Mais la gravité n’est jamais bien loin, et Bong Joon-ho multiplie les petits signes, de plus en plus prégnants, pour souligner ce sentiment sourd d’humiliation quotidienne. Rien de bien méchant, non, mais un malaise qui ne cesse d’augmenter. Fidèle du cinéaste depuis Memories of Murder, Song Kang-ho confirme une fois de plus qu’il est incontournable. Grand acteur, pour grand film.

Burning (hangeul) – de Lee Chang-dong – 2018

Posté : 25 octobre, 2018 @ 8:00 dans * Polars asiatiques, 2010-2019, LEE Chang-dong | Pas de commentaires »

Burning

Un jeune homme, tout juste diplômé, rêve de devenir écrivain. Désœuvré, sans emploi, il revient dans son village natal. Non, ce n’est pas Le Poirier sauvage (enfin si, c’est Le Poirier sauvage, mais pas là), mais Burning, autre film très remarqué au dernier festival de Cannes et oublié par le jury (mais pas par la critique internationale, qui lui a décerné son prix).

Des oublis injustes ? Oui en ce qui concerne le très beau film de Nuri Bilge Ceylan. Peut-être en ce qui concerne celui de Lee Chang-dong. Certes, la mise en scène, discrète et immersive, est d’une classe folle, et il y a bien quelques moments de grâce (la « danse » de Haemi, en ombre chinoise). Mais il faut du temps pour que le film prenne son sens : passer une longue première partie qui semble franchement pleine de vide.

On comprend bien que le cinéaste n’a pas envie d’enjoliver la Corée du Sud. De là à ne filmer que des campagnes jonchées de gravas et de serres abandonnées et laides, ou des quartiers un peu miteux… On n’est parfois pas très loin de la complaisance, même si le message est, effectivement, bien passé : la Corée est un pays qui ne se porte pas très bien, et qui n’offre pas grand-chose de séduisant à ses jeunes.

Entre les pauvres qui errent sans buts, les riches qui s’ennuient, et ceux qui souhaitent ne jamais avoir exister, le portrait est rude. Mais à l’inverse du héros turc de Ceylan, celui de Lee est un taiseux, qui traverse la vie comme un fantôme. Et comme, au début, il est seul la plupart du temps, c’est un peu lourd.

Quand il ne l’est plus (seul), c’est tout aussi lourd, mais cela devient au moins tendu et dérangeant. La rencontre de deux mondes dans une sorte de triangle amoureux un rien malsain bouscule et fait naître un malaise grandissant et persistant. Surtout que la jeune femme disparaît sans laisser de trace, et que les doutes et les soupçons hantent le pauvre Jongsu, reconfronté à la vacuité de sa vie.

C’est là que le film est le plus réussi, dans sa veine la plus hitchcockienne, référence clairement citée lors d’un plan incroyable où l’on voit Jongsu se mettre enfin devant son ordinateur, la caméra le cadrant dans une fenêtre comme perdue dans la ville. Ce simple plan, esthétiquement impressionnant, est un tournant (tardif), qui fait basculer le film, et son héros, dans une autre dimension.

Lee Chang-dong ne facilite pas la tâche, évitant constamment tout effet facile ou tout ce qui pourrait apparenter Burning à un film de genre. Austère le plus souvent, séduisant par intermittence, le film marque en tout cas les esprits. Comme la disparition de Haemi, il nous hante durablement.

Black Coal (Bai ri yan huo) – de Diao Yi’nan – 2014

Posté : 9 mars, 2017 @ 8:00 dans * Polars asiatiques, 2010-2019, DIAO Yi'nan | Pas de commentaires »

Black Coal

Un flic dépressif devenu ex-flic alcoolique à la suite d’un bain de sang. Une série de meurtres commis sur plusieurs années. Un mystérieux assassin au patin à glace. Une douce jeune femme au lourd secret… C’est un pur film noir que signe Diao Yi’nan. Et comme dans la grande tradition hollywoodienne du genre, le film noir est à la fois le moyen d’offrir une plongée labyrinthique dans les affres des personnages, et de faire ressentir le poids social d’une époque…

Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette époque-là (la Chine d’il y a une dizaine d’années) ne fait pas rêver. Ni les spectateurs, ni les personnages, qui semblent se débattre sans trop y croire dans une vie sans issue heureuse. « Tu crois qu’on peut gagner dans cette vie ? » lance même l’un des flics avec le petit sourire de celui qui a compris.

Le décor lui-même est totalement sinistre : une région grise où le charbon est omniprésent, industrie qui semble faire vivre tant bien que mal, et d’une manière ou d’une autre, la moitié de la population. Un univers où les hommes gesticulent pour se donner l’illusion d’avoir un but (« Je veux faire quelque chose » explique Zhang, l’ex flic obsédé par des meurtres qui le ramènent à une ancienne enquête), et où les femmes ne font plus même mine de croire en quoi que ce soit.

Diao Yi’nan signe un film au rythme lancinant, inconfortable et fascinant. Un film dont les seules couleurs semblent venir des lumières artificielles de la ville, et où la glace semble constamment tout recouvrir. Un film aussi qui privilégie les moments en creux, le cinéaste suivant ses personnages de près, les filmant longuement dans leurs silences, en s’autorisant de grandes et audacieuses ellipses.

Mais il sait aussi, dès les premières scènes, instaurer un climat d’angoisse. Un sentiment d’oppression et de menace qu’il pousse à son paroxysme à chaque explosion de violences, où l’horreur et l’absurde se disputent la vedette. Jusqu’à un final étrange, poétique et magnifique, un « feu d’artifice en plein jour » (c’est d’ailleurs le titre en version originale) qui, sur le fil, semble annoncer la possibilité de sentiments partagés. Une infime lueur d’espoir dans cette atmosphère plombée.

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