Play it again, Sam

tout le cinéma que j’aime

Archive pour octobre, 2023

Eté précoce (Bakushū) – de Yasujiro Ozu – 1951

Posté : 29 octobre, 2023 @ 8:00 dans 1950-1959, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Eté précoce

Ozu peaufine son style, et ses thèmes de prédilection dans ce film délicat, précis et d’une beauté envoûtante. Comme tout bon Ozu, bien sûr, mais celui-ci inaugure en quelque sorte la période des grands chefs d’œuvre, qui ne s’arrêtera plus avant la mort du cinéaste.

Tout l’univers cher à Ozu est en place : une famille réunie sous un même toit, la petite dernière qui a largement atteint l’âge de se marier, des enfants insupportables, le grand sourire de Setsuko Hara, des maisons traditionnelles comme un paradis sur le point d’être perdu, le temps qui passe, les petits grognements de Chishu Ryu…

On pourrait dire qu’on a vu ça dans dix autres films d’Ozu, au moins. Et c’est un peu vrai. Mais à chaque fois, le bonheur est renouvelé. A chaque film, Ozu se renouvelle tout en étant le même, en variant les saisons, en décalant un peu son point de vue…

Ici, l’histoire tourne autour de Norike, 28 ans et célibataire, qui vit dans la maison familiale avec ses parents, son frère et la famille de celui-ci : sept personnes sous le même toit, dans un va-et-vient qui semble ne jamais en finir. Jusqu’à ce que Norike décide de se marier.

Qu’importe avec qui : l’homme en question, personnage secondaire, disparaît totalement à partir du moment où le mariage est réglé. Seul compte pour Ozu cette famille sur le point de se séparer, la fin d’une époque qui sera symbolisée par une photo de famille, et soulignée par l’éternel mantra du patriarche : « il faut se contenter de ce qu’on a ».

Et c’est beau, ces petits riens qui font la beauté des films d’Ozu, et de la vie : un regard posé longuement sur des chapelets de nuage, la douceur d’un début d’été, les cerisiers à la fenêtre, les cris des enfants… Ces petits riens qui marquent l’insouciance, et dont on découvre le poids quand on est sur le point de les perdre.

Il est peu question de maris dans ce film, mais il est beaucoup question de mariage, en ce qu’il représente de révolution pour les femmes. Il y a ainsi quelque chose de très émouvant et nostalgique dans ces réunions entre quatre amies d’enfance, où deux clans se forment systématiquement : les femmes mariées d’un côté, les jeunes filles de l’autre. Comme si les unes appartenaient à une époque qui était bien révolue pour les autres.

Ozu est pour toujours le cinéaste du temps qui passe, des générations qui se suivent. Son film, comme d’autres avant, et surtout d’autres à venir, est une merveille. Des petites choses qui vous procurent une émotion folle, et ce mélange de bien-être absolu et de nostalgie qui est peut-être sa plus belle marque.

Va d’un pas léger / Marchez joyeusement (Hogaraka ni ayume) – de Yasujiro Ozu – 1930

Posté : 28 octobre, 2023 @ 8:00 dans * Polars asiatiques, 1930-1939, FILMS MUETS, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Va d'un pas léger

Il y a du linge accroché entre les maisons, et c’est la preuve la plus flagrante que l’on est dans un film d’Ozu. Dès ses années de jeunesse, la signature du cinéaste est déjà bien là, dans sa manière de filmer les absences, et les objets du quotidien : une théière, une porte fermée, un poster sur le mur, un rideau tiré… Les objets ont une âme chez Ozu.

Ou plutôt : Ozu les filme comme s’il y captait l’âme des protagonistes, ce qui a quand même de la gueule. Va d’un pas léger (titre que l’on comprend dans les dernières – belles – minutes du film) est donc très manifestement un film d’Ozu. Pourtant, il est difficile d’y retrouver les thèmes, l’approche esthétique et le rythme qui marqueront ses chefs d’œuvre.

Dans ce film de jeunesse, on ne peut pas dire qu’Ozu est déjà totalement Ozu. Il flirte avec le polar, genre qu’il abordera plus frontalement encore quelques mois plus tard avec l’excellent L’Epouse de la nuit, adoptant les codes visuels du film de genre, mais se focalisant sur la rédemption par amour d’un anti-héros très touchant.

Un petit caïd, chef d’un gang de petits voleurs de rue, dont la vie bascule lorsqu’il croise la route d’une jeune employée du bureau aussi paumée que lui, dont il tombe raide dingue. Au point de renoncer à la vie facile de truand pour se trouver un job assez peu glorieux mais honnête. Et là, ce sont des thèmes que l’on retrouve souvent dans le Ozu des premières années qui apparaissent : les difficultés de la jeunesse, l’humiliation, le sort des femmes…

C’est Ozu sans être totalement Ozu, mais c’est déjà formidable : cadrage, timing, sens du détail, profondeur des personnages… Ce faux film noir est passionnant, et dévoile en passant une facette légère et même très drôle d’Ozu. Un aspect de son talent qui est rarement mis en valeur à ce point.

Sumurun (id.) – d’Ernst Lubitsch – 1920

Posté : 27 octobre, 2023 @ 8:00 dans 1920-1929, FILMS MUETS, LUBITSCH Ernst | Pas de commentaires »

Sumurun

Ambiance 1001 nuits pour Lubitsch, qui s’essaye à la fantaisie orientale à grand spectacle. Pas a priori l’univers où on imagine le mieux cet esthète dont on n’allait pas tarder à découvrir la finesse et l’esprit. Il est loin d’être un débutant quand il tourne Sumurun. Mais même dans ses films les plus réputés jusque là comme La Princesse aux huîtres ou La Poupée, son cinéma a un aspect ouvertement outrancier qui a nettement plus mal passé l’épreuve du temps que ses chefs d’œuvre à venir.

Sumurun hésite constamment entre plusieurs tentations. Il y a d’abord celle du grand film d’aventure à gros budget, avec des centaines de figurants et des décors spectaculaires. Et sur ce point, Lubitsch se montre étonnamment à l’aise, avec une ampleur dans ses images de foule qui ne sont pas loin d’évoquer le Walsh du Voleur de Bagdad. Curieusement aussi, le film se montre nettement plus statique dans les scènes d’intérieur, beaucoup plus convenues.

Le film hésite aussi entre le drame sombre et violent, et la fantaisie légère et comique. Et là, c’est bien plus problématique. On a constamment le sentiment d’être entre deux chaises. Et les grands perdants sont l’émotion, et le rire. Lubitsch hésitait visiblement entre les deux, il n’atteint ni l’un ni l’autre.

Pas désagréable pour autant, Sumurun réserve quelques beaux moments, notamment la course désespérée d’une Pola Negri très impliquée à travers les rues pleines de charme de cette petite ville au milieu du désert. C’est aussi, me semble-t-il, la dernière fois que Lubitsch s’offre un rôle, lui qui avait commencé acteur avant de passer de l’autre côté de la caméra. Et c’est peut-être son meilleur : celui d’un bossu, amoureux éconduit, douloureusement pathétique, à qui reviennent les plus belles scènes.

Les Bateliers de la Volga (The Volga Boatman) – de Cecil B. De Mille – 1926

Posté : 26 octobre, 2023 @ 8:00 dans 1920-1929, De MILLE Cecil B., FILMS MUETS | Pas de commentaires »

Les Bateliers de la Volga

Voilà un film très étonnant de la part de De Mille. D’abord pour son sujet : la révolution russe de 1917, qui colle assez mal avec ses thèmes habituels. Puis par son refus du manichéisme : pas question pour lui d’en faire un film anti-communiste, pas plus qu’anti-tsariste d’ailleurs.

Enfin, par son point de vue. La révolution, on ne la suit dans la plus grande partie du film que par le prisme d’un petit microcosme, dont on ne sort pas jusqu’à la moitié du métrage : un château qui surplombe un camp tartare sur les rives de la Volga.

Mieux encore, il résume la révolution à un triangle amoureux : un fringant officier s’apprête à épouser une jeune noble, qui tombe amoureuse d’un batelier, l’un de ces forçats qui halent les bateaux sur la Volga, appelé à devenir un leader de l’armée rouge.

Ce parti-pris peut sembler simpliste. Mais De Mille n’est pas Eisenstein, et on peut sereinement affirmer qu’il n’a guère d’appétence pour le peuple en tant que foule. Ce qui l’intéresse, ce sont les troubles de chacun, les doutes, les passions. Et c’est passionnant.

A vrai dire, la première moitié du film est aussi étonnamment bon-enfant. Il y a de la cruauté ; d’abord dans le mépris de la classe dominante, puis dans la soif de vengeance des révolutionnaires. « L’assaut » du château a ainsi un côté très hors-sol, proche de la comédie de mœurs. Une sorte d’accès de violence où le sang serait remplacé par du vin. Littéralement.

Et puis il y a une séquence qui fait la bascule, particulièrement forte. La jeune noble, en fuite avec l’ancien batelier, est arrêtée avec lui par l’armée « blanche », qui ignore qui elle est. Les soldats décident alors de profiter d’elle. Des exactions qu’elle subit, on ne voit rien, la caméra scrutant les visages des hommes qui l’entourent. Un moment d’une grande intensité.

A partir de là, fini l’aspect bon enfant. De Mille renvoie les deux camps dos à dos, filmant les actes des uns en écho à ceux des autres. Et le film se révèle assez pessimiste sur la nature humaine, tout en gardant une lueur d’espoir. Dans ce monde qui se déchire, il reste l’amour, après tout.

La Fille du Far West (The Girl of the Golden West) – de Cecil B. De Mille – 1915

Posté : 25 octobre, 2023 @ 8:00 dans 1895-1919, De MILLE Cecil B., FILMS MUETS, WESTERNS | Pas de commentaires »

La Fille du Far West

Découvrir The Girl of the Golden West après avoir revu The Plainsman permet de voir à quel point De Mille, mais aussi le cinéma en général, a évolué en vingt ans seulement. Comparer ces deux westerns n’est pas aberrant : l’un comme l’autre commence par un carton justifiant les libertés prises avec le réel par une volonté de rendre hommage à cette époque de pionniers.

Les temps, cela dit, ne sont pas les mêmes. Et il y a dans cette adaptation d’une pièce à succès quelque chose de très théâtral. Moins dans le sujet et le scénario d’ailleurs, que dans la mise en scène elle-même. Comme c’était beaucoup le cas à cette époque, la caméra est fixe, occupant à peu près la place qu’occupe le spectateur dans un théâtre, offrant une vue large et frontale sur la scène.

De Mille en sent visiblement les limites, et varie ses effets : plans larges, plans rapprochés, gros plans… Mais le plus souvent, ce sont les personnages qui se déplacent vers la caméra pour changer la perspective. D’où un côté un peu figé auquel le cinéaste n’échappe pas toujours.

Le film n’en est pas moins assez passionnant, parce que mené à un rythme d’enfer (55 minutes, bien remplies) par un De Mille déjà très maître du timing, qui réussit quelques belles séquences d’action.

Quant à l’histoire elle-même, elle est assez classique, reprenant l’éternelle trame du triangle amoureux : le shérif traque un bandit, ce dernier tombe amoureux de la jolie patronne de bar en taisant sa véritable identité, jeune femme que convoite le shérif…

L’originalité vient plutôt du décor : un campement boueux d’orpailleurs, plutôt qu’une ville à proprement parler. Et la présence importante du climat : la neige, la boue, et même le soleil qui éclaire cette espèce de saloon à ciel à demi-ouvert. On n’est pas chez Nuri Bilge Ceylan, mais…

Un détail étonnant, aussi : ces gouttes de sang qui coulent du faux plafond, trahissant la présence du bandit. Un détail que Hawks n’a donc pas inventé, même s’il le sublimera dans Rio Bravo.

La Petite – de Guillaume Nicloux – 2023

Posté : 24 octobre, 2023 @ 8:00 dans 2020-2029, NICLOUX Guillaume | Pas de commentaires »

La Petite

Dès les premières images, on sent qu’il se passe quelque chose dans ce film : des gros plans sur les mains d’un ébéniste d’art, qui retape de vieux meubles. Les gestes sont précis, l’ouvrage sent bon le bois noble. Ces mains, ce sont celles de Fabrice Luchini, que ces belles images présentent sous un jour qui semble inédit. Le voilà manuel, et taiseux, plus barbu que d’habitude, plus voûté aussi…

Quelques images seulement, et on sent le poids de la vie sur cet homme fatigué et peu aimable. Que l’on découvre apprenant la mort de son fils et du compagnon de ce dernier, victimes d’un accident d’avion. Lorsqu’il croise les proches des autres victimes, il paraît si froid, si lointain, si tourné vers lui-même : « J’aurais aimé qu’il s’intéresse », lance-t-il à propos de ce fils mort. « A mon travail, ajoute-t-il, j’aurais aimé qu’il entre dans mon atelier sans traîner les pieds. »

Il apparaît fragile, mais tourné vers lui-même, ce personnage, que Luchini incarne avec une retenue qu’on ne lui a peut-être jamais vue. Même son phrasé si singulier s’efface au profit d’une présence, d’une douleur renfermée, puis d’une intensité retrouvée, mais toujours contenue. Après le Guillaume Canet d’Acide, cette prestation là rappelle que notre bon vieux cinéma français : a) se porte bien ; b) peut compter sur quelques acteurs formidables.

Il est donc exceptionnel, Luchini, en homme vieillissant qui semble avoir démissionné de la vie depuis la mort de sa femme, mais qui relève la tête après la mort de ce fils qu’il avait d’une certaine manière déjà perdu. Lorsqu’il apprend que le rejeton et son mec attendaient un bébé, grâce à une mère porteuse en Belgique, il se met en tête de créer des liens avec le petit-fils à naître.

Au temps pour les préjugés qu’on a un peu vite fait de se forger : cet homme si détaché en apparence ne l’est finalement pas du tout. « Pardonne moi ma fille, je ne vais pas bien », lâche-t-il sans un trémolo, dans un élan de fragilité contenue dont la sobriété même est absolument bouleversante. Le voilà donc, seul, lancé sur la piste de cette mère porteuse qui ne l’attend pas, et n’attend rien de lui.

Un personnage étonnant, auquel la jeune Marie Taquin apporte un caractère explosif et sensible qui emporte tout… si ce n’est Luchini lui-même, avec qui se crée une relation complexe et magnifique. Comme celle entre Luchini et sa fille, jouée par une épatante Maud Wyler. Ou celle entre la mère porteuse et sa fille de 9 ans.

Pour Guillaume Nicloux, les relations humaines ne sont pas simples. Mais elles sont belles. La paternité n’est pas simple, non plus. Mais elle est belle. Sans esbroufe, et même avec une certaine austérité, Nicloux signe un film très beau, qui a tout pour plonger dans le pathos, mais qui se dirige constamment du côté de la lumière. Me voilà totalement sous le charme.

Acide – de Just Philippot – 2023

Posté : 23 octobre, 2023 @ 8:00 dans 2020-2029, FANTASTIQUE/SF, PHILIPPOT Just | Pas de commentaires »

Acide

Sur le papier : un film de genre de série B à la John Carpenter, quelque part entre Fog pour le détournement de phénomènes naturels (le brouillard là, la pluie ici), et Invasion Los Angeles pour l’ancrage dans une réalité brûlante (la pauvreté grandissante là, le réchauffement climatique et la crise des migrants ici). A l’écran : un film de genre, oui ; une série B, oui ; mais un film qui impose d’emblée la signature d’un (jeune) cinéaste singulier, et très prometteur.

Ce n’est pas son coup d’essai : La Nuée (pas vu, encore) avait marqué les esprits. Avec ce deuxième long métrage, prolongement d’un court du même nom lui aussi remarqué, il creuse visiblement un sillon similaire. Le résultat est saisissant. Il l’est dès les premières secondes, qui nous plongent à coup d’images tournées au portable au cœur d’une manifestation syndicale qui tourne mal.

Just Philippot serait l’héritier de Stépane Brizé plutôt que celui de John Carpenter ? Non, bien sûr, mais ces premières images sont étonnantes, fortes, et plantent le décor d’un monde qui ne va pas super bien, et d’un héros, joué par Guillaume Canet, dont le mal-être a visiblement tourné à la colère explosive depuis longtemps.

Ces premières images permettent aussi un contraste spectaculaire, mine de rien : entre les images format portrait volées au portable, et l’écran très, très large qui apparaît lorsque le générique commence, plan soudain stabilisé sur une nature immense et déserte. Le calme avant la tempête. Parce qu’on la sent arriver cette tempête…

Il y a d’abord les commentaires captés à la télévision ou à la radio, au détour d’un dialogue entre le père divorcé et paumé joué par Canet (formidable, peut-être bien dans le rôle de sa vie) et sa fille, ado en rébellion incarnée par une fabuleuse Patience Muchenbach, dont le visage faussement impavide semble d’une profondeur infinie.

Il y a, surtout, la manière dont Philippot filme les nuages, l’eau qui goutte, des flaques qui se forment. Aucun effet facile, si ce n’est cette musique sourde qui renforce le malaise, mais ces plans qui semblent anodins ne le sont pas. Le cinéaste en fait des signes annonciateurs de la catastrophe, de la plongée dans l’horreur qui ne va pas tarder.

Elle explose lors d’un moment d’une intensité proprement hallucinante, course éperdue à travers bois où le danger vient du ciel, et le salut d’un cocon familial qui n’existe plus qu’en période de crise. L’intensité ne retombera plus. Sur un scénario qui évoque La Guerre des mondes de Spielberg, Canet le paumé se transforme en père désespéré prêt à tout pour sauver sa fille.

Le film dépasse largement les codes du survival classique. Film de genre enthousiasmant, Acide pousse à son extrême la logique d’un monde confronté au changement climatique (encore que la marche n’est pas si haute), et renverse habilement le point de vue de la crise migratoire (comme Spielberg l’avait fait, d’ailleurs). Pur plaisir de cinéma et pamphlet brûlant, ce n’est pas si courant.

Au-delà de son intensité folle, Acide regorge d’images qui marquent durablement la rétine, comme ces deux chevaux fumant qui sortent de la brume, vision cauchemardesque admirablement mise en scène. Il y en a beaucoup d’autres, jusqu’à une conclusion particulièrement puissante, qui vous laisse exsangue.

Le Détour (Saturday Night) – de Cecil B. De Mille – 1922

Posté : 22 octobre, 2023 @ 8:00 dans 1920-1929, De MILLE Cecil B., FILMS MUETS | Pas de commentaires »

Saturday Night

Ah ! L’ironie de ce dernier plan ! Oui, non, pas question de spoiler bien sûr, et de dévoiler la conclusion de cette romance à quatre, qui évoque l’amour pour le moins complexe lorsqu’il tente d’effacer les barrières sociales…

Le Cecil B. De Mille de cette première période étudie décidément sous toutes les coutures les mystères des rapports entre les hommes et les femmes. Avec sa fidèle complice Jeanie Macpherson, sa scénariste depuis Forfaiture, il imagine non pas un, mais deux couples contre-nature sociale.

D’abord, deux couples qui semblent si naturels. L’un sans le sou, qui se croise et se toise de part et d’autre d’une palissade. L’autre richissime : un jeune millionnaire fiancé à une riche héritière. Mais cette dernière tombe amoureuse de son chauffeur, qui n’est autre que le gars de la palissade, tandis que le riche fiancé décide d’épouser la fille de ladite palissade.

Vous suivez ? Toute la question est de savoir si, oui ou non, ces deux couples qui défient l’ordre établi ont une chance. Ou pas. Et toute la réponse repose sur ce constat implacable : on est chez De Mille, pas chez Capra. Ce qui donne une idée assez précise de l’issue de l’histoire, et de l’ironie, donc, de ce dernier plan.

Un constat, aussi, qui rappelle que le film a été tourné il y a un siècle : quel que soit le choix des uns et des autres, quel que soit le niveau social et la richesse de celui ou celle dont on tombe amoureux(se), c’est le train de vie et le quotidien de l’homme que l’on va adopter. En d’autres termes : c’est à la femme de s’adapter.

D’où deux situations pathétiques ou comiques, c’est selon : une femme de peu dont les manières ne sont que gênes pour sa belle-famille, et une riche héritière incapable de se faire aux mœurs de son mari mal dégrossi. Dans les deux cas, pour faire simple : la femme fout la honte à son homme. Qui commence à trouver le temps à long et à s’interroger sur le bien fondé de son coup de foudre.

C’est un De Mille essentiellement tourné vers les personnages, qui semble très loin de ses grandes fresques à venir. Mais son sens de l’ampleur et de l’emphase apparaît régulièrement, dans les scènes de grandes soirées, grouillantes de vie. Et comme dans tous ses meilleurs films, cette ampleur ne vient jamais écraser le récit, lui donnant au contraire un socle solide.

C’est aussi un De Mille qui, mine de rien, s’oppose à l’angélisme hollywoodien déjà en vigueur. Pas dupe, mais naïf, il signe un double romance qui dit toute la limite de l’amour à tout prix, rappelant le poids écrasant des conventions, et ramenant à chacun à ses obligations. Ce qui peut se faire avec jubilation. Ou avec l’ironie si cruelle de cette dernière image.

Une aventure de Buffalo Bill (The Plainsman) – de Cecil B. De Mille – 1936

Posté : 21 octobre, 2023 @ 8:00 dans 1930-1939, COOPER Gary, De MILLE Cecil B., WESTERNS | Pas de commentaires »

Une aventure de Buffalo Bill

Le titre français est doublement trompeur. D’abord, le héros n’est pas Buffalo Bill : le plus célèbre des tueurs de bisons est bien là, mais il ne tient qu’un second rôle au côté du véritable pilier du film, Wild Bill Hickock. Sans doute moins ancré dans les esprits français, et moins bankable par la même occasion.

Surtout, ce titre semble annoncer un western assez classique, basé sur un épisode héroïque de la vie d’une légende de l’Ouest. Comme on en verra des tas dans les années 40 ou 50. Mais l’ambition de Cecil B. De Mille est toute autre : à travers le parcours de Wild Bill et des compagnons qui croisent régulièrement sa route (Bill Cody et Calamity Jane, surtout), c’est rien moins que toute la mythologie de l’Ouest qu’il cherche à porter à l’écran.

L’ambition est grande, et l’approche décomplexée. Le texte qui ouvre le film (après un générique à la manière spectaculaire que reprendra George Lucas pour ses Star Wars) annonce la couleur : le film qu’on va voir condense en une seule histoire « plusieurs années, plusieurs vies, et des événements d’époques différentes ». Une entrée en matière simple et maligne qui permet d’anticiper et de balayer d’un revers de la main les fines bouches historiques.

Dans cette histoire, qui s’ouvre sur le dernier jour de Lincoln, on assistera donc, en vrac, à la ruée sur les Black Hills, au massacre de Little Big Horn, à l’assassinat de Wild Bill… Qu’importe la vérité historique : De Mille présente son film comme un hommage à un certain état d’esprit. Et comme un pur film de cinéma, tel qu’il le conçoit, avec pour seules contraintes celles du grand spectacle, de l’efficacité et de l’émotion.

Et dans ce domaine, De Mille est l’un des plus grands. Même en noir et blanc, même avec un format classique loin du Cinemascope, même avec des transparences encore imparfaites… le grand spectacle est de tous les plans, tous les instants. De Mille voulait faire de son hommage aux pionniers de l’Ouest une narration cohérente : il le fait avec une fluidité absolument parfaite, avec un sens du rythme parfait.

Les grands moyens dont il dispose (décors impressionnants, figurants par centaines) étoufferaient le talent de bien des réalisateurs. Lui les utilise pleinement (ces moyens se voient clairement à l’écran), mais toujours au service du mouvement, de l’action et des personnages. Régulièrement, sa caméra embrasse les décors dans ce qu’ils ont de grands et bouillonnants, pour se recentrer sur les visages rapprochés de deux personnages, sans que plus rien d’autre n’existe.

C’est historiquement très discutable. Les héros ont le cœur pur et les amitiés sincères, sans grand défaut apparent. Du pur cinéma hollywoodien, donc. Mais dans ce qu’il a de meilleur, enthousiasmant, passionnant, et même émouvant. Gary Cooper est impérial en Wild Bill flamboyant. Jean Arthur touchante en Calamity Jane énamourée. Même le bien terne James Ellison séduit en Buffalo Bill rangé des affaires…

The Plainsman (le titre original, nettement plus convainquant dans ce qu’il évoque une idée de l’Ouest plutôt qu’un unique personnage) m’avait laissé un souvenir très fort dans mon adolescence, un western épique fondateur de ma cinéphilie. Le revoir bien des années après laisse une impression tout aussi forte, et donne l’envie de revoir l’autre grand western épique de De Mille, le tout aussi passionnant Pacific Express.

Shining (The Shining) – de Stanley Kubrick – 1980

Posté : 20 octobre, 2023 @ 8:00 dans 1980-1989, FANTASTIQUE/SF, KUBRICK Stanley | Pas de commentaires »

Shining

Comment, en prenant de telles libertés avec le roman de Stephen King (l’un de ses meilleurs), et en reprenant des trucs aussi éculés du film d’horreur, tant scénaristiquement que visuellement, Kubrick a-t-il pu réussir un film à ce point singulier et fondateur du genre ? Bref : un grand chef d’œuvre qu’il faut sans doute revoir à plusieurs âges de la vie pour en apprécier la richesse.

Jeune, j’en avais me semble-t-il surtout saisi la grandeur de l’aspect horrifique à proprement parler, et cette lente glissade dans la folie qu’opère Jack Torrance, le personnage incarné par Jack Nicholson, dont le rictus machiavélique n’a peut-être jamais été si bien utilisé. A le revoir des années après, désormais père de famille, c’est une autre vision qui gagne : le portrait d’un homme hanté par ses échecs en tant que créateur, et par ricochet en tant que l’image qu’on a du chef de famille.

C’est pour soigner sa panne d’inspiration que l’écrivain Jack Torrance embarque sa famille pour un long hiver de totale solitude dans l’Overlook Hotel, établissement haut perché dans les montagnes où il a accepté un poste de gardien, conscient qu’il sera coupé du monde avec sa femme Wendy et leur jeune fils Dany (Shelley Duvall et Dany Lloyd, des rôles dont on ne se remet pas), et que c’est juste ce dont il a besoin pour retrouver la fièvre créatrice.

Sauf que dès les premières scènes, sous un voile apparent de normalité, Kubrick installe le malaise. Les souvenirs étant trompeurs, il me semblait que Nicholson était omniprésent, et que le film narrait dans les détails sa longue transformation, avalé par les fantômes de l’hôtel, où quoi que ce soit. Ce n’est pas tout à fait juste : dès le début, il porte déjà ses fantômes en lui, qui ne sont probablement pas les mêmes que ceux qui habitent la chambre 237. Ou peut-être que si, allez savoir…

Le fait est que le mal est déjà là, profondément ancré. Et ce mal remonte à loin (loin comment ? Ça…). D’ailleurs, le point de vue adopté est beaucoup moins celui de Jack que ceux de Wendy et Dany, qui sentent monter le déséquilibre, et la menace. Et Kubrick nous balade à travers l’Overlook en faisant monter la tension qui, d’énorme, devient intenable, au point que les rares effusions de (bain de) sang et de violence s’avèrent libératrices.

Travellings hallucinants, gros plans percutants, visions d’horreurs… Kubrick nous entraîne dans un vertige de sensations, jusqu’à un final (littéralement) glaçant dans le labyrinthe de l’hôtel qui est aussi celui des méandres de l’esprit, et sans doute beaucoup plus. Quoi exactement ? On a la nuit pour y repenser, et elle risque d’être longue.

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