La Symphonie nuptiale (The Wedding March) – d’Erich Von Stroheim – 1928
Voir La Symphonie nuptiale relève du même genre d’expérience excitante et de frustration que voir Les Rapaces . Les deux films confirment l’ambition ogresque de Von Stroheim, sa volonté d’imposer un style et un univers démesurés, en rejetant les codes en vigueur à Hollywood comme ailleurs, que ce soit en terme de budget ou de durée. Et dans les deux cas, Von Stroheim s’est heurté à un mur plus haut, plus fort que lui : celui des studios qui ont refréné ses hardeurs.
A voir certaines scènes de La Symphonie nuptiale, on se surprend à comprendre les financeurs. La longue séquence du Corpus Christi, surtout, est hallucinante de démesure. D’autres que Von Stroheim aurait filmé la rencontre de ce jeune aristocrate désargenté (le réalisateur lui-même) et de la jeune fille du peuple (Fay Wray, cinq ans avant de devenir la scream queen de King Kong) en gros plans dans l’ombre d’une guérite. Lui reconstitue grandeur nature un immense cortège avec des dizaines de figurants et des décors immenses.
Est-ce bien raisonnable ? Se surprend-on donc à se demander, tant la débauche de moyens est ici flagrante. Surtout que ces grands plans amples et spectaculaires ne sont pas les plus pertinents à ce moment. Au coeur de cette reconstitution, c’est une série de gros plans sur Stroheim et Fay Wray qui séduisent, révélant un humour et une pointe d’érotisme et de tendresse inattendus.
Il faut dire aussi que Stroheim, qui se filme avec une délectation affichée (l’homme a des défauts, mais on ne peut pas lui reprocher celui d’être faussement modeste : il suffit de voir le carton dans le générique du début qui précise « in its entirety an Erich Von Stroheim creation »), n’est pas un mufle. Son personnage l’est assurément, mais le réalisateur, lui, réserve les plus beaux rôles aux femmes : à Fay Wray bien sûr, qui n’a peut-être jamais été aussi belle et émouvante que dans ce rôle tragique ; et à Zasu Pitts aussi, magnifique en jeune héritière boiteuse.
Quant à Von Stroheim, dont on se dit longtemps que, pour une fois, il s’est donné le beau rôle, il est le parfait symbole du monde qu’il filme ici comme ailleurs : celui d’une aristocratie désargentée et de nouveaux riches qui rêvent de titres, deux univers tristement complémentaires qui se retrouvent dans une même débauche, et où l’argent et le prestige dominent tout, y compris et surtout l’amour.
Le film tel qu’on le connaît ne devait être que le premier segment d’un triptyque, dont le deuxième volet a été perdu, et dont le troisième n’a même jamais été tourné. Même ainsi, sa durée a été réduite au fil de plusieurs montages successifs imposés par le studio, mais auxquels Von Stroheim a le plus souvent participé. Un film malade et incomplet, donc, mais dont la fin semble parfaite dans l’œuvre du cinéaste : la cruauté de cette conclusion, son cynisme, donne rétrospectivement comme la juste introduction à toute son oeuvre.