Pitfall (id.) – d’Andre De Toth – 1948
Grand réalisateur un peu oublié de western (il fut un fidèle de Randoph Scott avant Budd Boetticher), Andre De Toth est aussi un grand réalisateur un peu oublié de film noir. Et Pitfall pourrait bien être son chef d’œuvre. Le doute venant du fait que je suis loin d’avoir vu tous ses films, pas de la qualité de ce petit bijou noir, qui prend le contre-pied réjouissant d’à peu près tous les poncifs du genre.
Prenons l’incontournable femme fatale, si classique semble-t-il : Lizabeth Scott, parfaite en jeune femme trop belle pour laquelle un homme s’est transformé en voleur et a fini en prison… Une femme fatale qu’un enquêteur de compagnie d’assurance rencontre pour récupérer l’argent volé, comme un clin d’œil au film qui a fixé pour toujours les règles du genre : Assurance sur la mort.
L’enquêteur ici (Dick Powell) n’est pas si éloigné de celui de Wilder (Fred McMurray), à ceci près qu’il est un homme bien installé. Trop bien installé : bien marié, père d’un gamin adorable, vivant confortablement… et s’ennuyant comme un rat mort, hanté par ses rêves de jeunesse qu’il a laissé s’envoler au profit d’un confortable train-train qu’il ne supporte plus. Powell est formidable en Américain moyen qui ne supporte plus ce statut d’Américain moyen.
Et elle, celle par qui le drame arrive. Formidable aussi, Lizabeth Scott, personnage fragile et paumé, le seul être vraiment pur de ce monde de faux-semblants et de faux-culs. Drôle de femme fatale, donc, face à une épouse légitime certes douce, aimante et compréhensive, mais avant tout symbole d’un ordre castrateur et vampirisant. Dans ce film noir, ce n’est pas de l’aventure, mais des conventions que vient la menace.
De Toth excelle à filmer la tension qui monte. La pression, plutôt, à laquelle tente désespérément d’échapper Powell, confronté à un Raymond Burr qui n’a jamais semblé si large d’épaules, et dont le danger cette fois vient assez paradoxalement de son cœur tendre, de son coup de foudre pour Lizabeth. Constamment surprenant, et profondément déprimant (et réjouissant). Grand film noir, pas comme les autres.