Valdez (Valdez is coming) – de Edwin Sherin – 1971
Il ne faut pas longtemps pour réaliser qu’on est dans un western définitivement à part dans l’histoire du genre. Dès les premières images, foule désordonnée dans un décor poussiéreux et sec, le ton paraît inédit. L’entrée en scène de Burt Lancaster en vieux métis américano-mexicain ne fait que renforcer cette sensation. Ancien tueur d’Indien devenu assistant occasionnel du shérif (mais seulement trois jours par semaine, et seulement dans le quartier mexicain), cet homme fatigué et marqué trimballe sa lassitude et son dégoût face au traitement réservé aux noirs, aux Indiens, et à lui-même…
Alors quand il est amené à tuer le noir qu’il tentait de sauver du lynchage, et quand le grand propriétaire cynique (méchant incontournable du genre) préfère l’humilier plutôt que de donner les 100 dollars qu’il lui demandait pour la veuve de sa victime, c’est le déclencheur d’années de rancoeurs, d’humiliations et d’injustices…
Burt Lancaster n’est pas à l’origine du film. Mais il a porté à bout de bras cette histoire signée Elmore Leonard, dans laquelle on retrouve ses thèmes de prédilection : l’injustice raciale, la vengeance… Un rôle taillé sur mesure pour l’interprète de Bronco Apache, dont les choix de films, souvent passionnants, se font aussi de plus en plus politiques au fil des ans.
Le rôle de Lancaster est primordial. Parce que son personnage, hors du commun, est quasiment omniprésent, et qu’il lui donne une intensité assez incroyable (malgré quelques petits passages où la lassitude, et l’accent mexicain, paraissent un peu too much). Et parce qu’il s’est entouré de collaborateurs qu’il connaît bien, à commencer par le scénariste Roland Kibbee (dont on ne sait pas vraiment ce qu’il a gardé de la première mouture signée David Rayfield), déjà auteur de Vera Cruz.
Et comme le classique d’Aldrich, Valdez bénéficie d’un scénario exceptionnel qui, sous les allures d’un survival assez classique, aborde des thèmes rarement évoqués dans le western, et avec une volonté de réalisme et d’intransigeance encore plus rare. Mexicain opprimé, Valdez a lui-même été du côté des oppresseurs. L’homme de main du grand propriétaire est un être brutal et cruel, mais que le courage et le passé de sa proie finiront par ébranler. Et que dire du personnage féminin (Susan Clark), fiancée trop consciente des crimes de son fiancé ?
Dommage que Lancaster ne se soit pas attaché les services de Pollack, autre collaborateur habituel à cette époque, un temps évoqué pour la mise en scène. Car si Valdez n’atteint pas le statut d’un vrai chef d’oeuvre, c’est qu’il manque la patte d’un grand cinéaste, qui aurait apporté une cohésion au film. Il y a bien quelques authentiques moments de grace (le superbe travelling lors de l’arrivée du chariot au début du film, les scènes de poursuite lorsque la brume semble tout envelopper…). Mais il y a aussi beaucoup de plans plus maladroits, moins fluides, qui cassent un peu le rythme.
D’ailleurs, après une première demie-heure formidable, il y a un gros ventre creux lorsque le film se transforme en chasse à l’homme (selon une logique dont Stallone s’est sans doute inspirée en écrivant le premier Rambo). Jusqu’à un dénouement absolument génial, que n’aurait pas renié un certain Tarantino, qui a lui aussi été plus que probablement influencé par Valdez, dont le Django unchained serait une sorte de descendant enragé…
• Le film fait partie de la collection Western de Légendes chez Sidonis. Avec un portrait de Lancaster et des présentations par Bertrand Tavernier (très personnelle et très érudite, comme toujours), Patrick Brion et Yves Boisset.