Play it again, Sam

tout le cinéma que j’aime

Archive pour la catégorie '1940-1949'

Dieu est mort (The Fugitive) – de John Ford – 1947

Posté : 10 septembre, 2023 @ 8:00 dans 1940-1949, BOND Ward, FORD John | Pas de commentaires »

Dieu est mort

Adapté d’un roman de Graham Greene, The Fugitive a été un échec sans appel, l’un des plus cinglants de cette décennie pour John Ford. Et ce n’est pas surprenant, tant le cinéaste renonce pour une fois à toute concession dans la légèreté, signant un film grave et lent, quasiment dénué d’action, dont le rythme épouse fidèlement les affres mentales d’un homme traqué, un prêtre confronté à la peur et au doute.

L’histoire se passe dans un pays d’Amérique du Sud, où la religion a été purement et simplement interdite, et les prêtres exécutés. A l’exception d’un seul, qui erre comme une âme en peine et se cache dans une église en ruines. C’est là qu’on le découvre dans la première scène, qui justifie à elle seule l’insuccès populaire du film. The Fugitive s’ouvre en effet sur une longue scène quasi-muette, où le prêtre joué par Henry Fonda est surpris par une jeune mère célibataire (c’est tout dire de ses mœurs!), qui lui demande de baptiser son enfant…

On est d’emblée frappé par le rythme qu’adopte Ford, lent et pesant, comme empêché. Puis par l’absence totale d’humour ou de second degré. Par la symbolique des images aussi, le prêtre apparaissant d’abord par une ombre en croix qui se dessine au sol, et la jeune femme ayant le sublime visage de madone de Dolores Del Rio, douloureuse pieta dont les seuls traits procurent d’incroyables sensations.

Ford, plus encore que dans The Informer (sans doute le film le plus proche dans l’esprit de toute sa filmographie), fait un usage presque systématique de la symbolique religieuse dans ses choix de cadre, dans sa manière de filmer des personnages qui incarnent tous à leur manière le difficile rapport à la foi, à la vie et à la mort.

Fonda en prêtre qui se découvre incapable d’avoir la grandeur que sa fonction exige. Del Rio en femme aux mœurs jugées légères qui se révèle d’une pureté absolue. Et Pedro Armendariz, fascinant en officier incarnant l’autorité anti-religieuse, mais que l’on découvre menant une lutte interne contre sa propre foi. Ou encore Ward Bond, étrange dans un rôle pas très convaincant de bandit en fuite se transformant de manière très inattendue en ange gardien.

Ford affirmait que le film était l’un de ceux dont il était le plus fier. C’est en tout cas une œuvre très atypique dans sa riche filmographie. Clairement pas le plus aimable de ses films, ni le plus abouti. Mais la beauté un peu revêche des images, cette manière de filmer les visages comme des images religieuses chargées de symboles, l’ambition morale aussi… Tout ça fait de The Fugitive un film peut-être pas très attachant, mais franchement fascinant.

Le Visage derrière le masque (The Face behind the mask) – de Robert Florey – 1941

Posté : 5 juillet, 2023 @ 8:00 dans * Films noirs (1935-1959), 1940-1949, FLOREY Robert | Pas de commentaires »

Le Visage derrière le masque

Il y a quand même du bon dans le cinéma hollywoodien de ces années-là : un savoir-faire incomparable, une beauté formelle, une authenticité jusque dans les plus grands excès, et une manière d’oser la concision. Oui, on peut rétorquer que cette concision peut être liée à l’existence de double-programmes. Mais qu’importe. Le fait est que, en 1h09 d’une extrême densité, Robert Florey nous offre un récit qui, aujourd’hui, donnerait lieu à un film fleuve de trois heures, à une franchise, à une mini-série… ou à rien du tout.

Bref : 1h09 d’un destin sombre, tragique, humain et très émouvant, sans une minute de flottement, sans rien à jeter. 1H09 d’un cinéma puissant et simple à la fois, direct et intense, et d’une grande force visuelle. Robert Florey est un cinéaste intéressant, à défaut d’avoir une signature immédiatement reconnaissable. Un cinéaste qui sait glisser son talent au service de son histoire.

Les audaces visuelles de ce film-ci n’ont jamais rien de gratuit : elles épousent le regard de son personnage principal, immigrant polonais dont le sourire de gamin est effacé brutalement par un incendie qui le laisse défiguré. La mise en scène de Florey évolue en même temps que l’état d’esprit du personnage : légère et pleine d’allant lors des premiers en Amérique, profondément sombre après l’accident, intense et inquiétante lorsque le bon immigré devient gangster…

L’immigré, c’est Peter Lorre, dans l’un de ses rôles les plus riches. Complexes, aussi, constamment tiraillé entre l’anti-héros tragique, le romantique plein d’espoir, et le cynique résigné et déterminé. Il apparaît le visage ouvert et bienveillant. Il se découvre défiguré et inregardable, dans un état que la caméra de Florey ne dévoile jamais frontalement, jouant avec l’obscurité et ses cadrages pour susciter l’imagination la plus macabre.

Ce qui commençait comme une chronique pleine d’optimisme sur le rêve américain tourne alors au film d’horreur. Mais d’autres genres sont abordés : le film policier, le suspense, et même la romance qui ouvre les portes d’un possible happy end, lorsque l’homme inregardable, malgré son masque de normalité, rencontre une femme qui ne peut voir… 1h09 d’un cinéma puissant et généreux, porté par un acteur qui a rarement eu l’occasion de dévoiler autant de facettes de son talent.

Les Ecumeurs (The Spoilers) – de Ray Enright – 1942

Posté : 22 avril, 2023 @ 8:00 dans 1940-1949, DIETRICH Marlene, ENRIGHT Ray, WAYNE John, WESTERNS | Pas de commentaires »

Les Ecumeurs

Marlene Dietrich, John Wayne, Randolph Scott (sans oublier le vétéran Harry Carey)… Quelle affiche, quand même, que celle des Ecumeurs. La même d’ailleurs que celle de Pittsburgh, qui sera tourné quelques mois plus tard par Lewis Seiler. Mais cette affiche spectaculaire est quand même à nuancer…

D’abord, Marlene semble la quasi-caricature d’elle-même, jouant une énième fois la reine du saloon, et l’objet de toutes les convoitises. Ensuite, Wayne est encore un peu jeunot, manquant de cette présence inouïe qu’il aura dans tous ses films, y compris les moins bons, quelques années plus tard. Enfin, Scott n’est pas encore la grande figure westernienne qu’il deviendra dans sa maturité. Il reste l’acteur de comédie de ses débuts, le sourire constamment aux lèvres quelle que soit la situation.

Ce sourire pose rapidement problème, parce qu’il ne colle pas à son personnage pour le moins trouble, ni même à une histoire qui aurait mérité plus de noirceur, plus de gravité. Le sujet est sombre : la spoliation des terres dont on été victimes des prospecteurs en Alaska vers 1900, sous le couvert d’une pseudo-loi face à laquelle les individus se heurtaient à un dénis de leurs droits. L’histoire est passionnante, et édifiante, le rythme est impeccable… mais pourquoi diriger les acteurs avec tant de légèreté, quand le sujet est si sombre ?

Cette approche, presque de comédie, fait passer Enright à côté d’un film qui s’annonçait pourtant spectaculaire. Il est impressionnant, ce premier plan, montrant un train traversant la ville boueuse et bondée de monde de prospecteurs. Comme sont impressionnants toutes les scènes d’ensemble, cette manière de filmer la vie dans ce coin du monde, avec des moyens qui semblent importants : des décors magnifiques, des dizaines de figurants, de la boue partout, de la vie, du mouvement…

Impressionnante aussi, la grande scène de bagarre, d’une grande brutalité, et mettant en scène dans de nombreux plans très percutants les acteurs eux-mêmes, qui donnent beaucoup de leur personne. Alors oui, on prend un certain plaisir à voir ces trois grands noms se livrer à un dangereux triangle amoureux, mais avec le sentiment constant de passer à côté de quelque chose autrement plus grand.

Un peu comme cette scène courte et étonnante où le personnage de Marlene Dietrich croise dans son saloon un homme qui lui explique être en train d’écrire une histoire, qui sera celle de The Shooting of Dan McGrew, un fameux poème narratif évoquant la vie des pionniers en Alaska (et dont Tex Avery tirera son Shooting of Dan McGoo), étrange clin d’œil furtif et sans conséquence, qui ouvre des perspectives sans rien en faire.

Torpedo Squadron 8 (id.) – de John Ford – 1942

Posté : 18 avril, 2023 @ 8:00 dans 1940-1949, COURTS MÉTRAGES, DOCUMENTAIRE, FORD John | Pas de commentaires »

Torpedo Squadron 8

Torpedo Squadron 8 est une sorte de complément au documentaire que Ford a consacré à La Bataille de Midway. Le cinéaste était réellement sur place, et a rencontré les hommes à qui il rend hommage dans ce court film. Hommage simple et bouleversant : l’essentiel du film est une succession de courts plans dans lesquels les hommes, qui trouveront tous la mort dans la bataille, prennent la pose devant la caméra, à côté d’un bombardier.

Cette espèce de mausolée animé capte ces (jeunes) soldats dans cet univers que l’on devine de camaraderie. La plupart sont souriants, paraissent plein de vie, et sympathiques. Et c’est avec un énorme pincement au cœur qu’on les voit retenir un rire, dessiner un visage sur la bombe accrochée à l’avion, jeter un œil à un pote hors caméra dont on devine qu’il doit faire le pitre… Un dispositif simple, presque une série de photos, à peine animée, mais la vie est omniprésente.

L’apparition de chaque binôme est précédée par leurs noms. C’est une sorte d’appel aux morts funèbre, beau et digne, que Ford conclue par un beau plan de coucher de soleil sur la mer, sous un ciel bas et chargé. Plan filmé du porte-avion sur lequel se trouvaient les hommes, et pour le coup très fordien.

Sex Hygiene (id.) – de John Ford – 1942

Posté : 12 avril, 2023 @ 8:00 dans 1940-1949, COURTS MÉTRAGES, DOCUMENTAIRE, FORD John | Pas de commentaires »

Sex Hygiene

John Ford fait décidément preuve de pédagogie en ce début de l’engagement américain dans la guerre. Après un premier documentaire didactique dans lequel il livrait aux femmes tous les moyens d’être utile à l’effort de guerre (Women in Defense), le voilà qui s’adresse aux hommes, aux soldats qui seraient tentés par les escapades sexuelles d’un soir, au risque de se choper des maladies vénériennes.

Oui les gars, en vous laissant aller, vous menacer votre propre santé, et vous exposer aussi tout votre bataillon. Autant dire que sur une terre étrangère, loin du foyer américain, le risque est dépeuplé, et que l’armée n’a pas besoin de ça ! Voilà en substance le message martelé par ce documentaire projeté aux soldats de l’oncle Sam engagés dans le conflit. Et s’ils l’ont regardé avec autant d’attention que ceux que l’on voit dans le film, il a dû en faire réfléchir plus d’un.

Parce qu’il est assez remarquable, ce court documentaire, qui réussit le pari d’être à la fois complet, technique et clair, et jamais ennuyeux. Pour cela, Ford utilise plusieurs procédés. Brièvement celui de la fiction, en ouvrant son film avec une scène de genre courte et parlante : alors que des soldats passent la soirée entre eux, jouant au billard pour certains, l’un d’eux s’éclipse contre l’avis des autres, bien décidé à profiter de la soirée « en ville ».

On imagine bien ce que ça veut dire, le regard réprobateur des autres est un peu édifiant, on se dit qu’on va avoir droit à un film lourdement moralisateur… et il l’est d’une certaine façon. Mais le but étant clairement affiché, on ne peut que saluer la manière dont Ford entremêle la fiction et la démonstration, utilisant diagrammes évocateurs et images (d’archives?) d’examens médicaux, avec un grand sens de la pédagogie, et du spectacle.

C’est direct et même assez cru. Et Ford, plutôt prude habituellement dès qu’il s’agit de sexe, nous montre un nombre impressionnants d’hommes nus, de sexes attaqués par la syphilis, la gonorrhée ou d’autres maladies franchement dégueulasses. On a droit aussi aux traitements douloureux, au pus qui sort de l’urètre… L’objectif était d’interpeller les soldats sur les conduites à risques, il est largement atteint dans ce film dur, cru et didactique, et curieusement captivant.

Women in defense (id.) – de John Ford – 1941

Posté : 2 avril, 2023 @ 8:00 dans 1940-1949, COURTS MÉTRAGES, DOCUMENTAIRE, FORD John | Pas de commentaires »

Women in defense

John Ford n’est pas crédité au générique, mais il semble bien qu’on lui doive ce documentaire court et didactique, qui serait donc sa première contribution à l’effort de guerre, et la seule avant l’attaque de Pearl Harbor. Celle qui est créditée en revanche, c’est Eleanor Roosevelt, la première dame des Etats-Unis en personne, qui a écrit les textes que dit Katherine Hepburn en voix off.

Ford, en l’occurrence, n’est pas derrière la caméra, mais à la table de montage, pour assembler des images montrant comment les femmes peuvent participer à la défense de la démocratie. Après tout, « les femmes ont toujours été les gardiennes des maisons et des enfants, qui sont notre avenir », comme le concluent Eleanor et Katherine. Oui, c’est grandiloquent et très américain, très dans l’esprit du patriotisme de cette époque trouble.

Ce petit film a pour vocation d’expliquer comment les femmes peuvent être utiles. Et à quel point leurs qualités propres sont précieuses : ces mains menues qui leur permettent de manipuler les petites pièces indispensables pour les machines que leurs hommes conduiront ou piloteront sur le front, avec une patience qui n’appartient qu’à elles. Usines, hôpitaux, ateliers de couture, dons de sang… les décors s’enchaînent avec musique héroïque de rigueur, histoire de rappeler à quel point chaque femme a envie de s’engager à sa manière.

C’est martial et héroïque, très hollywoodien. Ça montre aussi à quel point la place de la femme dans la société a évolué ces dernières décennies. Bref, ça se remet dans le contexte, et ça se regarde comme une curiosité fordienne. Après tout, c’était pour la bonne cause.

Danger de mort – de Gilles Grangier – 1947

Posté : 13 mars, 2023 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 1940-1949, GRANGIER Gilles | Pas de commentaires »

Danger de mort

Grangier est un cinéaste dont il est bien difficile de savoir ce qu’il faut en attendre. Le noir lui va plutôt bien d’habitude, et ce Danger de mort est assez intriguant sur le papier : un pharmacien, tout à la joie de devenir père pour la première fois, réalise trop tard qu’il a confondu des flacons et ajouter du cyanure au sirop qui a fait sa renommée. Il se lance alors dans une course désespérée à travers la nuit pour retrouver les cinq personnes à qui il a vendu le sirop, pour éviter un drame, et sauver sa réputation.

Intriguant et même assez excitant. Mais dès les premières scènes, on sent bien que quelque chose cloche, et que Grangier hésite constamment sur la direction à prendre. Il y a de la comédie très légère dans le jeu de Fernand Ledoux, papa-quinqua-gâteau. Il y a du noir dans le personnage de collabo qui sort de prison, hanté par ses voix intérieures et sa culpabilité toute en voix off très « film noir ». Belle scène d’ailleurs que cette sortie de prison très paranoïaque, personnage intéressant et trouble dont le film ne fait pas grand-chose, sinon lui offrir une sortie de porte cynique et très discutable.

Sous ses faux airs de comédie teintée de suspense, le film offre une vision franchement glauque de l’humanité, dans cette petite ville de province d’apparence si tranquille. Et il n’y a guère que le jeune couple de passage qui semble trouver grâce aux yeux du cinéaste. Pas les gens du cirque en tout cas, occupés à martyriser « le nain » avec une cruauté déshumanisée comme on n’en voit pas si souvent au cinéma.

Un collabo, un jeune couple de passage, un nain… Drôle de bestiaire, auquel on aurait bien du mal à trouver un lien. Cette histoire de flacon empoisonné ressemble à un argument pour enchaîner des scènes plus ou moins inspirées sur le même thème : comment le pharmacien va-t-il pouvoir subtiliser le sirop le plus discrètement possible, pour éviter l’accident et le scandale…

C’est inégal, et c’est surtout très répétitif, avec le sentiment de faire du sur-place, et un enjeu dramatique qui s’essouffle vite. On a connu Grangier plus inspiré, pour le coup.

La Vie en rose – de Jean Faurez – 1948

Posté : 28 février, 2023 @ 8:00 dans 1940-1949, FAUREZ Jean | Pas de commentaires »

La Vie en rose

Dans un collège, le jour de la remise des prix, un enseignant tente de se suicider dans sa chambre. Un jeune surveillant intervient juste à temps, et se plonge dans le journal intime de l’homme, découvrant page après page les événements qui l’ont conduit à cette extrémité.

Et c’est l’auto-portrait d’un quadragénaire charismatique, à la faconde irrésistible, qui se dessine de sa propre main, dans ce journal intime qui prend vie devant nos yeux. Mais ce n’est que la première partie de ce film malin et réjouissant. La seconde offre un regard extérieur et objectif sur les mêmes événements, nettement moins flatteurs pour le « suicidé », homme effacé incapable d’extérioriser ses sentiments.

La Vie en rose n’est pas un cas unique dans l’histoire du cinéma, loin de là. A peu près à la même époque, pour ne citer que celui-là, Duvivier refera le coup du changement de point de vue dans son malin La Fête à Henriette, au procédé comparable sur un tout autre sujet. Il y a un point commun évident entre les deux films, au-delà du fait que ce sont deux merveilles : tous deux sont dialogués par Henri Jeanson.

Et ils sont importants, les dialogues, dans ce qu’ils disent du fossé qui sépare l’homme qu’est réellement cet enseignant effacé, et celui qu’il se fantasme. Et ce fossé est profond, d’une vérité dérangeante. Sous les attraits de la comédie, que suggère le dynamisme et la jeunesse éclatante de François Périer, c’est un drame étonnamment cruel qui se noue, Jean Faurez (cinéaste que je découvre avec enthousiasme) nous plongeant mine de rien dans la psyché d’un homme méprisé, qui passe à côté de sa vie sans que quiconque s’en soucis.

Dans ce rôle, double et passionnant, une autre révélation : Louis Salou, loin de son personnage hautain des Enfants du Paradis. Il est le pivot du film. Sa prestation dans le sublime et dans le pathétique est d’une intensité folle, digne des plus grands, inoubliables. Une révélation, une vraie.

Les Enfants du Paradis – de Marcel Carné – 1945

Posté : 12 février, 2023 @ 8:00 dans 1940-1949, CARNÉ Marcel | Pas de commentaires »

Les Enfants du Paradis

Que peut-on attendre d’un film qu’on a si souvent placé en tête du classement des plus beaux du cinéma français, et qu’on n’a pas revu depuis si longtemps ? D’être envoûté, enthousiasmé, bouleversé, emballé, en un mot emporté. Emporté par l’ambition de la reconstitution de ce Paris du XIXe siècle, emporté par la magie des mots de Jacques Prévert, emporté par l’interprétation habitée, par l’ampleur du drame romanesque…

J’ai bien peur de ne pas être original : Les Enfants du Paradis est une merveille, un bonheur de 3 heures et 9 minutes dont on aimerait qu’il ne s’arrête jamais. Le plus beau rôle d’Arletty, Garance pour l’éternité. Le plus beau rôle de Pierre Brasseur, flamboyant Frédérick Lemaître. Le plus beau rôle de Jean-Louis Barrault, Baptiste Debureau si intense, si tragique. Le plus beau rôle d’à peu près tout le monde à vrai dire, tant ce drame ample et intime à la fois laisse de la place à tous.

Les Enfants du Paradis est ce qu’on appellerait aujourd’hui un blockbuster, une grosse machine. Des décors extraordinaires de Trauner, des dizaines de figurants, des tas de rôles parlants, des intrigues qui s’entremêlent, deux époques qui se répondent (le film est divisé en deux longs métrages)… Dès le générique de début, la musique de Kosma et Thiriet annonce l’ambition et la démesure du projet. Encore que démesure ne soit sans doute pas le terme le plus précis : les moyens sont immenses, et semblent même illimités, mais le film frappe surtout par l’intensité et la maîtrise qui s’en dégagent, une sorte d’état de grâce qui ne s’éteint jamais.

« Paris est tout petit pour ceux qui s’aiment comme nous d’un si grand amour. » « Je ne suis pas belle, je suis vivante. » « Vous êtes riche et vous voudriez être aimés comme un pauvre. » Les grands dialogues grandiloquents peuvent être plombants. Ceux que glisse Prévert dans la bouche d’Arletty sont d’une beauté sidérante, comme cette gouaille si joyeuse qui laisse la place à une distinction si désabusée. C’est beau, renversant, poétique et tragique.

Le scénario et les dialogues sont magnifiques, c’est un fait. De là à attribuer au seul Prévert la réussite du film, il y a un pas qu’il serait bien injuste de franchir. Carné est bien plus qu’un illustrateur : de ce scénario si ample, de tous ces personnages qui se croisent sur un boulevard du crime bondé, il tire un film où tout coule de source, fluide et intense, drôle et poignant, d’un seul mouvement complexe et pluriel.

Dans ce vaste mouvement qui emporte tout, on croise une artiste paumée, libre et amoureuse, un célèbre mime, un grand acteur, un tueur anarchique… Mais au fond, uniquement des êtres qui tentent chacun à leur manière de dompter leur solitude. Un film en état de grâce. Allez… On refait un classement des plus beaux films du monde ?

Bagarres – de Henri Calef – 1948

Posté : 7 février, 2023 @ 8:00 dans 1940-1949, CALEF Henri | Pas de commentaires »

Bagarres

Etrange titre pour ce film où on n’assiste à peu près à aucune bagarre, si ce n’est un bref affrontement qui n’excède pas les cinq secondes à l’écran. Mais il est question d’affrontements, sourds et silencieux, entre à peu près tous les hommes de la distribution, tous membres d’une même petite communauté, et prêts à s’entretuer pour les faveurs d’une belle jeune femme.

C’est en tout cas la seconde moitié de ce film assez fascinant de Henri Calef, cinéaste un peu tombé dans l’oubli. La première est tout aussi tendue, mais sur un autre registre : la belle, Carmelle (jouée par Maria Casarès) est poussée par le jeune homme qu’elle aime à se mettre au service du riche paysan de la région, réputé pour profiter de sa position avec les femmes. Si elle pouvait se le mettre dans la poche et en profiter financièrement…

Le regard sombre et triste de Maria Casarès est magnifiquement filmé, femme fière et sacrifiée qui n’aspire qu’à la liberté dans ses montagnes, et qui est confrontée à la mesquinerie et à la brutalité des hommes. Le riche paysan d’abord, formidable Jean Brochard, dont Calef révèle le côté pathétique et solitaire derrière la pure brutalité. On le découvre abattant son chien devenu trop vieux. « Ce qui ne me sert plus à rien ne me donne jamais d’émotion », lance-t-il, bravache.

Mais Calef sait capter par de petits détails, des silences surtout, une vérité plus nuancée derrière les apparences : la dureté du riche Rabasse, ou la bonté de son employé Giuseppe (Edouard Delmont). Il filme un monde dur, où les femmes font ce qu’elles peuvent pour surnager, sans pouvoir trouver de réconfort dans ce qui leur sert de foyer (un « frère » joué par Mouloudji, plus menaçant que rassurant). Même la musique de Kosma, lyrique et romantique, apparaît comme étouffante tant elle est présente par moments.

Calef ne laisse guère de place pour la légèreté, n’accordant à son héroïne que de brèves respirations solitaires dans les montagnes. L’amour n’est pas loin, bien sûr, mais il sera d’emblée marqué par le destin. Vrai film noir. Beau film cruel.

12345...41
 

Kiefer Sutherland Filmographie |
LE PIANO un film de Lévon ... |
Twilight, The vampire diari... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | CABINE OF THE DEAD
| film streaming
| inderalfr