La Femme à abattre (The Enforcer) – de Bretaigne Windust et Raoul Walsh – 1951
Comment un réalisateur aussi obscur que Bretaigne Windust, qui n’a à son actif qu’une série de comédies à la pauvre réputation, a-t-il pu signer un polar aussi efficace et moderne que The Enforcer ? L’immense Raoul Walsh a apporté la réponse en en revendiquant la paternité, ce qu’on n’a aucun mal à croire, tant on sent derrière ce chef d’œuvre tendu et violent la patte du cinéaste de White Heat, autre polar qui, deux ans plus tôt, modernisait radicalement le genre.
La construction du film est formidable, avec une habile superposition de flash-backs qui permettent de concentrer l’action en une seule nuit, tout en résumant une très longue enquête criminelle. Et quelle enquête : le procureur Humphrey Bogart (d’une puissance inégalable) enquête sur d’étranges meurtres, et découvre peu à peu l’existence d’une véritable entreprise basée sur le crime, et dirigée par un mystérieux patron.
Le film commence en pleine nuit, avec l’arrivée sous bonne garde dans les locaux du tribunal de Rico, un gangster qui, le lendemain matin, doit témoigner à la barre et faire condamner son ancien patron. La première partie du film nous montre un Rico terrorisé par un chef à l’aura diabolique, qui préfigure avec près d’un demi-siècle d’avance le Keyser Soeze de Usual Suspects : il finira par se tuer (involontairement, certes) plutôt que d’affronter une vengeance bien pire que tout ce que la justice peut lui faire…
On ne sait alors rien des crimes commis auparavant. Et c’est en replongeant dans son dossier pour tenter d’en sortir le détail qui fera condamner le prisonnier, que le proc Bogart revit les grandes étapes de cette enquête hallucinante. Tranchant avec les grands films de gangster des années 30, ou avec le film noir des années 40, The Enforcer adopte un rythme et une surenchère de violence d’une incroyable modernité. Les meurtres se succèdent, la violence va crescendo, et la tension est hallucinante.
La construction en flash backs permet de doser parfaitement ces moments de tension et ces accès de violence, avec une brutalité constante et une absence totale de bons sentiments. Si les méchants sont vraiment méchants, ou totalement pathétiques, les « héros » n’ont rien de chevaliers blancs non plus. Pour obtenir ce qu’il veut, Bogie n’hésite pas à menacer de placer l’enfant d’un complice, ou à acculer un autre à se tuer, tandis que son bras droit menace de faire sauter la tête d’un prévenu… Elle est belle, la police !
Pas la moindre trace d’humour à l’horizon, et c’est une bonne chose : on sort du film haletant et les muscles noués. Même si la résolution de l’enquête est un peu tirée par les cheveux, la séquence finale tournée en extérieurs dans des rues bondées est un sommet de suspense et d’efficacité, grâce à un scénario malin, et surtout à une mise en scène et un montage hyper percutants…