Alain Delon est mort. L’info ne vous a peut-être pas échappé. Moi, elle m’a secoué, bien plus que je ne l’aurai cru. Parce que, du haut de mes 48 ans, il m’est toujours apparu comme une figure du passé, qui appartenait déjà à une autre époque bien révolue quand j’ai commencé à fréquenter les salles de cinéma. Combien de dois l’y ai-je vu sur un grand écran ? Je me souviens d’1 chance sur 2, et du plus beau passage des Acteurs. Mais dans les deux cas, il se contentait de jouer avec sa légende.
Sa mort, pourtant, m’a marqué plus qu’aucun autre acteur français avant lui. Comme si, sans que j’en ai conscience, il avait toujours fait partie de mon panthéon. Pourquoi ? Humainement, il ne donnait pas franchement envie de partager des soirées. Artistiquement, il avait depuis bien longtemps abdiqué, se réfugiant derrière un passéisme complaisant. Politiquement, n’en parlons pas.
Ces derniers jours, j’ai donc revu pas mal de ses films (déjà chroniqués sur ce blog), histoire de comprendre d’où venait ce profond sentiment de grande perte. Plein Soleil, Le Samouraï et quelques autres ont apporté un début de réponse : cette présence hallucinante, cette douleur renfermée, et ce regard qui en dit tellement derrière un visage qui semble impassible. Delon est un acteur qui peut être formidable.
Découvrir L’Insoumis (c’était la plus longue intro depuis la création de ce blog) apporte un autre éclairage, plus éclairant encore, sans doute. Quand il tourne ce film du jeunot Alain Cavalier, Delon est déjà une star : Clément et Visconti lui ont offert de très grands rôles, Gabin l’a adoubé… Bref, il peut faire ce qu’il veut, et il en a conscience : il décide de produire ses propres films, et L’Insoumis est le premier qu’il porte à bout de bras.
Et quel rôle s’offre-t-il dans ce premier film produit par lui-même ? Celui d’un déserteur de la guerre d’Algérie. Pas un lâche, non : la première séquence montre que ce n’est pas le cas. Mais un soldat qui déserte parce qu’il ne croit pas en la cause pour laquelle il est censé se battre. Bien loin de l’image de réac de droite qu’il a toujours trimballée.
Non pas que cette image soit fausse d’ailleurs : lui-même ne s’en défendait pas, et se complaisait même à l’alimenter ad nauseum. Mais les idées de l’homme n’ont finalement jamais pesé sur les choix de l’acteur, et c’est peut-être ça qui est le plus beau chez Delon, capable de s’engager pour un film anti-peine de mort (Deux hommes dans la ville), lui qui était favorable, ou d’incarner sans retenue un homosexuel (Un amour de Swann), lui qui trouvait ça contre-nature.
Et je me rend bien compte que je parle bien peu de L’Insoumis, et c’est bien injuste. Parce que ce film, franchement méconnu dans la filmographie de Delon, est l’un de ses meilleurs, un beau film engagé qui prend les allures d’un film noir pour raconter la déroute d’un homme qui, au fond, refuse simplement de suivre les diktats de la société. Un homme qui choisit la liberté, en sachant que ce choix l’emmène dans une véritable impasse.
Delon est particulièrement touchant dans le rôle de cet anti-héros, qui semble condenser sa vie en quelques heures, dans une fuite en avant passionnante et amère. Ce grand rôle méconnu, dans un film qui l’est tout autant, pourrait bien être, paradoxalement, une belle porte d’entrée pour découvrir ou redécouvrir la carrière de l’acteur, au-delà des stéréotypes dans lesquels il s’est lui-même complu.