En liberté – de Pierre Salvadori – 2018
Après huit ans de prison, un homme rentre chez lui où sa femme ne l’attendait pas si tôt. Les retrouvailles sont ratées, et elle lui demande de sortir pour recommencer son arrivée. Et encore une fois. La situation est improbable, pas réaliste pour deux sous même. Pourtant, Pierre Salvadori touche au plus profond de l’humanité de ses personnages dans cette séquence sublime, euphorisante et bouleversante. L’espace de quelques instants, c’est simplement le cinéma dans ce qu’il peut avoir de plus beau, et de plus vrai.
Et avec cette scène, Salvadori met définitivement sur ses rails une comédie qui avait jusqu’alors une petite tendance au flottement. Comme si tout ce qui précédait n’était qu’une introduction, un passage obligé pour en arriver là. Ce qui n’est pas tout à fait vrai : dès les premières images, pour le moins inattendues, on sent la volonté du cinéaste de sortir de sa zone de confort, en proposant quelque chose de plus déjanté que ses précédents films.
Pierre Salvadori qui se lance dans la comédie d’action potache ? N’exagérons rien… Les premières images, qui nous montrent les exploits d’un super-flic qui vient à bout à lui seul d’un gang de dangereux trafiquants, annonce en fait tout autre chose, qui pour le coup colle parfaitement au cinéma de Salvadori : la fiction est le meilleur moyen de donner corps à la vérité. Et qu’importe si cette vérité n’est qu’un leurre : au moins dit-elle beaucoup de celui qui la raconte.
On a donc un ex-taulard, Pio Marmaï, qui a passé huit ans en prison pour un braquage qu’il n’a pas commis, et dont la colère qui couve gâche ses retrouvailles avec sa femme, Audrey Tautou. On a aussi la veuve d’un grand policier, flic elle-même (Adele Haenel), qui apprend par hasard que son mari était un ripoux et a piégé le pauvre Pio. Et un autre flic transi d’amour pour elle (Damien Bonnard).
Soit quatre personnages magnifiquement écrits, et interprétés par quatre acteurs absolument formidables. Audrey Tautou ? D’une intensité et d’une justesse extraordinaires, simplement magnifique dans cette scène où elle demande à son homme de rejouer son arrivée, un peu comme le gamin d’Adele Haenel demande à sa mère de raconter les exploits de son père disparu.
Il y a une sorte de jolie naïveté dans ces rapports humains qui ne vont que par couple, comme si une seule personne suffisait à combler la solitude de chacun d’entre eux. C’est aussi pour ça que les personnages centraux d’Adele Haenel et Pio Marmaï sont si forts : eux sont tiraillés entre deux couples possibles, l’un très cinématographique, l’autre ancré dans quelque chose de plus quotidien, et pourtant de plus beau encore.
Salvadori a une manière toute personnelle de confronter le banal et l’extraordinaire dans ce film-ci, et toujours au profit du banal. Ses personnages sautent d’une falaise, ou se retrouvent face à l’explosion spectaculaire d’un restaurant de bord de mer. Pourtant, les plus beaux moments sont un face à face dans un petit bistrot-PMU, ou une soirée dans une fête foraine.
Ou encore une déclaration d’amour au féminin dans un commissariat, scène touchante et irrésistible où Salvadori fait se côtoyer l’émotion la plus pure et un humour quasi-burlesque, rappelant une nouvelle fois, au-delà même de l’importance qu’il donne aux portes (celles des retrouvailles, ou celle de la chambre de l’enfant), qu’il est le plus digne héritier actuel de Lubitsch.