La Petite – de Guillaume Nicloux – 2023
Dès les premières images, on sent qu’il se passe quelque chose dans ce film : des gros plans sur les mains d’un ébéniste d’art, qui retape de vieux meubles. Les gestes sont précis, l’ouvrage sent bon le bois noble. Ces mains, ce sont celles de Fabrice Luchini, que ces belles images présentent sous un jour qui semble inédit. Le voilà manuel, et taiseux, plus barbu que d’habitude, plus voûté aussi…
Quelques images seulement, et on sent le poids de la vie sur cet homme fatigué et peu aimable. Que l’on découvre apprenant la mort de son fils et du compagnon de ce dernier, victimes d’un accident d’avion. Lorsqu’il croise les proches des autres victimes, il paraît si froid, si lointain, si tourné vers lui-même : « J’aurais aimé qu’il s’intéresse », lance-t-il à propos de ce fils mort. « A mon travail, ajoute-t-il, j’aurais aimé qu’il entre dans mon atelier sans traîner les pieds. »
Il apparaît fragile, mais tourné vers lui-même, ce personnage, que Luchini incarne avec une retenue qu’on ne lui a peut-être jamais vue. Même son phrasé si singulier s’efface au profit d’une présence, d’une douleur renfermée, puis d’une intensité retrouvée, mais toujours contenue. Après le Guillaume Canet d’Acide, cette prestation là rappelle que notre bon vieux cinéma français : a) se porte bien ; b) peut compter sur quelques acteurs formidables.
Il est donc exceptionnel, Luchini, en homme vieillissant qui semble avoir démissionné de la vie depuis la mort de sa femme, mais qui relève la tête après la mort de ce fils qu’il avait d’une certaine manière déjà perdu. Lorsqu’il apprend que le rejeton et son mec attendaient un bébé, grâce à une mère porteuse en Belgique, il se met en tête de créer des liens avec le petit-fils à naître.
Au temps pour les préjugés qu’on a un peu vite fait de se forger : cet homme si détaché en apparence ne l’est finalement pas du tout. « Pardonne moi ma fille, je ne vais pas bien », lâche-t-il sans un trémolo, dans un élan de fragilité contenue dont la sobriété même est absolument bouleversante. Le voilà donc, seul, lancé sur la piste de cette mère porteuse qui ne l’attend pas, et n’attend rien de lui.
Un personnage étonnant, auquel la jeune Marie Taquin apporte un caractère explosif et sensible qui emporte tout… si ce n’est Luchini lui-même, avec qui se crée une relation complexe et magnifique. Comme celle entre Luchini et sa fille, jouée par une épatante Maud Wyler. Ou celle entre la mère porteuse et sa fille de 9 ans.
Pour Guillaume Nicloux, les relations humaines ne sont pas simples. Mais elles sont belles. La paternité n’est pas simple, non plus. Mais elle est belle. Sans esbroufe, et même avec une certaine austérité, Nicloux signe un film très beau, qui a tout pour plonger dans le pathos, mais qui se dirige constamment du côté de la lumière. Me voilà totalement sous le charme.