Nelly et monsieur Arnaud – de Claude Sautet – 1996
Ils ne sont pas très nombreux, les grands cinéastes qui tirent leur révérence sur un chef d’œuvre. Claude Sautet est de ceux-là. Et comme Huston (Gens de Dublin) ou Ozu (Le Goût du Saké), son ultime film est à la fois une magnifique épure, la quintessence d’une certaine vision du cinéma et de l’humanité et, plus beau encore peut-être, un authentique chant d’adieu.
Savait-il que Nelly et monsieur Arnaud serait son dernier film ? Il y a en tout cas dans ce film sublime une douceur et une nostalgie immenses, et le sentiment que Sautet s’y livre comme peut-être jamais auparavant. Peut-être est-ce la ressemblance troublante de Michel Serrault et du cinéaste (les photos du tournage sont troublantes), mais jamais auparavant Sautet n’avait donné à ce point l’impression de filmer à la première personne.
Serrault, formidable dans le rôle de cet ancien juge idéaliste, ancien homme d’affaire redoutable… bref, un homme complexe et passionné, désormais enfermé dans une retraite bien rangée, et bien solitaire, que bouleverse l’arrivée d’une toute jeune femme, un peu paumée, un peu distante, mais terriblement belle et vivante. Emmanuelle Béart, que Sautet retrouve après Un cœur en hiver, déjà très beau film.
Entre ces deux personnages qui nouent une relation d’abord professionnelle (elle tape à l’ordinateur le manuscrit des mémoires qu’il écrit), c’est une véritable passion qui surgit, inattendue, inexplicable, et impossible. Ce n’est même pas une question d’âge, mais une question de perspective. Sautet, cet éternel amoureux des femmes, le sait bien : qu’offrir à une femme qui entre dans la vie, quand soi-même on en sort…
Pourtant, cette passion est réciproque. Platonique, certes, et pleine de respect, mais bouillonnante, et douloureuse. Il y a d’ailleurs au cœur du film un moment sidérant de douceur et de violence à la fois, le « Allez vous faire sauter » le plus déchirant de l’histoire du cinéma, ce regard triste et blessé d’Emmanuelle Béart, cette morgue balayée par la honte de Michel Serrault (qui mérite 100 fois son César)…
Des moments de pure émotion comme celui-ci, il y en a plusieurs dans Nelly et monsieur Arnaud. Des regards complices autour d’une amie se lamentant dans une salle de bain, la surprise d’apprendre un départ soudain, le doute terrible au moment de partir… Des petits riens, et d’immenses émotions. La quintessence du cinéma de Sautet. En mieux. Magnifique chant du cygne.