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Archive pour la catégorie 'VON STERNBERG Josef'

Fièvre sur Anatahan (Anatahan / The Saga of Anatahan) – de Josef Von Sternberg – 1953

Posté : 3 avril, 2021 @ 8:00 dans 1950-1959, VON STERNBERG Josef | Pas de commentaires »

Fièvre sur Anatahan

Sternberg disait que sa carrière s’était achevée en 1935, date de sa dernière collaboration avec Marlene Dietrich. C’est dire si sa muse et ancienne compagne a profondément marqué l’homme, autant que le cinéaste. Parce que sa carrière postérieure, certes inégale, est jalonnée de merveilles à peu près jusqu’au bout. C’est-à-dire jusqu’à ce Fièvre sur Anatahan, sorte de condensé ou d’aboutissement de son œuvre.

Sans doute a-t-il fait mieux auparavant. Shanghai Express, pour ne citer qu’un chef d’œuvre. Mais ce film tardif a un aspect jusqu’au-boutiste qui semble être ce vers quoi Sternberg se dirigeait depuis ses débuts. L’Orient a souvent été important dans ses films. Cette fois, il signe (presque) un film japonais, dont tous les personnages sont des Japonais qui s’expriment dans leur langue. Sans sous-titre.

L’histoire est racontée par une voix off : celle d’un personnage dont on ignore duquel il s’agit. Ou plutôt celle du groupe dans son ensemble, qui s’exprime en anglais hélas, choix qui représente à peu près la seule concession aux contraintes du cinéma occidental. Choix qui, hélas, crée une espèce de distance qui nuit un peu au côté immersif du film.

Un groupe de soldats japonais, échoué en 1944 sur une île presque déserte, où ne vivent qu’un homme et une femme, coupés du monde. Durant sept ans, ils vont cohabiter tant bien que mal, ignorant que le Japon a capitulé. Une femme et tant d’hommes… La discipline militaire laisse peu à peu la place aux bas instincts humains, retour à une sorte de sauvagerie dont personne ne sortira vraiment grandi.

La moiteur de la jungle, les instincts animaux qui surgissent dans des conditions extrêmes… Sternberg nous plonge dans cette île coupée du monde, comme il nous plonge dans les tourments humains, avec un réalisme troublant. D’autant plus troublant que le film est quasi entièrement tourné en studio, dans des éléments de décors souvent très restreints, mais qui suffisent au cinéaste pour donner du corps à cette histoire aussi improbable que vraie.

Sternberg tournera encore un film, Jet Pilot avec Janet Leigh et John Wayne. Mais ce film, tourné loin d’Allemagne et d’Hollywood, autour d’une culture qui n’est pas la sienne mais qu’il s’approprie avec passion (la place grandissante des chansons populaires japonaises entonnées par les personnages, fascinante) s’apparente bien à un chant du cygne…

Crépuscule de gloire (The Last Command) – de Josef Von Sternberg – 1928

Posté : 15 avril, 2020 @ 8:00 dans 1920-1929, FILMS MUETS, VON STERNBERG Josef | Pas de commentaires »

Crépuscule de gloire

Le succès des Nuits de Chicago, superbe film noir, a donné des ailes à Sternberg, qui s’offre un grand film sur la Révolution russe, un genre incontournable dix ans après les faits, pour beaucoup de grands cinéastes. Entre deux chefs d’œuvre (suivra Les Damnés de l’océan), ce Crépuscule de gloire ferait presque figure de petite œuvre mineure. On est quand même loin de la splendeur visuelle de ces deux autres films, ou même de la fascination qu’ils exercent.

Reste que Sternberg signe un film passionnant, et très original par son introduction et sa conclusion dans les coulisses d’Hollywood, où les ennemis d’hier se retrouvent : ancien révolutionnaire et ancien général tsariste, qu’un tournage de film réunit en inversant les rôles. Cruellement.

Le film prend assez clairement fait et cause pour la « Grande Russie ». Moins pour une quelconque vision politique des choses que pour une attirance pour un certain romantisme : la grandeur de la perte, en quelque sorte. Le « héros », joué par Emil Jannings, assez grandiose, est un homme qui fut immense et qui a tout perdu, jusqu’à ses illusions lors d’une séquence centrale dure et bouleversante, l’un des rares moments spectaculaires d’un film qui, par ailleurs, prend le temps de s’attacher aux détails.

C’est flagrant dès l’introduction, qui décrit longuement le quotidien anti-glamour au possible d’un petit figurant dans la grande machine hollywoodienne, repoussant étrangement le cœur du film, ce long flash-back d’une heure dans les derniers jours de la Russie des tsars.

La révolution n’est guère sympathique, donc, malgré la présence de William Powell (première fois que je le vois sans la parole) en révolutionnaire devenu réalisateur puissant et revanchard. Mais le tsar lui-même est (brièvement) mis en scène comme un pantin un peu ridicule, et coupé du monde.

Et puis cette improbable histoire d’amour, étrangement touchante, à peine abordée finalement, mais qui donne au film une vraie profondeur, et au passage entre les deux époques, une douleur profonde et vraiment perceptible. Comme un symbole de l’entente impossible entre deux mondes.

Les Nuits de Chicago (Underworld) – de Josef Von Sternberg – 1927

Posté : 25 mai, 2019 @ 8:00 dans * Films de gangsters, 1920-1929, FILMS MUETS, VON STERNBERG Josef | Pas de commentaires »

Les Nuits de Chicago

Josef Von Sternberg est encore un quasi-débutant lorsqu’il signe ces Nuits de Chicago, déjà un très grand film qui bouscule, et qui remue. Presque un débutant, parce que Sternberg n’avait pas eu l’occasion de confirmer ses premiers pas convaincants (avec Salvation Hunters, en 1925) : The Masked Bride et The Exquisite Sinner lui sont retirés des mains, et le mythique Woman of the Sea aurait carrément été détruit par son producteur Charles Chaplin…

Autant dire qu’il revient de loin, Sternberg, ce dont tous les cinéphiles du monde peuvent se réjouir, tant ce film, visuellement très fort, surprend aujourd’hui encore par la puissance de ses accès de violence. Son succès a d’ailleurs boosté le genre du « film de gangsters » (Scarface n’est pas loin), l’inspirant même très durablement.

C’est un monde d’hommes burnés et burinés que filme Sternberg, le monde des voyous, des gros durs, prêts à s’entre-tuer pour un regard ou pour une humiliation. La scène d’ouverture, d’ailleurs, annonce avec trente ans d’avance celle de Rio Bravo : même situation, même confrontation d’un gros bras sadique et d’un alcoolique pathétique qui trouvera la rédemption.

Ce dernier, c’est Clive Brook, parfait en esthète des bas-fonds, qui tombe amoureux de la fiancée du caïd à qui il doit sa rédemption, joué avec truculence par George Bancroft. On voit bien où tout ça nous mène, et on y va bel et bien, triangle amoureux à hauts risques sur fond d’hyper-violence.

Josef Von Sternberg filme superbement la naissance du sentiment amoureux (captant un regard, une main qui en effleure une autre) avec beaucoup de grâce. Il sait aussi créer la tension en filmant la rudesse (c’est un euphémisme) de ce monde, ou un règlement de compte, cinglant et glaçant. Jusqu’à la séquence finale, hallucinante explosion de violence…

Les Damnés de l’océan (The Docks of New York) – de Josef Von Sternberg – 1928

Posté : 21 mai, 2019 @ 8:00 dans 1920-1929, FILMS MUETS, VON STERNBERG Josef | Pas de commentaires »

Les Damnés de l'océan

La suie et la sueur dans l’antre d’un paquebot, l’alcool bon marché et les femmes faciles des bas-fonds… Josef Von Sternberg apporte une vérité stupéfiante à cette chronique d’un amour naissant, à laquelle il refuse à peu près tout semblant de romantisme.

C’est le Sternberg première génération : celui de l’avant-Marlene, sa période muette, pas la moins intéressante, comme le confirme ce film d’une puissance visuelle rare. Chaque image semble comme volée à cet environnement hostile, comme s’il emmenait réellement le spectateur (et les personnages) dans ce troquet puant et peu aimable, dans cette chambre sans charme et sans chaleur, ou dans cette soute à la chaleur infernale.

Drôle de couple aussi : George Bancroft en gros bras viril qui se surprend à s’attacher à cette jeune femme qu’il a sauvée de la noyade, et qu’il épouse presque par bravade. Et Betty Compson, prostituée dépressive, tellement reconnaissante du sort que lui réserve ce type mal dégrossi.

Entre eux, dans ce décor fascinant mais hostile (le personnage du bar, par exemple, aurait sans doute été bienveillant devant la caméra de n’importe quel autre réalisateur), Sternberg filme la naissance de la tendresse. Ce n’est pas de la passion, peut-être même pas de l’amour, mais cette tendresse, dans ce décor-là, a quelque chose d’une pureté bouleversante.

Cette femme est mienne (I take this woman) – de W.S. Van Dyke (et Josef Von Sternberg, et Frank Borzage) – 1940

Posté : 1 avril, 2019 @ 8:00 dans 1940-1949, BORZAGE Frank, VAN DYKE W.S., VON STERNBERG Josef | Pas de commentaires »

Cette femme est mienne

Une production chaotique, de multiples interruptions de tournage, une valse des réalisateurs : Von Sternberg débarqué, remplacé brièvement par Borzage, puis par W.S. Van Dyke qui signe le film, un couple d’acteurs qui semble ne pas s’être super bien entendu… I take this woman a toutes les raisons d’être un film bâtard et poussif. Ô miracle, il n’en est rien.

C’est même un très joli film que réussit… ce triumvirat informel. Et un film qui commence fort, avec Spencer Tracy qui met K.O. Hedy Lamar d’un coup de poing en pleine figure tout à fait volontaire, après deux minutes à peine ! Il faut dire que la belle, riche oisive plaquée par son amoureux, était sur le point de se jeter à l’eau, en pleine traversée de l’Atlantique. Il faut dire aussi que Spencer est toubib, et qu’il est donc bien placé pour savoir quand un bon coup de poing est l’unique solution pour calmer une hystérique.

Bien sûr, ces deux-là vont tomber amoureux. Et bien sûr, ces deux-là vivent dans des mondes radicalement différents : lui soigne les pauvres dans une clinique gratuite, et il est particulièrement heureux de sa situation. Elle cherche un sens à sa vie, elle va le trouver grâce à lui… Le thème est très borzagien, ce qui laisse penser que notre cinéaste préféré s’est investi un peu plus que ce qu’on veut bien dire dans la production. Le film s’inscrit d’ailleurs parfaitement dans sa filmographie : on y retrouve son romantisme, le naturel de ses histoires d’amour, mais aussi son refus du manichéisme.

Spencer Tracy aussi, que Borzage a déjà dirigé dans trois très beaux films, et qui est encore une fois formidable de naturel et d’intensité. Le couple qu’il forme avec Hedy Lamar, malgré les tensions sur le plateau, est irrésistible. Il faut dire que l’actrice est absolument magnifique dans ce rôle humble et presque en retrait. Il se dégage de ce couple comme une évidence que l’on retrouve dans tous les couples du cinéma de Borzage.

Et puis on croise Louis Calhern, Jack Carson ou Paul Cavanagh, et des tas de seconds rôles filmés avec une bienveillance réjouissante. Un pur plaisir, donc. Quand même… la dernière scène lorgne tellement ouvertement du côté de Frank Capra que ce final manque de naturel pour le coup, et que l’émotion qu’on en entend reste superficielle. Un simple bémol, rien de plus…

Au service de la loi (Sergent Madden) – de Josef Von Sternberg – 1939

Posté : 18 avril, 2018 @ 8:00 dans * Films noirs (1935-1959), 1930-1939, VON STERNBERG Josef | Pas de commentaires »

Au service de la loi

Le sens du sacrifice, celui de l’écoute, la compréhension, et un cœur gros comme ça… Sternberg n’y va pas avec le dos de la cuillère pour sanctifier les policiers, avec ce portrait d’un petit flic des rues dont le fils tourne mal.

Film à la gloire des forces de l’ordre, Sergent Madden assume complètement ce chant d’amour pour les policiers. « Certains sont durs, d’autres sont plus à l’écoute. Mais la plupart sont de bons flics » lance d’ailleurs le personnage principal, joué par Wallace Beery, très émouvant dans un rôle de bon gars nettement plus complexe et profond que ce qu’il a l’habitude de jouer.

Le simple fait d’avoir réussi ce film est une sorte de miracle. Certes, on n’est pas dans la grande période de Sternberg et de ses très grands chefs d’œuvre de la fin des années 20 et du début des années 30. Marlene est partie vers d’autres cinéastes, et lui a un mal fou à se retrouver. Certes.

Mais malgré tous ses excès, Sergent Madden est un film profondément émouvant. Peut-être parce qu’il parle de sentiments simples et sincères, de liens familiaux, et d’un immense gâchis.

Le film met aussi en scène une étonnante famille recomposée, et les erreurs d’un père bon et aimant, qui croit pouvoir amener son fils naturel sur ses propres traces, et lui faire passer ce goût du sang qui l’habite. Un père qui réalise trop tard que ses vrais héritiers sont les enfants qu’il a adoptés, et pas son fils naturel.

Le style de Sternberg surgit subrepticement à quelques reprises : lorsqu’Eillean (Laraine Day) entre dans une pharmacie et que des ombres se dessinent sur son corps, ou lorsque Denis (Alan Curtis) est coursé par son père (Wallace Beery donc) dans un déchirant face à face.

Les Chasseurs de Salut (The Salvation Hunters) – de Josef Von Sternberg – 1925

Posté : 9 janvier, 2016 @ 8:00 dans 1920-1929, FILMS MUETS, VON STERNBERG Josef | Pas de commentaires »

Les Chasseurs de Salut

Il faut rentrer dans ce premier long métrage de Josef Von Sternberg, dont la toute première partie est plombée par d’innombrables cartons explicatifs qui soulignent lourdement les ambitions du cinéaste (filmer « l’idée » plutôt que « le corps »), qui en font un muet excessivement bavard…

Il faut y rentrer, parce qu’après cette ouverture assez pénible, Sternberg s’affirme très vite, déjà, comme un cinéaste exceptionnel. De cette histoire qu’on a l’impression d’avoir vue mille fois de trois laissés-pour-compte qui affrontent les difficultés de l’existence (un jeune homme, une jeune femme et un orphelin, sans avenir), le réalisateur tire un film d’une puissance sidérante, bouleversant et visuellement impressionnant.

Tourné en décors naturels, The Salvation Hunters marque par son réalisme. Par le poids du destin sur les épaules de ces paumés aussi, que Sternberg fait ressentir par la seule force de ses images. Il faut voir George Arthur et Georgia Hall, couple vaincu, errer et végéter sur un quai quasi-désert tandis qu’une pelle géante ramasse la boue au fond du port, incessant balai de ces mâchoires d’acier qui semblent écraser les personnages.

Le même poids pèse sur le couple confronté à la même absence d’avenir dans cette ville où ils se sont réfugiés, où les ombres se font menaçantes, et où ils ont trouvé la même misère, retrouvant une apathie à peine bousculée par ce gamin qui maintient tant bien que mal le rêve d’une vraie vie de famille. Filmer l’apathie : faire de son héros un jeune homme qui n’a pas même le courage d’empêcher celle qu’il aime de se tourner vers la prostitution… Avec ce film, Josef Von Sternberg bouscule les codes déjà bien installés d’Hollywood et ose aller très loin.

Tout en restant très moral, tout de même, et en faisant de ses personnages des êtres attachants, qu’on a envie de bousculer, d’encourager, d’embrasser. Il y a dans ce premier film de Sternberg la même empathie pour les laissés-pour-compte que dans le cinéma de Chaplin, auquel on pense furieusement et souvent : l’ombre du « Tramp » plane sur cette peinture de l’Amérique des oubliés, avec ces vieux bâtiments en ruines qui rappellent ceux de tant de courts métrages, cette relation avec le gamin qui évoque Le Kid, jusqu’à la dernière image, éminemment chaplinesque.

Bien sûr, le ton est très différent, et l’humour laisse ici la place à une extrême noirceur. Mais la comparaison entre le film de Sternberg et le cinéma de Chaplin est incontournable. D’ailleurs, est-ce un hasard ? la même année, Georgia Hall est aussi l’héroïne de La Ruée vers l’Or… En tout cas, ce n’est certainement pas un hasard si Chaplin s’est intéressé à lui, lui confiant aussitôt la réalisation de The Sea Gull (1926), l’un des films les plus mythiques du cinéma… que personne n’a jamais vu.

La légende veut que le producteur Chaplin, mécontent en voyant ce film qui devait relancer la carrière de sa muse Edna Purviance, ait brûlé l’unique négatif. Aujourd’hui, c’est l’un des fantasmes des cinéphiles : voir le deuxième film de Josef Von Sternberg, jugé irrémédiablement perdu. La beauté de son premier film ne fait que renforcer ce désir…

Duel au soleil (Duel in the sun) – de King Vidor (et William Dieterle, Otto Brower, B. Reeves Eason, Chester Franklin, Josef Von Sternberg, Hal Kern et William Cameron Menzies) – 1946

Posté : 22 mai, 2014 @ 2:07 dans 1940-1949, BROWER Otto, DIETERLE William, EASON B. Reeves, FRANKLIN Chester M., KERN Hal, MENZIES William Cameron, VIDOR King, VON STERNBERG Josef, WESTERNS | Pas de commentaires »

Duel au soleil

Signé King Vidor, ce monument du western est sans doute, avant tout, l’œuvre du producteur David O. Selznick, comme Autant en emporte le vent quelques années plus tôt. Duel au soleil est en tout cas un exemple extrême mais passionnant de ce qu’était la paternité d’un film durant la grande époque des studios hollywoodiens. Vidor, qui a fini par quitter le tournage (au très long cours) suite à ses innombrables désaccords avec Selznick, a certes réalisé la plus grande partie du film. Mais il n’est pas le seul réalisateur à y avoir travaillé : William Dieterle en a probablement réalisé une partie non négligeable, tout comme Otto Bower. Et d’autres ont réalisés quelques scènes, ou quelques plans : William Cameron Menzies, Chester Franklin, Hal Kern, B. Reeves Eason, et même Josef Von Sternberg.

Mais les décisions, c’était bien Selznick qui les prenait, transformant peu à peu ce qui devait être un petit western tragique et romanesque en une immense fresque démesurée, que le producteur voyait comme le pendant westernien de Gone with the wind. Une œuvre marquée par la fascination que le producteur avait pour son actrice – et fiancée – Jennifer Jones, magnifiée et d’une sensualité torride tout au long d’un film gorgé de soleil, de désir et de sang.

C’est la quintessence du grand spectacle. Avec ce film, Selznik et Vidor (même s’il ne peut être considéré comme l’auteur du film, le réalisateur a donné une forme aux visions du producteur) ont pris le parti de ne pas tourner le dos aux poncifs hollywoodiens, mais au contraire de les prendre à bras le corps et de les élever au rang de grand art. On a ainsi droit à des couchers de soleil d’un rouge éclatant, à une musique tonitruante et romantique (partition impressionnante de Dimitri Tiomkin), à des histoires d’amour à mort…

A la vraisemblance, producteur et réalisateurs préfèrent le spectaculaire, transformant la moindre scène en ce qui pourrait être l’apothéose du film. Une séquence aussi anodine que l’arrivée de Pearl (Jennifer Jones) dans le ranch devient un passage grandiose à la Rebecca (une autre production Selznick). Un simple gros plan de Joseph Cotten et sa fiancée (Joan Tetzel) devient un grand moment de cinéma : la caméra ne bouge pas, mais le train sur lequel ils se trouvent se met en route et s’éloigne, transformant le gros plan en un beau plan large…

Tout est exagéré dans le film : chaque éclairage, chaque plan, les vastes mouvements de caméras qui soulignent l’ampleur de l’entreprise (la scène du saloon au début du film, l’arrivée du chemin de fer, la grande fête dans le domaine…), la présence de centaines de figurants dans certaines scènes, les émotions, les situations, les sentiments, et même ce final mythique qui flirte constamment avec le ridicule.

Sauf que rien n’est ridicule bien sûr, et tout est sublime, déchirant. Bouleversante, l’histoire de cette métisse, Pearl, tiraillée entre sa volonté de mener une vie honnête auprès du gentil frère (Cotten) et son désir presque animal pour cet autre frère rustre et brutal (Gregory Peck), luttant entre le modèle de ce père droit et aimant mort pour sauver son honneur (Herbert Marshall) et l’héritage de cette mère aux mœurs légères qui couchait avec le premier venu.

De ce western à l’histoire finalement assez classique, Selznick & co tirent une sorte de tragédie shakespearienne bouleversante qui est aussi un condensé magnifié de ce que sait faire l’usine à rêve hollywoodienne. Ce n’est pas un hasard si le casting réunit à la fois de jeunes stars en vogue des années 40 (Jennifer Jones, Gregory Peck, Joseph Cotten), et des mythes des premières années d’Hollywood (Lillian Gish, Harry Carey, Lionel Barrymore). Une somme, et un chef d’œuvre…

Macao (id.) – de Josef Von Sternberg et Nicholas Ray – 1952

Posté : 12 septembre, 2013 @ 1:51 dans * Films noirs (1935-1959), 1950-1959, MITCHUM Robert, RAY Nicholas, VON STERNBERG Josef | Pas de commentaires »

Macao (id.) – de Josef Von Sternberg et Nicholas Ray – 1952 dans * Films noirs (1935-1959) macao

L’avant-dernier film réalisé par le grand Von Sternberg marque à la fois le retour aux sources et le début de la fin pour le cinéaste de Morocco, le pygmalion de Marlene Dietrich, réalisateur qui semble courir après ses années perdues depuis l’émancipation de sa muse. Au fil des ans, Sternberg a enchaîné par mal de déceptions professionnelles, et son inspiration s’est révélée en dent de scie. Sa réputation est celle d’un cinéaste difficile, souvent en conflit avec ses comédiennes et ses producteurs.

Avec Macao, le réalisateur renoue avec l’Extrême Orient, qui lui a particulièrement réussi par le passé. L’atmosphère de Macao, comme celle de Shanghaï dans d’autres de ses films (Shanghai Express, Shanghai Gesture), est pour beaucoup dans la réussite du film. Sternberg y filme des hommes et des femmes perdus loin de chez eux, des aventuriers qui cachent un passé dont on ne saura rien, mais qui errent comme des âmes en peine à la recherche désespérée d’une seconde chance. Des personnages totalement sternbergien, donc.

Ce qui compte ici, c’est l’atmosphère, et ces moments de grâce que Sternberg arrive à faire surgir comme par miracles : une extraordinaire intimité entre Jane Russell et Robert Mitchum à bord d’un bateau ; des ruelles qui se confondent avec la mer et qui rappellent constamment à ces exilés qu’ils sont loin de chez eux ; un cabaret qui permet de noyer son spleen dans des volutes de fumée et des verres d’alcool.

Quant à l’intrigue policière, haletante, elle reste constamment au stade du concept. D’où viennent les personnages de Russell et Mitchum ? Pourquoi le flic interprété par William Bendix (dans un rôle étonnamment « normal » pour l’immense acteur du Dahlia bleu) est-il à ce point obnubilé par le riche criminel joué par Brad Dexter ? Et de quoi ce dernier est-il accusé ? On ne le saura pas, et on ne se pose jamais vraiment la question.

Qu’importe d’ailleurs : ce que ressentent les personnages, perclus de peur et de mal-être, est flagrant. Aussi chaleureux soient-ils, les décors de cette ville si loin de New York (le port d’attache évoqué constamment par tous) leur rappellent qu’ils sont des parias, condamnés à errer loin de chez eux.

La réputation de Sternberg, ainsi que ses relations avec Jane Russell (la protéger de la RKO) et Gloria Grahame (sublime actrice trop méconnue, dans un rôle en retrait mais auquel elle apporte une profondeur qu’aucune autre n’aurait su lui donner), ont incité les producteurs à déposséder le cinéaste de son film, et à le confier à Nicholas Ray, qui a tourné certaines scènes et supervisé le montage. La meilleure manière de condamner un film…

Pourtant, il y a quelque chose de magique dans ce Macao, qui, même si on est loin de ses glorieuses réussites des années 30, porte malgré tout la patte de Sternberg. Impossible de dire ce qu’aurait été le film si le cinéaste en avait eu le contrôle total. Mais en l’état, ce film d’aventure étonnamment intime est un bijou.

• Le film existe en DVD, dans la collection bleue consacrée à la RKO par les Editions Montparnasse, avec une introduction par le toujours passionné Serge Bromberg.

Cœurs brûlés (Morocco) – de Josef Von Sternberg – 1930

Posté : 8 février, 2013 @ 2:34 dans 1930-1939, COOPER Gary, DIETRICH Marlene, VON STERNBERG Josef | Pas de commentaires »

Cœurs brûlés

Le plus beau des films de légionnaires, deuxième collaboration de Marlene Dietrich et Von Sternberg après L’Ange Bleu.

Ce qui frappe d’abord, c’est l’audace du film. Les deux personnages principaux, couple de légende joué par Marlene et Gary Cooper (faut-il une raison de plus pour se précipiter ?) ne sont pas seulement deux paumés, deux solitaires qui fuient un passé dont on ne connaît rien, et qui se croisent au Maroc, où elle est embauchée comme chanteuse de cabaret, et lui s’est engagé dans la Légion. Ce sont aussi deux êtres très libres, qui n’ont pas froid aux yeux.

Gary a visiblement couché avec la moitié des femmes de la ville, Marocaines et épouses d’officiers. Quant à Marlene, elle donne sa clé au beau soldat qu’elle vient juste de rencontrer, avec une idée on ne peut plus claire derrière la tête. Toute la première partie, comme ça, est d’une sensualité faite de non-dits, mais clairement perceptible. Le désir, la chair offerte… ont ici un arrière goût d’amertume, comme si le sexe était le dernier refuge d’êtres qui n’ont plus rien à attendre de la vie.

Sauf que, bien sûr, l’amour s’en mêle. Et si Morocco repose sur une histoire on ne peut plus classique, la manière dont Von Stroheim raconte cette romance est hors du commun. Attente, frustration, solitude, amertume… Ces deux-là semblent avoir tellement souffert par le passé qu’ils refusent de se laisser aller à leurs sentiments.

Le décor, superbe reconstitution d’un Maroc envoûtant et exotique, renforce ce sentiment de solitude. D’autant plus que chaque plan souligne le fait que nos personnages sont en terre étrangère, au milieu d’étrangers. Le scénario de Jules Furthman, et la mise en scène d’une infinie délicatesse, soulignent constamment le fait que ces deux amants incapables de se trouver, sont loin de leurs racines.

Von Stroheim filme par petites touches bouleversantes la naissance du trouble, puis de la passion. L’ultime scène, muette, est d’une beauté sidérante.

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