Fièvre sur Anatahan (Anatahan / The Saga of Anatahan) – de Josef Von Sternberg – 1953
Sternberg disait que sa carrière s’était achevée en 1935, date de sa dernière collaboration avec Marlene Dietrich. C’est dire si sa muse et ancienne compagne a profondément marqué l’homme, autant que le cinéaste. Parce que sa carrière postérieure, certes inégale, est jalonnée de merveilles à peu près jusqu’au bout. C’est-à-dire jusqu’à ce Fièvre sur Anatahan, sorte de condensé ou d’aboutissement de son œuvre.
Sans doute a-t-il fait mieux auparavant. Shanghai Express, pour ne citer qu’un chef d’œuvre. Mais ce film tardif a un aspect jusqu’au-boutiste qui semble être ce vers quoi Sternberg se dirigeait depuis ses débuts. L’Orient a souvent été important dans ses films. Cette fois, il signe (presque) un film japonais, dont tous les personnages sont des Japonais qui s’expriment dans leur langue. Sans sous-titre.
L’histoire est racontée par une voix off : celle d’un personnage dont on ignore duquel il s’agit. Ou plutôt celle du groupe dans son ensemble, qui s’exprime en anglais hélas, choix qui représente à peu près la seule concession aux contraintes du cinéma occidental. Choix qui, hélas, crée une espèce de distance qui nuit un peu au côté immersif du film.
Un groupe de soldats japonais, échoué en 1944 sur une île presque déserte, où ne vivent qu’un homme et une femme, coupés du monde. Durant sept ans, ils vont cohabiter tant bien que mal, ignorant que le Japon a capitulé. Une femme et tant d’hommes… La discipline militaire laisse peu à peu la place aux bas instincts humains, retour à une sorte de sauvagerie dont personne ne sortira vraiment grandi.
La moiteur de la jungle, les instincts animaux qui surgissent dans des conditions extrêmes… Sternberg nous plonge dans cette île coupée du monde, comme il nous plonge dans les tourments humains, avec un réalisme troublant. D’autant plus troublant que le film est quasi entièrement tourné en studio, dans des éléments de décors souvent très restreints, mais qui suffisent au cinéaste pour donner du corps à cette histoire aussi improbable que vraie.
Sternberg tournera encore un film, Jet Pilot avec Janet Leigh et John Wayne. Mais ce film, tourné loin d’Allemagne et d’Hollywood, autour d’une culture qui n’est pas la sienne mais qu’il s’approprie avec passion (la place grandissante des chansons populaires japonaises entonnées par les personnages, fascinante) s’apparente bien à un chant du cygne…