24 heures de la vie d’une femme – de Laurent Bouhnik – 2002
Le (court) roman de Stefan Zweig était un petit bijou à la sensibilité extrême, d’un romantisme passionnel toujours contenu. Alors une adaptation « augmentée » réalisée par l’auteur très « mode » de Zonzon et Q pouvait sembler une fausse bonne idée. La surprise est donc très bonne. Même si le film laisse par moment à la surface des émotions pourtant très fortes qui sont montrées, on ne peut nier que Bouhnik et son co-scénariste Gilles Taurand sont des amoureux sincères de l’œuvre de Zweig, et que la période moderne qu’ils ont ajouté se marie plutôt joliment avec l’histoire imaginée par l’écrivain.
Le livre de Zweig se déroulait au début du siècle, dans une pension de famille de la Côte d’Azur : une femme d’âge mur prenait, seule, la défense d’une femme mariée qui venait de quitter son mari apparemment sur un coup de tête, avec un jeune homme qu’elle ne connaissait que depuis quelques heures. Elle racontait alors sa propre passion d’une journée, une vingtaine d’années plus tôt, pour un joueur invétéré qu’elle avait sauvé du suicide, et avec qui elle avait vécu une romance aussi inoubliable que brève… dont la triste issue n’avait en rien altéré la force de cette journée.
Le film de Bouhnik reste fidèle à cette histoire, mais ajoute une troisième époque : celle du narrateur du film, un vieillard solitaire qui revient dans la fameuse pension où alors qu’il était adolescent, sa mère avait quitté son père sur un coup de passion. Seule, une femme d’un certaine âge l’avait incité à ne pas juger sa mère trop durement, lui racontant à son tour ses propres souvenirs.
Bouhnik ne choisit pas la facilité, en entremêlant ces trois époques différentes. Mais le résultat est très réussi. La construction du film est assez brillante, soulignée par trois ambiances visuelles très différentes, mais également élégantes. Et puis il y a les acteurs, tous sobres et formidables. Dans le rôle de la narratrice de Zweig, Agnès Jaoui est magnifique, débarrassée comme par miracle de tous ses tics d’actrice habituels. Elle est particulièrement émouvante en jeune femme, lancée dans une passion altruiste et dévorante pour un jeune joueur fiévreux.
Dans le rôle du narrateur de Bouhnik, Michel Serrault trouve lui aussi l’un des meilleurs emplois de ses dernières années. Bouhnik est décidément un excellent directeur d’acteur : Serrault aussi est totalement débarrassé de ses tics habituels. Le duo improbable qu’il forme, le temps d’une soirée, parenthèse magique dans une vie apparemment entièrement tournée vers le passé, avec une très jeune femme, est peut-être la plus belle réussite du film, d’autant plus que la jeune femme est jouée par Bérénice Béjo qui, près de dix ans avant The Artist, était déjà une comédienne magnifique, sensible et émouvante.