Un cottage dans le Dartmoore (A Cottage on Dartmoore) – d’Anthony Asquith – 1929
Fils du Prime Minister Herbert Henri Asquith, Anthony Asquith fut aussi l’un des réalisateurs les plus importants du cinéma anglais de l’entre-deux-guerre (et même au-delà). On lui doit notamment Pygmalion et The Browning Version, qui seront tous deux remakés. On lui doit aussi ce très beau Cottage on Dartmoore, chant du cygne de l’ère muette britannique : cette même année, Hitchcock tourne Chantage, le premier film parlant de la production nationale.
C’est donc une époque charnière. Et ce n’est pas anodin si l’une des scènes clés du film se déroule dans un cinéma projetant un talkie. Ce (beau) clin d’œil n’a rien d’une critique ironique, comme Chaplin pourra en faire dans Les Temps modernes ou même Les Lumières de la Ville : Asquith filme des spectateurs captivés par le film qu’ils regardent, et dont nous ne voyons rien, sinon les différentes émotions qui se lisent sur les visages. Une belle manière de saluer l’arrivée d’un art nouveau… Et paradoxalement, cette longue séquence est aussi le triomphe du cinéma muet et de son langage en voie de disparition, puisque tout est dit par l’image, et par la seule force de celle-ci.
Ce beau mélo mâtiné de suspense est bien représentatif de cette fin des années 20 durant lesquelles le muet est à son apogée. Et Asquith a un sens aiguisé de l’image et du récit. Dès la première scène, avec ses magnifiques clairs-obscurs (une séquence d’évasion, dans les beaux paysages de lande du Devon que le cinéaste met superbement en valeur), Asquith impose un univers visuel absolument splendide.
La construction est également séduisante, avec ce très long flash-back qui revient sur l’histoire de cet évadé et de la jeune femme chez qui il se réfugie. Mais pourquoi s’y rend-il ? Par amour ? Par soif de vengeance ?… Le film joue sur les deux tableaux, avec un bonheur total : Asquith passe de la romance au film noir avec une belle aisance. Et il nous offre un superbe condensé du plaisir cinématographique : on se retrouve le sourire aux lèvres lors de cette jolie soirée dans la pension familiale ; puis haletant lors de la traumatisante scène du rasoir… Comme les spectateur des talkies : la technique s’apprête à changer, mais le cinéma restera le cinéma.