De rouille et d’os – de Jacques Audiard – 2012
Deux éclopés renaissent à la vie grâce à leur rencontre. Lui vit de petits boulots et de combats clandestins, et doit s’occuper de son fils de 5 ans dont il ne connaît à peu près rien. Elle est une dresseuse d’orque qu’un tragique accident prive de ses jambes… Le sujet est casse-gueule, promettant de belles envolées lyriques et de grandes scènes tire-larmes… Jacques Audiard en tire un chef d’oeuvre à la fois brut et délicat, sans artifice et d’une beauté sidérante.
Audiard filme Marion Cotillard amputée de ses jambes comme la regarde le personnage joué par Matthias Schoenaerts : avec naturel, sans s’appitoyer et sans s’apesantir. Comme si ce handicap n’était qu’un accident de la vie, et pas une fin en soi. Confiant en son sujet (tiré d’un roman de Craig Davidson), Audiard n’évite aucune des scènes attendues. Mais il les filme avec une sobriété radicale, pas comme « les grands moments à ne pas rater ».
Cette simplicité renforce la beauté de la rencontre. Elle rend aussi certaines scènes particulièrement éprouvantes. Parce qu’on le sait proche mais que la vie semble se dérouler normalement, l’imminence de l’accident en devient quasiment insupportable. Et pour filmer Marion Cotillard découvrant l’absence de ses jambes, il filme la chambre d’hôpital en plan large, sans artifice, retardant le moment de la découverte. Pas besoin de souligner quoi que ce soit, Audiard se place, avec pudeur, à la place du spectateur.
Si le film est aussi beau, c’est que ses deux personnages principaux sont passionnants, et parce qu’ils sont interprétés par deux comédiens en état de grâce. Schoenaerts, une découverte, et Marion Cotillard, qui n’a peut-être jamais été aussi bien que dans ce rôle difficile et franchement piège. Une femme perdue, clouée dans un fauteuil, fermée à la vie, qui se relève grâce à la rencontre avec ce type frustre et bestial qui la traite comme une femme, et non comme un freak.
Mais lui aussi a besoin d’être sauvé. Comme elle est prisonnière d’un corps estropié, lui est perdu dans un corps trop plein d’une énergie dont il ne sait que faire. Un type perdu, prêt à abandonner la partie. Il faut le voir durant un combat particulièrement violent, à terre, acceptant les coups avec fatalité, reprendre soudain le dessus et se redresser parce que son regard est tombé sur Stéphanie (Marion Cotillard), debout sur ses prothèses, boosté par sa volonté à elle.
C’est à une double renaissance que l’on assiste. Ces deux êtres paumés et paniqués par la vie qui les attendait, se trouvent et se reconstruisent. Pas si facile, pour ces deux écorchés, qui devront affronter leurs propres démons. Pour lui surtout, peut-être le plus largué des deux, qui devra accepter son amour pour elle, et son rôle de père, ce qu’il fera avec une rage déchirante (et avec ses poings), avant de s’ouvrir enfin dans une scène d’une simplicté et d’une beauté absolument sublimes…