Un, deux, trois, soleil – de Bertrand Blier – 1993
Dans une banlieue triste et grise, la vie sans horizon d’une jeune fille, entourée par une mère envahissante et un père alcoolique. Elle perd son pucelage dès l’école avec plusieurs loubards dans une carcasse de bagnole, découvre l’amour avec un jeune homme qui perdra la vie dans un cambriolage, grandira pleine de colère et de rancœur, avant de se marier sans amour avec un homme qui ne la fera pas rêver…
Vingt ans après Les Valseuses, la banlieue n’est pas plus sexy pour Blier, mais elle est tout aussi inspirante. D’avantage, même : Blier n’a rien abdiqué de sa liberté, mais a beaucoup gagné en maîtrise de son art. Et après une première partie qui laisse dubitatif, avec une Anouk Grinberg qui surjoue la petite écolière à grand renfort de minauderies prépubères, il se passe une sorte de petit miracle dans ce film.
Le déclic semble impulser par l’apparition d’un Jean-Pierre Marielle extraordinaire en vieil homme avide d’échanger avec ses jeunes cambrioleurs. Après ces premières minutes qui laissaient un sentiment pour le moins mitigé, son apparition le temps d’une unique séquence apporte une vérité qui ne disparaîtra plus. Ses dialogues face caméra donnent alors du corps aux parti-pris audacieux de Blier, à son récit totalement déstructuré où les époques se croisent, où les morts et les vivants se rencontrent, où les souvenirs et les espoirs prennent corps…
La séquence de Marielle est magnifique, avec ces images obscures et ces cadres dans le cadre qui soulignent la solitude du gars. Celle qui suit, avec un Claude Brasseur odieux, est tout aussi forte, dans ce qu’elle donne à voir de cette France évoquée par Blier. Sous les attraits d’une fable folle, c’est une société étouffante qui se dessine, avec des douleurs terribles. Un, deux, trois, soleil est un film qui ressemble à un cri suspendu, à des larmes qui refusent de couler.
Par moments, quand même, les cris retentissent, et les larmes coulent. La mort du père (Marcello Mastroianni, magnifique), les espoirs touchants du mari (Jean-Michel Noirey), la triste résignation d’Anouk Grinberg, surtout, qui laisse partir ses fantômes. Et la musique, signée Khaled, magnifique et bouleversante. Le condensé sensible, poétique et douloureux d’une jeunesse perdue.