Poil de Carotte – de Julien Duvivier – 1925
Julien Duvivier a tourné deux adaptations du roman de Jules Renard, les deux plus belles, sans conteste. En attendant de revoir la version parlante de 1932, revoir cette première version muette tournée sept ans plus tôt seulement est un plaisir immense. Disons un choc, plutôt, l’histoire de ce gamin malheureux comme la pierre ne poussant pas vraiment à la joie, la plupart du temps.
Modèle de réalisation, modèle de montage, modèle de construction scénaristique, ce Poil de Carotte a à la fois l’aspect feuilletonnant d’une succession de grands moments, et la cohérence d’une grande tragédie qui nous conduit inexorablement vers l’acmé de l’histoire, ce moment où le mal-être de l’aîné des Lepic atteint son point de non-retour.
Le jeune André Heuzé est formidable dans le rôle de ce gamin mal aimé, rejeté de tous, victime de la haine que se vouent ses parents. Il livre sans doute l’une des meilleures performances d’enfants-acteurs, toujours d’une justesse absolue malgré un rôle franchement pesant.
Tous les acteurs ne sont pas dans la même retenue, et c’est la principale (la seule ?) limite du film : Charlotte Barbier-Krauss en fait des tonnes dans le rôle de Mme Lepic, la mère cruelle. Son mari à la ville comme à l’écran Henry Krauss est, en revanche, formidable dans un rôle certes plus humain.
Duvivier est un cinéaste immense, qui réussit dans le même mouvement un portrait d’enfant martyr, et un tableau fort et vrai d’un petit village de montagne, microcosme coupé du monde et enfermé dans des a priori et une certaine dureté d’un autre temps, déjà grand réalisateur-ethnologue. Il filme admirablement paysages et intérieurs. Son film, rude et beau, nous conduit vers une ultime partie d’une beauté qui emporte tout.