Un taxi pour Tobrouk – de Denis de La Patellière – 1961

Entre deux Gabin passables (Rue des prairies et Les Grandes familles) et quelques Gabin au mieux médiocres (Le Tueur, Du Rififi à Paname, Le Tonnerre de Dieu), au pire affreux (Le Tatoué), Denis de La Patellière signe ce qui fut l’un des grands classiques de la télévision de ma jeunesse, l’adaptation (par Michel Audiard et avec l’auteur) d’un roman de René Havard qui dénonce les absurdités de la guerre.
Le procédé est séduisant : de la deuxième guerre mondiale dont on ressent constamment l’extrême violence autant que l’absurdité, on ne verra au fond rien d’autre qu’une poignée d’hommes, quatre Français et leur prisonnier allemand, qui traversent le désert sur leur Jeep. Rien d’autres, ou si peu : une colonne militaires des troupes de Rommel en déroute, les vestiges de véhicules explosés, des commentaires à la radio…
La caméra ne quitte jamais ce petit groupe perdu au milieu de l’infini du désert, petite communauté qui se crée en dépit des différences de classes, et d’éducation. C’est là qu’est prononcée la fameuse réplique : « Deux intellectuels assis vont moins loin qu’une brute qui marche ». Réplique brillante, et drôle, il faut le reconnaître, comme beaucoup d’autres tout au long du film, jusque dans les moments les plus tendus, et les plus dramatiques.
Et c’est là, comme souvent avec Audiard au service de réalisateurs pas terribles, que se situe la principale limite du film. Lorsqu’il n’est pas cadré, Audiard glisse dans la bouche de tous les personnages des paroles, un phrasé, un esprit qui lui appartiennent à lui, qui lissent toutes les différences entre les personnages (l’intellectuel et la brute parlent de la même manière), et qui recouvrent le drame d’un voile de dérision et d’ironie qui force au recul.
C’est à la fois (souvent) brillant, et (toujours) frustrant, parce qu’on voit bien que le film est, au fond, sombre et engagé, mais qu’il est plombé par un aspect très superficiel imposé par les dialogues. Ce n’est pas un hasard si la scène la plus forte est muette : la petite troupe de Français observe des soldats allemands dont ils veulent prendre le véhicule. Après une longue attente, le silence est brièvement brisé par les rafales de mitraillettes, avant de revenir, avec la vision des Allemands gisants sur le sable, morts.
Dans cette scène brève et percutante, pas une parole, pas un commentaire. Et c’est là que l’impact est le plus fort, et de loin. Pour le reste, Lino Ventura dit les mots d’Audiard presque aussi bien que Gabin, Charles Aznavour, Hardy Krüger et Maurice Biraud sont parfaits, et la mise en scène est parfaitement rythmée. Mais la vision renoirienne, l’attachement qui grandit entre des ennemis qui pourraient être amis dans d’autres circonstances, tout ça est recouvert par un vernis audiardien brillant, mais opaque.








