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Archive pour la catégorie '1960-1969'

Les films amateurs de Steven Spielberg (1959-1967)

Posté : 29 septembre, 2024 @ 8:00 dans 1950-1959, 1960-1969, COURTS MÉTRAGES, SPIELBERG Steven | Pas de commentaires »

Spielberg films amateurs

Spielberg a toujours pris le cinéma très au sérieux. Sa fiche imdb ne trompe pas : y a-t-il d’autres exemples de cinéastes dont la carrière commence officiellement à l’âge de 13 ans ? Pas sûr. En tout cas, les premiers films amateurs du petit Stevie font bel et bien partie de sa filmographie. Et s’il est difficile (et peut-être pas très pertinent) de les décortiquer dans tous les sens, ils n’en restent pas moins passionnants dans la trajectoire emballante et fascinante du gars.

En fouillant dans les méandres d’Internet, on peut découvrir quelques bribes de ces films de jeunesse, ces petites productions bricolées avec les moyens du bord qu’il a tournées avant Amblin’, son premier court « professionnel ». Découvrir ces bribes de films prend évidemment une autre dimension après avoir vu The Fabelmans, son magnifique dernier film en date, dans lequel il s’inspire très largement de ces années-là, allant jusqu’à recréer ses propres premiers films.

Escape to nowhere (1964) / Fighter Squad (1961)

Escape to nowhere, notamment, y occupe une place importante. Ce court métrage tourné en super 8 avec ses potes, dans les paysages désertiques d’une réserve indienne, est aussi (avec Fighter Squad, autre court tourné juste avant mais totalement disparu) l’un des premiers de ses films consacrés à la seconde guerre mondiale, période qu’il revisitera à plusieurs reprises. Les quelques minutes que l’on peut en découvrir témoignent déjà de l’ambition du jeune apprenti-cinéaste, pas encore 18 ans, qui multiplie déjà les trouvailles pour mettre le spectateur au cœur des combats et en faire ressentir l’extrême violence. Une sorte de brouillon d’Il faut sauver le soldat Ryan, avec plus de trente ans d’avance…

Firelight (1964)

Autre film fondateur : Firelight, premier long métrage d’un Spielberg encore adolescent, qui lui a aussi valu sa première projection dans un cinéma. C’était au Phoenix Little Theatre, le 24 mars 1964. Il y a soixante ans, donc. Et si le film est invisible dans sa version complète, les quelques minutes qui en subsistent ne laissent guère planer de doute : il y a dans ce film de science-fiction intriguant les germes de Rencontres du 3e type, y compris dans sa manière de filmer la famille et les phénomènes paranormaux.

Slipstream (1967)

Plus étonnant en revanche, le dernier film amateur de Spielberg, Slipstream, est consacré… au cyclisme. On ne peut pas en voir grand-chose, d’autant plus que le film n’a jamais été achevé, le jeune Spielberg (20 ans à l’époque) étant à court de budget. Ce qui ne lui arrivera plus jamais par la suite. Il faut dire qu’après quelques années à travailler pour la télévision, ses vrais débuts sur grand écran ne tarderont pas à lui valoir un succès mondial, lui donnant des moyens, disons, conséquents.

The last gun (1959)

Mais la cohérence de ses grandes réussites à venir et de ses débuts amateurs a quelque chose de très beau. Quelque chose que l’on ressent depuis toujours et qui s’est confirmé avec The Fabelmans, ou même dans sa manière d’évoquer en interview ses premiers films (notamment The Last Gun, son unique western, tourné à 12 ans) : Spielberg a beau être tout puissant, il a gardé sa passion d’enfant. Et ça, oui, c’est très beau.

Le Mépris – de Jean-Luc Godard – 1963

Posté : 23 septembre, 2024 @ 8:00 dans 1960-1969, GODARD Jean-Luc, LANG Fritz | Pas de commentaires »

Le Mépris

Le soleil éclatant de Rome, les travellings magnifiques, la musique de Georges Delerue, le regard perdu de Brigitte Bardot, celui que refuse de voir Michel Piccoli, l’immensité de la mer, le haussement d’épaule résigné de Fritz Lang (oui, le vrai, ce qui est assez dingue), l’Alpha qui ne roule que par à-coups, les grands espaces qui renforcent le sentiment d’enfermement…

Plutôt que de longues phrases, on pourrait continuer comme ça très longtemps la liste des détails qui marquent si fort les esprits dans Le Mépris, chef d’œuvre intemporel dont le rythme faussement apaisé cache (mal) une extrême cruauté.

Il y a bien sûr la férocité de Godard à l’égard du cinéma, qu’il aime passionnément mais sans être dupe de la cruauté qui s’y cache. D’un côté, Lang, le grand Lang, cinéaste adoré de la Nouvelle Vague, symbole à lui seul de la grandeur de son art. Et soumis au diktat grotesque d’un producteur hollywoodien (Jack Palance, parfaitement odieux). Et au milieu : un écrivain avalé par le cinéma, tiraillé entre son admiration pour Lang et l’argent facile.

A travers ce personnage, formidable Piccoli, c’est toute l’ambivalence du monde du cinéma que synthétise Godard, en en faisant un homme sensible, mais capable de la pire des compromissions avec cette femme, Brigitte Bardot, dont il aime tout : ses bras, sa nuque, ses fesses. Bardot dans son plus grand rôle, bouleversante au-delà de l’icône qu’elle incarne.

Et c’est un moment presque anodin, mais d’une violence inouïe, qui fait tout basculer. Un regard libidineux, une voiture trop rouge, et une épouse trop belle que le mari livre à l’ogre, juste en tournant la tête… Peu importe ce qui suit : le mal est fait, l’homme aimé abandonne sa belle, tout est foutu.

Le Mépris est sans doute le plus beau film de Godard, le plus bouleversant, le plus fort, celui aussi où son art (encore populaire) est le plus abouti. C’est une merveille, d’une richesse infinie, qui soudain transforme le mythe BB en une très grande actrice, qui est le cœur et l’âme de ce chef d’œuvre.

Rocco et ses frères (Rocco e i suoi fratelli) – de Luchino Visconti – 1960

Posté : 7 septembre, 2024 @ 8:00 dans 1960-1969, VISCONTI Luchino | Pas de commentaires »

Rocco et ses frères

Il a fallu la mort de Delon et la programmation spéciale du petit cinéma de province que je fréquente pour découvrir enfin cette merveille que je n’avais jusqu’à présent jamais vu (oui, je sais… mais c’est tellement beau de découvrir un chef d’œuvre, même si tardivement). L’attente valait le coup, tant le grand écran rend hommage à ce film à la fois ample et intime, chronique sublime d’une famille d’Italiens du Sud débarquant sans le sou dans un Milan froid et inamical.

Comme L’Insoumis, ce chef d’œuvre semble contredire absolument l’image que Delon s’évertuera à construire de lui-même. Lui, dont le visage impassible et le regard froid deviendront des signatures incontournables, est ici une sorte d’incarnation de la douceur et de la bonté, une figure angélique dont les sourires et les caresses sont autant de caresses.

Et c’est assez beau de savoir que Rocco était, de tous ses personnages, celui qu’il préférait : un homme fragile, imparfait, dont les actions si désintéressées soient-elles peuvent semer les graines du drame, et qui pleure à chaudes larmes, comme l’enfant blessé qu’il est. Bref, un personnage à fleur de peau, dont l’intensité est d’autant plus bouleversantes qu’il apparaît d’abord en retrait, présence discrète et solide à la fois.

Rocco est le troisième de cinq frères. Celui du milieu, donc, et ce n’est pas un hasard : il est en quelque sorte la croisée des chemins, le lien vibrant entre ses aînés et leurs échecs, et ses benjamins et l’avenir qu’ils représentent. Le sens de la famille, il est vrai, a un poids incomparable dans cette fratrie qui semble si solide autour de la figure de la mamma, matriarche italienne pas franchement prête à laisser ses fils voler de leurs propres ailes.

Aujourd’hui, en France, on parlerait sans doute de famille dysfonctionnelle. Parce que le bel équilibre qui apparaît dans les magnifiques premières scènes, celles de l’arrivée de la famille démunie à Milan, laissent à penser que l’union de cette famille est parfaite, et qu’au fond, rien de bien grave ne peut vraiment arriver tant qu’ils sont ensemble.

Mais il y a des fêlures : un fils décidé à se détacher de la famille, un deuxième à qui on a trop fait croire qu’il avait le monde à portée de poings, une jeune prostituée belle et paumée, et puis Rocco à qui on offre ce qu’il n’a pas cherché, ce dont, même, il ne veut pas. Et la rupture est brutale, qui explose dans une longue séquence nocturne de viol et de rage fraternelle, d’une intensité déchirante.

Formellement, le film est une splendeur, Visconti flirtant avec le néoréalisme alors en vogue en Italie pour ce qui est à la fois une grande fresque, et une chronique puissamment intime. A la fois la description d’une Italie miséreuse sans horizon, et le portrait douloureux d’un jeune homme naïf dont la bonté n’est pas sans conséquence, personnage visiblement inspiré par L’Idiot de Dostoïevski.

Alain Delon trouve sans doute là le rôle de sa vie. Annie Girardot, d’une beauté bouleversante, trouve là assurément le rôle de sa vie. Et Visconti signe l’un de ses chefs d’œuvre, le genre de films qui donne immédiatement envie de le revoir. Ce que je m’en vais m’empresser de faire…

L’Insoumis – d’Alain Cavalier – 1964

Posté : 5 septembre, 2024 @ 8:31 dans * Polars/noirs France, 1960-1969, CAVALIER Alain | Pas de commentaires »

L'Insoumis

Alain Delon est mort. L’info ne vous a peut-être pas échappé. Moi, elle m’a secoué, bien plus que je ne l’aurai cru. Parce que, du haut de mes 48 ans, il m’est toujours apparu comme une figure du passé, qui appartenait déjà à une autre époque bien révolue quand j’ai commencé à fréquenter les salles de cinéma. Combien de dois l’y ai-je vu sur un grand écran ? Je me souviens d’1 chance sur 2, et du plus beau passage des Acteurs. Mais dans les deux cas, il se contentait de jouer avec sa légende.

Sa mort, pourtant, m’a marqué plus qu’aucun autre acteur français avant lui. Comme si, sans que j’en ai conscience, il avait toujours fait partie de mon panthéon. Pourquoi ? Humainement, il ne donnait pas franchement envie de partager des soirées. Artistiquement, il avait depuis bien longtemps abdiqué, se réfugiant derrière un passéisme complaisant. Politiquement, n’en parlons pas.

Ces derniers jours, j’ai donc revu pas mal de ses films (déjà chroniqués sur ce blog), histoire de comprendre d’où venait ce profond sentiment de grande perte. Plein Soleil, Le Samouraï et quelques autres ont apporté un début de réponse : cette présence hallucinante, cette douleur renfermée, et ce regard qui en dit tellement derrière un visage qui semble impassible. Delon est un acteur qui peut être formidable.

Découvrir L’Insoumis (c’était la plus longue intro depuis la création de ce blog) apporte un autre éclairage, plus éclairant encore, sans doute. Quand il tourne ce film du jeunot Alain Cavalier, Delon est déjà une star : Clément et Visconti lui ont offert de très grands rôles, Gabin l’a adoubé… Bref, il peut faire ce qu’il veut, et il en a conscience : il décide de produire ses propres films, et L’Insoumis est le premier qu’il porte à bout de bras.

Et quel rôle s’offre-t-il dans ce premier film produit par lui-même ? Celui d’un déserteur de la guerre d’Algérie. Pas un lâche, non : la première séquence montre que ce n’est pas le cas. Mais un soldat qui déserte parce qu’il ne croit pas en la cause pour laquelle il est censé se battre. Bien loin de l’image de réac de droite qu’il a toujours trimballée.

Non pas que cette image soit fausse d’ailleurs : lui-même ne s’en défendait pas, et se complaisait même à l’alimenter ad nauseum. Mais les idées de l’homme n’ont finalement jamais pesé sur les choix de l’acteur, et c’est peut-être ça qui est le plus beau chez Delon, capable de s’engager pour un film anti-peine de mort (Deux hommes dans la ville), lui qui était favorable, ou d’incarner sans retenue un homosexuel (Un amour de Swann), lui qui trouvait ça contre-nature.

Et je me rend bien compte que je parle bien peu de L’Insoumis, et c’est bien injuste. Parce que ce film, franchement méconnu dans la filmographie de Delon, est l’un de ses meilleurs, un beau film engagé qui prend les allures d’un film noir pour raconter la déroute d’un homme qui, au fond, refuse simplement de suivre les diktats de la société. Un homme qui choisit la liberté, en sachant que ce choix l’emmène dans une véritable impasse.

Delon est particulièrement touchant dans le rôle de cet anti-héros, qui semble condenser sa vie en quelques heures, dans une fuite en avant passionnante et amère. Ce grand rôle méconnu, dans un film qui l’est tout autant, pourrait bien être, paradoxalement, une belle porte d’entrée pour découvrir ou redécouvrir la carrière de l’acteur, au-delà des stéréotypes dans lesquels il s’est lui-même complu.

Le Rendez-vous de septembre (Come September) – de Robert Mulligan – 1961

Posté : 14 août, 2024 @ 8:00 dans 1960-1969, MULLIGAN Robert | Pas de commentaires »

Le Rendez-vous de septembre

Robert Mulligan est un cinéaste méconnu qui a la côte auprès de certains cinéphiles. Ce qui n’empêche pas de se dire qu’un tel scénario, réalisé par un Howard Hawks ou par un Billy Wilder, aurait donné des comédies sans doute très brillantes, pleine de rythme et de folie. Mulligan aux commandes n’a sans doute pas la même inspiration, le même sens du rythme que ses deux aînés. Et Come september n’est ni Avanti, ni Man’s favorite sport.

Pas de quoi bouder son plaisir pour autant. Rock Hudson est très bien dans le rôle d’un riche Américain qui débarque en Italie une fois par an pour retrouver la femme qu’il aime durant un mois. Gina Lollobrigoda est elle aussi très bien dans le rôle de cette femme prête à en épouser un autre, mais qui oublie toutes ses résolutions dès que le Rock pointe le bout de son nez. Mieux : ces deux-là ensemble forment un couple totalement improbable qui fonctionne parfaitement.

Les rebondissements sont suffisamment nombreux pour assurer le spectacle et maintenir un rythme imparable. Trop peut-être, comme s’il y avait dans la surenchère une volonté de cacher un certain manque d’inspiration. Avec cette comédie trépidante, Mulligan marche clairement sur les traces de Hawks ou Wilder, mais il n’est ni l’un ni l’autre.

Quelques beaux moments, quand même éveillent les sens : une soirée dans un night-club, une amusante scène de beuverie, ou une course-poursuite avec une bétaillère. La réputation de Mulligan ne repose pas sur son talent pour les comédies. Mais il s’en tire ici avec les honneurs.

Andreï Roublev (Andrei Rublev) – d’Andreï Tarkovski – 1969

Posté : 9 août, 2024 @ 8:00 dans 1960-1969, TARKOVSKI Andreï | Pas de commentaires »

Andreï Roublev

Ça commence par l’image absurde d’un moine de l’an 1400 qui tente de s’élever au-dessus de la foule, s’accrochant à un ballon gonflé à l’air chaud, surplombant la terre, élevant son âme… Qu’importe la signification de ce moment, tant qu’il y a le retour à la réalité : ce vautrage grotesque qui tue dans l’œuf cette envie de surplomber le monde.

En quelques minutes, presque abstraites, Tarkovski illustre le mur auquel se heurtent ses personnages : cette réalité terrienne, brute et brutale à laquelle ils sont confrontés. Au cœur de ce film fleuve (trois heures), parfois abrupt, le peintre Andreï Roublev, dont le statut d’artiste fait un être plus qu’à part dans ce Moyen-âge violent : une aberration, un être marginal, en opposition muette… qu’on ne voit jamais un pinceau à la main d’ailleurs. Plus qu’un personnage : une idée.

Andreï Roublev n’est pas à proprement parler un film sur la création : Roublev, qui a renoncé à la peinture après avoir assisté à de terribles scènes de violence, décide de s’y replonger dans les toutes dernières minutes du film. C’est même à peine un portrait d’Andreï Roublev : plutôt celui d’un monde ravagé par la violence, et où les croyances et la religion semblent bien absurdes.

Découpé en huit épisodes, sur une longue période de temps, le film nous plonge dans une sorte de désespérance abyssale. Le visage de Roublev, à la fois pur et douloureux, nous accompagne dans ce voyage au cœur de l’inhumanité, jusqu’aux portes de la résignation : la vie serait juste laide, et vouée à l’échec.

La puissance saisissante des images renforce ce sentiment, captant une violence à la fois réaliste et absurde, absurdité que renforcent quelques images fugaces, comme cette volée d’oies surplombant un chant de ruines, qui redonne subrepticement de la hauteur au point de vue.

Et puis arrive la dernière partie : la construction d’une cloche gigantesque par le jeune fils d’un fondeur qui tente de s’extirper avec cet acte de création du chant de ruines dont il était prisonnier… Long épisode que Roublev vit comme un témoin à peine présent. Du chaos, de la fournaise infernale, surgit soudain le son parfait, la beauté…

Trois heures de violence et de misère, et c’est sur une note étonnamment positive que Tarkovski referme son film, monument austère mais fascinant, dont les images sidérantes impriment la pupille longtemps, longtemps…

Chair de poule – de Julien Duvivier – 1963

Posté : 3 juillet, 2024 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 1960-1969, DUVIVIER Julien | Pas de commentaires »

Chair de poule

On a un peu vite dit que la fin de carrière de Duvivier était décevante. Peut-être ce constat un peu trop facilement partagé a-t-il fait oublier quelques réussites. Ce Chair de poule, malgré un titre moche et une affiche ratée, en fait partie : avec cette adaptation d’un roman noir de James Hadley Chase, le cinéaste renoue avec une veine sombre qui lui va bien, et qui lui a inspiré quelques chefs d’œuvre, souvent avec Gabin en anti-héros marqué par le destin.

Vingt-cinq ans plus tôt, le rôle que tient ici Robert Hossein (excellent, d’ailleurs) serait sans doute revenu à l’interprète de La Bandera : qui d’autre, avant guerre, pour incarner ce genre de personnages dont on sait dès le début qu’ils sont promis à un sort funeste, que le hasard mène droit dans les bras d’une authentique femme fatale qui scelle son sort au premier regard.

Hossein, donc, évadé qui trouve refuge dans une station service au milieu de nulle part, où il se lie d’amitié avec le patron, homme jovial et vieillissant (George Wilson, jovial et attachant), marié à une femme trop jeune et trop belle (Catherine Rouvel). Oui, on croirait le postulat du Dernier Tournant et Le Facteur sonne toujours deux fois, les adaptations du roman de James M. Cain. Et on n’est clairement pas loin dans l’esprit.

Mais c’est bien d’un roman de Chase qu’il s’agit, auteur que Duvivier avait déjà adapté avec L’Homme à l’imperméable (nettement moins convaincant). De l’admirable première séquence, modèle de découpage et de mise en scène, à la conclusion sombre et ironique, cette histoire noire au possible inspire à Duvivier son dernier grand film, d’une richesse extrême jusque dans ses détails.

Une courte scène dans un HLM suffit à faire ressentir l’étouffement d’un personnage. L’effervescence d’un dimanche dans une cafétéria illustre la violence sexiste d’une société machiste… Et cette chaleur, la poussière, la culpabilité, la suspicion et le dégoût… que l’on ressent sans grand discours.

Duvivier n’est peut-être jamais aussi passionnant que quand il plonge dans les côtés les plus obscurs de l’âme humaine. Avec ce film noir, il s’épanouit comme rarement dans cette dernière partie de carrière. C’est brûlant et glaçant, et c’est une réussite majeure.

Un détail pour finir, intriguant : ce générique de début, à la manière de ceux, immuables, d’Ozu, qui mourra un mois après la sortie du film en salles. Curieux hasard, qui fait planer d’emblée et rétrospectivement une ombre de mort sur le film…

La Quatrième dimension (The Twilight Zone) – créée par Rod Serling – saison 1 – 1959/1960

Posté : 2 juillet, 2024 @ 8:00 dans 1950-1959, 1960-1969, ASHER William, BARE Richard L., BRAHM John, CLAXTON William F., COURTS MÉTRAGES, FANTASTIQUE/SF, FLOREY Robert, GANZER Alvin, HEYES Douglas, LEADER Anton, LEISEN Mitchell, LUPINO Ida (actrice), McDEARMON David Orrick, MEDFORD Don, MILES Vera, NELSON Ralph, PARRISH Robert, POST Ted, REISNER Allen, ROSENBERG Stuart, SERLING Rod, SMIGHT Jack, STEVENS Robert, TÉLÉVISION, WINSTON Ron | Pas de commentaires »

La Quatrième dimension 1 The Time Element

The Time Element (pilote)

* pilote : The Time Element (id.) – réalisé par Allen Reisner

Ce n’est pas encore tout à fait The Twilight Zone : le célèbre générique et la voix du créateur et scénariste Rod Serling sont encore absents. Mais The Time Element, diffusé dans le cadre du programme Westinghouse Desilu Playhouse, est considéré comme le pilote de la série. Ses qualités incontestables vont propulser le show, qui deviendra très vite l’une des plus éclatante réussites de l’histoire de la télévision.

Plus long qu’un épisode classique (près d’une heure ici), ce moyen métrage se base, comme beaucoup d’épisodes par la suite, sur un thème récurrent du cinéma fantastique, en l’occurrence le voyage dans le temps. Mais sur un mode inattendu : c’est lorsqu’il rêve que le personnage interprété par William Bendix est propulsé une quinzaine d’années en arrière, à la veille de l’attaque des Japonais sur Pearl Harbor, rêve récurrent qu’il raconte à un psychiatre, joué par Martin Balsam.

Les scènes dans lesquelles ce dernier apparaît ne sont pas les plus pertinentes : le film aurait sans doute gagné en intensité en se concentrant uniquement sur l’expérience de ce vétéran confronté à ce qu’il sait être une tragédie à venir. D’ailleurs, les allers-retours passé-présent sont de moins en moins nombreux, et l’intrigue se recentre de plus en plus sur la partie se déroulant en 1941. La plus passionnante, et la plus tendue.

* 1 : Solitude (Where is everybody ?) – réalisé par Robert Stevens

Le véritable « pilote » n’ayant pas été diffusé, c’est avec cet épisode que les spectateurs français ont découvert cette série mythique. Et d’emblée, tout ce qui fera le succès du show est déjà là : cette manière de faire naître l’angoisse de nulle part, de transformer le quotidien en cauchemar éveillé, sans grosses ficelles, sans gros moyens, juste avec des histoires intrigantes ou dérangeantes, et une mise en scène soignée.

Ce premier épisode se base sur un motif que l’on retrouvera au cours des saisons à venir : un homme, amnésique, se retrouve dans une ville dont tous les habitants semblent s’être évaporés. D’abord amusé, puis étonné, il réalise peu à peu l’horreur de sa situation. Le film doit d’ailleurs beaucoup à l’interprétation d’Earl Holloman, seul à l’écran la plupart du temps, et excellent.

La réussite repose aussi sur la manière dont le personnage est constamment contraint par les objets qui l’entourent, et qui l’enferment avec un sentiment grandissant de menace : un vélo qui le fait trébucher, une cabine téléphonique qui refuse de le faire sortir, une porte de prison qui semble vouloir le retenir, des présentoirs qui tournent sur eux-mêmes comme s’ils le dévoraient…

Avec sa conclusion trop explicative, Rod Serling, le créateur et scénariste du show, ne va pas au bout de la logique qui sera celle des épisodes et des saisons à venir, et fait un peu retomber la pression. Mais ce coup d’essai est pour le moins plein de promesses.

* 2 : Pour les anges (One for angels) – réalisé par Robert Parrish

Changement de ton avec cette variation tendre et gentiment cruelle sur le thème de la Mort qui vient chercher sa victime. La Grande Faucheuse est bien loin de l’intraitable incarnation du Septième Sceau, et a ici les traits avenants et compréhensifs et le costume impeccable de Murray Hamilton (qui sera le maire cynique des Dents de la mer). Quant à celui dont l’heure a sonné, c’est Ed Wynn, en vieux colporteur au grand cœur, qui pense avoir trouvé le truc infaillible pour sauver sa peau.

Sauf que tricher avec la Mort n’est pas sans conséquence. Et pour faire simple, il réalise bientôt que le sursis dont il dispose pourrait bien coûter la vie à une fillette. Au-delà de ses ressors plutôt rigolos (la Mort est transformée en acheteur compulsif par le bagout du vieil homme), le film parle du temps qui passe, de la trace que l’on laisse, et de l’acceptation de sa propre mort.

La Quatrième dimension 1 Souvenir d'enfance

Souvenir d’enfance (Walking distance)

* 3 : La Seconde chance (Mr. Denton on Doomsday) – réalisé par Allen Reisner

Excellente variation sur le thème westernien du tireur rattrapé par sa réputation. Dan Duryea y est formidable dans le rôle d’un alcoolique pathétique hanté les morts dont il a été responsable par le passé, et torturé par un Martin Landau parfaitement odieux, tout de noir vêtu.

Comme dans l’épisode précédent, le fantastique prend la forme d’une apparition mystérieuse : celle d’un colporteur au regard affûté et au verbe rare nommé « Faith » (destin). Plus qu’un film sur la chance ou le destin, cet épisode très réussi est aussi une réflexion bienveillante sur le libre arbitre.

* 4 : Du succès au déclin (The Sixteen-millimeter Shrine) – réalisé par Mitchell Leisen

Une actrice, star déchue, vit recluse dans sa villa où elle passe ses journées à revoir ses vieux films. La parenté avec Sunset Boulevard est évidente, et parfaitement assumée. Ida Lupino, dans le rôle principal, est une sorte de double bouleversante de Norma Desmond, qui finirait par réaliser le fantasme du personnage imaginé par Billy Wilder.

Un plan, magnifique, résume bien la réussite de cet épisode : dans le salon obscur transformé en salle de projection, l’actrice surgit de derrière l’écran, comme si elle en sortait… La frontière entre le passé et le présent, la difficulté d’accepter le temps qui passe : tout est dans ce plan. Une nouvelle réussite, avec aussi Martin Balsam et Ted De Corsia.

* 5 : Souvenir d’enfance (Walking Distance) – réalisé par Robert Stevens

Voilà l’un des classiques qui ont fait la grandeur de Twilight Zone (et qui ont marqué mon enfance) : l’histoire d’un homme (Gig Young) qui fuit une vie qu’il trouve insupportable et se retrouve dans la petite ville où il a grandi et où il n’a plus mis les pieds depuis 20 ans… avant de réaliser qu’il est aussi revenu 20 ans en arrière, à l’époque de son enfance.

Délicieusement nostalgique, cet épisode est une merveille, qui illustre le désir de beaucoup de retrouver ses souvenirs d’enfance. Très émouvant, par moments franchement bouleversant (le dialogue final avec son père, le milk-shake à trois boules…), mais pas passéiste pour autant, Souvenir d’enfance fait partie des chefs d’œuvre de la série.

La Quatrième dimension 1 Question de temps

Question de temps (Time enough at last)

* 6 : Immortel, moi jamais ! (Escape Clause) – réalisé par Mitchell Leisen

Première petite déception pour cette série jusqu’ici impeccable. Pas que cette variation sur le thème de l’âme vendue au diable soit un ratage : son parti-pris est même plutôt rigolo, avec ce type odieux pour qui le monde entier tourne autour de sa petite personne. Mais le personnage (interprété par David Wayne) est totalement monolithique, sans l’once d’une fêlure dans la carapace. Difficile dans ces conditions de s’identifier, ou même de ressentir une quelconque émotion.

Mais l’histoire de cet homme qui acquiert l’immortalité sans trop savoir quoi en faire s’achève par l’un de ces twists dont Rod Serling a le secret. Et le diable a l’apparence bonhomme de l’excellent Thomas Gomez. Rien que pour ça…

* 7 : Le Solitaire (The Lonely) – réalisé par Jack Smight

Un homme condamné pour meurtre vit seul en exil sur un astéroïde à des milliers de kilomètres de la Terre. Un jour, l’officier qui le ravitaille lui apporte un robot qui ressemble trait pour trait à une femme de chair et d’os, avec des sensations et des émotions…

Fidèle à ses habitudes, la série rejette toute idée de spectaculaire : le décor est celui, banal, d’une région désertique, avec ses grands espaces, une petite cahute un peu minable, et même un vieux tacot qui ne roule pas. Au milieu, Jack Warden, excellent dans le rôle d’un homme rongé par la solitude, qui réapprend à vivre au contact de ce robot si humain.

Ce joli épisode très émouvant est une belle réflexion sur la nécessité de vivre en société, et sur la nature des sentiments. Très juste, et porté par la belle musique de Bernard Herrmann.

* 8 : Question de temps (Time enough at last) – réalisé par John Brahm

Voilà peut-être l’épisode qui m’a le plus marqué dans ma jeunesse. Et même sans la surprise du terrible rebondissement final, il faut reconnaître que ce petit bijou garde toute sa force. Et quelle interprétation de la part de Burgess Meredith, formidable en petit homme à lunettes amoureux fou des livres, contraint de lire en cachette pour éviter les remontrances de son patron et de sa femme (à ce propos, j’étais persuadé qu’on le voyait lire les étiquettes des bouteilles à table, alors qu’il ne fait que le mentionner).

En moins de trente minutes, John Brahm raconte le triste et banal quotidien de ce doux rêveur, et le confronte à l’apocalypse, faisant de lui le dernier homme sur terre. Son errance est alors déchirante, puis enthousiasmante, puis pathétique. Beau, émouvant, et d’une grande justesse : un petit chef d’œuvre.

La Quatrième Dimension 1 La Nuit du jugement

La Nuit du jugement (Judgment Night)

* 9 : La Poursuite du rêve (Perchance to dream) – réalisé par Robert Florey

Un homme arrive chez un psychiatre et lui explique qu’il est éveillé depuis près de quatre jours : s’il s’endort, il meurt… Un point de départ très intriguant pour cet épisode qui ne tient pas totalement ses promesses. Le propos est un peu confus, et part vers plusieurs directions différentes avant de se focaliser sur les mystères des rêves.

Cela dit, cet épisode illustre parfaitement l’économie de moyen propre à la série, qui sait créer une atmosphère d’angoisse à partir d’éléments du quotidien. Il offre aussi un beau rôle à l’excellent Richard Conte, face à un John Larch plus en retrait. Quant aux scènes de rêve, qui occupent une grande partie de la seconde moitié, elles sont à la fois sobres et joliment stylisées.

* 10 : La Nuit du jugement (Judgment Night) – réalisé par John Brahm

Un homme se réveille sur un bateau naviguant sans escorte en 1942, dans une mer infestée de sous-marins allemands… Qui est-il ? Comment est-il arrivé là ? Lui-même ne s’en souvient pas. Mais il a bientôt la certitude, de plus en plus précise, d’une catastrophe qui approche.

On retrouve le John Brahm de The Lodger dans cet épisode passionnant et particulièrement angoissant, avec ces images nocturnes baignés de brume. Comme dans ses films noirs des années 40, Brahm fait du brouillard le décor cinématographiquement idéal pour faire naître la peur : quoi de plus effrayant que ce qu’on ne peut pas voir ?

Une grande réussite, portée par l’interprétation habitée de Nehemiah Persoff. A noter l’apparition, dans un petit rôle, du futur John Steed de Chapeau melon, Patrick McNee.

* 11 : Les trois fantômes (And when the sky was opened) – réalisé par Douglas Heyes

Richard Matheson a imaginé une histoire particulièrement flippante pour cet épisode, réalisée très efficacement : trois astronautes survivent miraculeusement au crash de leur appareil. Peu après, l’un d’eux disparaît subitement, et c’est comme s’il n’avait jamais existé : seul l’un de ses camarades se souvient de lui.

C’est du pur Twilight Zone, un cauchemar éveillé dérangeant et réjouissant à la fois. Dans le rôle principal, Rod Taylor, futur adversaire des Oiseaux devant la caméra de Hitchcock, affronte ici une menace aussi angoissante, aussi mystérieuse, et nettement moins palpable.

La Quatrième Dimension 1 Quatre d'entre nous sont mourants

Quatre d’entre nous sont mourants (The four of us are dying)

* 12 : Je sais ce qu’il vous faut (What you need) – réalisé par Alvin Ganzer

Un vieux marchand ambulant a le don de voir l’avenir de ses clients, et sait d’avance ce dont ils ont vraiment besoin. Une jolie idée, qui donne lieu à une belle séquence d’introduction, pleine d’une bienveillance à la Capra : un ancien joueur de base-ball et une jeune femme solitaire se voient offrir grâce au vieil homme une seconde chance.

Mais le personnage principal est un sale type, qui voit rapidement le bénéfice qu’il peut tirer de ce don. La bienveillance disparaît alors pour laisser la place à un petit suspense, et surtout à un face-à-face ironique, et plus du tout bienveillant pour le coup. Une réussite, modeste et surprenante à la fois.

* 13 : Quatre d’entre nous sont mourants (The four of us are dying) – réalisé par John Brahm

Il suffit d’un plan pour se rendre compte que cet épisode-là est mis en scène par un grand cinéaste. Plan désaxé, néons omniprésents qui soulignent le poids de la grande ville… John Brahm, qui avait définitivement abandonné le cinéma pour la télévision, s’empare d’un scénario malin mais un peu bancal pour signer un petit film stylisé et fascinant.

L’idée est très originale : un homme a le don de changer de visage comme il le souhaite, et en profite pour prendre l’identité d’hommes décédés récemment. Mais les épisodes s’enchaînent sans qu’on y croit réellement. Brahm semble nettement plus intéressé par l’atmosphère que par l’histoire, et se montre particulièrement inspiré.

Les scènes en extérieurs, surtout, sont formidables, avec ces décors à la limite de l’expressionnisme, qui tranchent avec des intérieurs nettement plus sages et donnent au film un rythme et un esprit étonnants et séduisants.

* 14 : Troisième à partir du soleil (Third from the sun) – réalisé par Richard L. Bare

C’est sans doute le thème qui caractérise le mieux le show : la paranoïa autour de la bombe H, la peur de l’apocalypse… Dans cet épisode, ce thème est traité avec une simplicité de moyen et une efficacité brute qui forcent le respect. Soit : deux familles qui savent que le monde est sur le point d’être anéanti par l’arme nucléaire, et qui décident de partir vers une autre planète à bord d’un engin top secret…

La majeure partie du métrage se déroule à huis-clos dans un intérieur tout ce qu’il y a de plus classique : une simple maison de banlieue où la tension devient de plus en plus forte. Gros plans, contre-plongées, montage au cordeau… Richard Bare filme ses six personnages au plus près en mettant particulièrement en valeur les lourds silences, les non-dits inquiétants. Et quand il prend la route, c’est avec une série de plans hallucinés et désaxés sur une voiture en mouvement, irréels et pesants.

On en oublierait presque le twist final, aussi simple que réjouissant. Cet épisode est une leçon de mise en scène, ou comment réaliser un grand film d’angoissant avec zéro moyen.

La Quatrième Dimension 1 La Flèche dans le ciel

La Flèche dans le ciel (I shot an arrow into the air)

* 15 : La Flèche dans le ciel (I shot an arrow into the air) – réalisé par Stuart Rosenberg

Une fusée disparaît des radars quelques minutes après son lancement. Les survivants ignorent tout du lieu particulièrement hostile où ils se sont crashés, et tentent de s’organiser pour leur survie…

Il y a une idée particulièrement forte au cœur de cet épisode. Mais le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on la voit venir à des kilomètres, cette idée qui constitue le twist final et dont on ne dira donc rien ici. Le plus gênant, c’est que la manière n’est pas non plus à la hauteur. En tout cas pas vue par des yeux d’aujourd’hui : l’équipage et ses rites paraissent bien vieillots.

Reste quand même une dernière scène qui frappe par sa tension, alors que, justement, on a compris depuis longtemps la surprise finale qu’elle nous réserve.

* 16 : L’Auto-stoppeur (The Hitch-hiker) – réalisé par Alvin Ganzer

Une jeune automobiliste qui traverse les Etats-Unis échappe à un accident après qu’un de ses pneus a explosé. En reprenant la route, elle ne cesse de voir un mystérieux auto-stoppeur qui semble la suivre, voire la précéder…

Inger Stevens est formidable dans le rôle de cette jeune femme qui sombre dans une sorte de cauchemar éveillé, au bord de la folie. Un excellent épisode dont les premières minutes sont absolument glaçantes, et qui n’est gâché par moments que par une inutile voix off, qui sonne comme un aveu d’impuissance de la part d’un réalisateur pas sûr de la force de sa seule mise en scène.

Il a tort : L’Auto-stoppeur est un road-movie inquiétant dont les parti-pris (la simplicité, la forme, le décor) annoncent le Duel de Spielberg, grand fan de Twilight Zone (il co-réalisera l’adaptation cinéma, bien des années plus tard). Pas sûr que ce soit un simple hasard.

* 17 : La Fièvre du jeu (The Fever) – réalisé par Robert Florey

Un homme très droit, qui place la morale au-dessus de tout. Jusqu’à ce que sa femme gagne un week-end tout frais payé dans la capitale du péché. Las Vegas, dont la fièvre se résume ici à une unique salle de jeux, et surtout à une machine à sous, qui serait banale et anodine si elle ne tapait à ce point dans l’oeil de cet homme si droit, si moralisateur, et finalement si faible.

C’est une critique finalement elle aussi très morale du monde du jeu que signe Robert Florey, sur un scénario du maître des lieux Rod Serling. Jouer pour de l’argent, c’est mal. C’est flagrant, et franchement radical. Trop radical, trop brutal, pour être totalement convaincant, mais Everett Sloane, filmé en très gros plans suintants, est formidable dans le rôle principal. C’est la vision de son visage, de plus en plus proche et fiévreux, qui crée le malaise et l’angoisse.

La Quatrième Dimension Infanterie Platon

Infanterie « Platon » (The Purple Testament)

* 18 : Le Lâche (The Last Flight) – réalisé par William F. Claxton

The Last Flight ne tient que sur cinq minutes, les dernières : un paradoxe temporel assez vertigineux sur lequel on aurait bien du mal à mettre des mots. Essayons quand même : un pilote anglais de 1917, qui a atterri sur une base américaine en 1959, réalise qu’il doit repartir à son époque avant que n’atterrisse un officier qui fut son équipier 42 ans plus tôt, et que lui seul aurait pu sauver de la mort. S’il reste là à l’attendre, alors l’aura n’aura pas pu être sauvé.

Belle pirouette tardive, pour un épisode qui commence assez mollement, avec ce voyage dans le temps qui semble déjà bien éculé. Willam F. Claxton fait le job avec un métier indéniable, mais sans éclat, sans cette petite étincelle de mystère qui caractérise tant de moments de la série. Plaisant tout au plus jusqu’au final, qui nous laisse sur une impression nettement plus consistante. In fine.

* 19 : Infanterie « Platon » (The Purple Testament) – réalisé par Richard L. Bare

Un cauchemar comme on les aime dans Twilight Zone : simple et terrifiant à la fois, dépouillé et profondément humain. En l’occurrence le destin d’un officier américain en 1945, dans le Pacifique, qui sait juste en regardant les visages lesquels des soldats qui l’entourent vont mourir dans les batailles à venir. Idée formidable, traitement proche de l’épure, avec un simple halo de lumière qui éclaire les visages.

La force de ce bel épisode, puissant et marquant, réside dans le point de vue, qui ne quitte que rarement celui de l’officier en question. Si le rebondissement final est franchement attendu, tout ce qui précède est beau, car dénué d’effet facile : cet épisode est à hauteur d’homme, et c’est par le regard du personnage principal (William Reynolds) que tout passe : l’horreur, la peur, la fatalité… la résignation d’un homme qui côtoie la mort depuis trop longtemps.

* 20 : Requiem (Elegy) – réalisé par Douglas Heyes

Trois astronautes perdus dans l’espace, à cours de carburant, atterrissent sur une planète inconnue qui ressemble étrangement à la terre, mais où le temps semble s’être arrêté 200 ans plus tôt.

Episode assez banal et bancal. La série nous avait déjà fait le coup de l’ersatz de notre planète, en plus inspiré. Le scénario est plutôt mystérieux, et quelques plans tournant autour de la population figée sont assez beaux, l’apparition d’un Cecil Kellaway rigolard est réjouissante. Mais la réalisation de Douglas Heyes manque de folie, et la révélation finale a quelque chose d’approximatif, pas franchement convaincant.

La Quatrième Dimension s1e22 Les Monstres de Mapple Street

Les Monstres de Maple Street (The Monsters are due on Maple Street)

* 21 : Image dans un miroir (Mirror image) – réalisé par John Brahm

Grande réussite que ce nouvel épisode signé par l’excellent John Brahm, sommet d’angoisse pure. Vera Miles y est une jeune femme attendant un bus dans une gare routière par une nuit pluvieuse, et qui semble devenir folle lorsque ceux qu’elle croise lui répètent sans cesse qu’elle a fait des choses qu’elle ne se souvient pas avoir faites.

Un lieu unique et fermé, très peu de personnages, une économie de moyens absolue, et un scénario qui plonge de plus en plus profond dans les rouages de la folie. C’est du Twilight Zone comme on l’aime, cauchemardesque et surprenant, porté par une excellente Vera Miles, parfaite incarnation du trouble.

* 22 : Les Monstres de Maple Street (The Monsters are due on Maple Street) – réalisé par Ron Winston

Un classique. Et bien plus qu’un classique : un film qui reste d’une actualité glaçante, plus de soixante ans plus tard. Maple Street : un quartier résidentiel où tout le monde se connaît. Il suffit d’un événement inhabituel (un bruit étrange venu du ciel faisant penser à une météorite, suivi d’une coupure de courant généralisé) pour que la psychose s’installe.

Dans ce microcosme soudain déconnecté du monde, chacun commence à suspecter son voisin. De quoi ? En l’occurrence d’être un monstre venu d’une autre planète, mais ce pourrait être un terroriste, un complotiste… un communiste pourquoi pas ! Écrit par Rod Serling lui-même, cet épisode dépeint une Amérique sombrant dans la paranoïa. Forcément d’actualité dans cette époque dominée par la guerre froide. Mais si le film reste à ce point marquant, c’est parce qu’il donne le sentiment que rien n’a vraiment changé.

Claude Akins, sur le fil entre complotisme et comportement raisonnable, incarna la complexité de l’âme humaine, capable du pire même avec les meilleurs sentiments. C’est concis, tendu, percutant et glaçant. Un classique à la fois très ancré dans son époque, et intemporel. Un tour de force, donc.

* 23 : Un monde différent (A world of difference) – réalisé par Ted Post

La réalité n’est pas telle qu’on le croit. Voilà en gros comment on pourrait résumer la plupart des épisodes de Twilight Zone. Celui-ci adopte un regard nouveau sur ce principe de base, à la fois très original et d’une simplicité séduisante. Howard Duff y est un homme normal, qui arrive au bureau pour une journée parmi tant d’autres au boulot.

Tout est banal, quotidien, jusqu’à ce que cette journée de travail soit interrompue par un « Coupez ! » venu d’on ne sait où. Et le personnage principal réalise sans vraiment comprendre qu’il est sur un plateau de cinéma, et que celui qu’il croit être n’est que le personnage qu’il interprète dans un film en tournage.

On comprend à demi-mots : l’acteur est dans une mauvaise passe, harcelé par une ex-femme qui en veut à sa fortune. Et c’est dans la fiction qu’il se réfugie. On comprend tout ça, mais Twilight Zone choisit inévitablement la voie de la fable. La schizophrénie d’un homme devient le prétexte à un glissement fascinant entre la réalité et autre chose, qu’on peut qualifier de refuge, de folie, ou de réalité alternative. Qu’importe, c’est fascinant, et beau.

La Quatrième Dimension s1e24 Longue vie Walter Jameson

Longue vie, Walter Jameson (Long live Walter Jameson)

* 24 : Longue vie, Walter Jameson (Long live Walter Jameson) – réalisé par Anton Leader

Une petite université comme tant d’autres. Mais parmi les enseignants, un professeur d’histoire voit les étudiants affluer à ses cours, fascinés par son don pour évoquer les grands événements du passé comme s’il les avait vécus. Et pour cause…

Longue vie, Walter Jameson est le parfait exemple de ce qui fait la grandeur intemporelle de la série : cette capacité à rendre palpable le fantastique, avec une extraordinaire économie de moyens. Ici, rien d’autres, ou presque, qu’un face à face entre un homme vieillissant et un autre, dont les traits n’ont pas changé depuis des années.

Pas besoin de plus pour invoquer le thème de la vie éternelle, de l’immortalité. Un scénario remarquable et une mise en scène d’une parfaite fluidité suffisent à créer la profondeur, avec une simplicité manifeste. C’est du grand art.

* 25 : Tous les gens sont partout semblables (People are alike all over) – réalisé par Mitchell Leisen

Deux astronautes s’apprêtent à s’envoler pour Mars. L’un, un scientifique, est terrorisé. L’autre, plus expérimenté, se montre philosophe. Il a une théorie sur les habitants qu’ils risquent de trouver sur la planète rouge : où qu’ils soient, tous les gens se ressemblent. Bien sûr, il a raison…

Encore un épisode remarquable par sa simplicité et son efficacité. La première scène est déjà formidable : les deux astronautes, derrière un grillage, discutent de leurs peurs respectives en fixant la fusée qui va les emmener. Difficile de faire plus simple, et pourtant, on ressent pleinement la peur qui paralyse le personnage du scientifique, joué par Roddy McDowall.

Suit une ellipse de dingue, un condensé de peur paralysante, et un faux soulagement qui ouvre sur une angoisse diffuse… jusqu’à la révélation finale, totalement dans l’esprit de la série, d’une cruelle ironie. Oui, tous les gens sont partout semblables.

* 26 : Exécution (Execution) – réalisé par David Orrick McDearmon

Une entrée en matière particulièrement intrigante : dans l’Ouest sauvage, un tueur est condamné à mort après avoir commis un meurtre. A peine se retrouve-t-il pendu à une corde qu’il disparaît comme par magie… Une disparition figurée avec la traditionnelle économie de moyens de la série, par un plan sur l’ombre du pendu, qui s’efface pour ne laisser la place qu’à celle de la corde.

Scène suivante : nous sommes à New York, 80 ans plus tard, à l’époque contemporaine, donc. Le pendu se réveille face à un scientifique, qui lui annonce qu’il est le premier voyageur temporel. Bonne nouvelle : on ne s’embarrasse pas d’une quelconque justification. Le type a inventé une machine à remonter le temps. Point.

Pas de bol : sa « proie » est un tueur, qui découvre un futur invivable, plein de bruits et de mouvements. Une manière originale de porter un regard critique sur notre modernité, en quelque sorte. Mais là n’est pas l’essentiel : cet épisode est surtout marqué par une profonde et cruelle ironie, qui prend toute sa dimension lors de la scène finale, comme un écho à la scène d’ouverture, comme une parenthèse qui se referme.

La Quatrième Dimension s1e29 Cauchemar

Cauchemar (Nightmare as a child)

* 27 : Le Vœu magique (The big tall wish) – réalisé par Ron Winston

Un boxeur vieillissant observe son reflet dans le miroir, à quelques heures d’un combat qui pourrait marquer son retour. Il a 36 ans, quelques années de gloire derrière lui, beaucoup d’incertitude devant, et des tas de cicatrices sur le visage, comme autant de jalons d’une vie passée sur le ring.

Elle est belle et émouvante, cette image d’un homme qui se sait à la croisée des chemins, le regard chargé de souvenirs, et de la crainte de ce qui l’attend. Belle aussi, la relation qui unit ce boxeur vieillissant et solitaire, et le gamin de l’appartement voisin, son meilleur ami, son plus grand supporter. Un enfant qui croit encore en la force la magie, et qui y croit si fort que…

L’aspect fantastique est assez secondaire dans cet épisode, sensible et joliment nostalgique. Il y est surtout question d’innocence, d’enfance, et du difficile passage à l’âge adulte. Bel épisode sensible par le réalisateur d’un classique nettement plus paranoïaque de la série, Les Monstres de Mapple Street.

* 28 : Enfer ou paradis ? (A nice place to visit) – réalisé par John Brahm

Un cambrioleur est abattu par la police après avoir été surpris en pleine opération. Il se réveille auprès d’un homme étrange tout de blanc vêtu, qui lui offre tout l’argent qu’il souhaite, un appartement luxueux, de belles jeunes femmes… Il finit par comprendre qu’il est mort, et que tous ses souhaits deviennent réalité.

Tout cet épisode repose sur une idée : le sel de la vie, c’est l’incertitude. Le joueur qui est certain de gagner ne trouve plus de plaisir au jeu. Et c’est exactement ce constat que va faire tardivement ce bad guy, qui s’est un peu vite convaincu qu’il était au paradis. Une belle idée, mais qui reste très superficielle, insuffisante en tout cas pour en faire une vraie réussite.

* 29 : Cauchemar (Nightmare as a child) – réalisé par Alvin Ganzer

En rentrant à son appartement, une jeune femme souffrant d’amnésie rencontre une fillette étrangement grave. Peu après, un homme qui a connu sa mère assassinée sonne à sa porte…

Rod Serling signe lui-même le scénario de cet épisode assez flippant et complexe, dont on sent bien qu’il porte l’influence de Psychose, sortie à cette époque. L’inconscient de la jeune femme prend littéralement forme humaine, dans un subtil dialogue entre le passé et le présent.

Même si le rebondissement final n’est pas une surprise, l’intelligence du scénario, combiné à la concision inhérente au format de la série, fait de cet épisode un must méconnu.

La Quatrième Dimension s1e30 Arrêt à Willoughby

Arrêt à Willoughby (A stop at Willoughby)

* 30 : Arrêt à Willoughby (A stop at Willoughby) – réalisé par Robert Parrish

Un homme, qui n’aspire qu’à une vie sereine, ne supporte plus la pression que fait peser sur lui son patron, ou son ambitieuse femme. Dans le train qui l’emmène de son travail à sa maison, il fait un rêve récurrent : le train s’arrête dans une gare qui n’existe pas nommée Willoughby, à une époque révolue depuis longtemps. Et s’il descendait à Willoughby…

C’est une véritable merveille que cet épisode qui porte l’aspect mélancolique de la série à son apogée. Superbe scénario, mise en scène très inspirée… Nous voilà plongés dans l’esprit fatigué de cet homme qui étouffe, confronté à un monde, professionnel comme personnel, qui ne voit en lui que le rendement.

Cet arrêt imaginaire, ce rêve nostalgique d’un monde qui n’existe plus… La magie de La Quatrième Dimension rend évidemment tout miracle possible. Mais celui-ci est teinté d’une cruelle amertume. Surprenant jusqu’à la dernière seconde. Et magnifique.

* 31 : La Potion magique (The Chaser) – réalisé par Douglas Heyes

Un homme transi d’amour pour une femme qui ne le supporte pas… Une rencontre inattendue avec un « professeur » qui vend des potions comme un génie distribue des miracles… Et l’amour inconditionnel, absolu et éternel qui surgit comme par magie…

Cet épisode revisite le mythe du filtre d’amour un peu platement, mais avec une ironie bienvenue. Les scènes avec le jeune couple sont plutôt convenues, mais l’introduction autour d’un téléphone pris d’assaut est très efficace, et les apparitions du « génie » joué par le grand John McIntire sont particulièrement réussies, dans un décor quasi-surréaliste mémorable.

* 32 : Coup de trompette (A passage for trumpet) – réalisé par Don Medford

Un trompettiste qui a gâché son talent dans l’alcool décide d’en finir avec la vie et se jette sous un camion. Quand il se réveille, il réalise que personne ne le voit ou ne l’entend.

Raconté comme ça, ça ressemble à beaucoup d’autres épisodes. Pourtant, il se dégage de ce petit film écrit par Rod Serling lui-même une douce mélancolie et un amour de la vie qui en font une petite merveille.

Jack Klugman est particulièrement touchant dans le rôle de ce trompettiste incapable de saisir les beautés de l’existence. Et Don Medford signe une mise en scène très inspirée, dans des décors urbains de film noir (une allée sombre, un bar, le toit d’un immeuble) réduits à leur plus simple expression.

La Quatrième Dimension s1e34 Neuvième étage

Neuvième étage (The After Hours)

* 33 : Un original (Mr. Bevis) – réalisé par William Asher

Sale journée pour Mr Bevis qui, en l’espace d’une journée, perd son boulot, sa voiture et son appartement. Mais Mr Bevis peut compter sur son ange gardien, qui lui apparaît en pleine beuverie dans un bar, et qui répare tout ce bazar qu’est devenue la vie de cet homme jovial et original. Mais cela vaut-il vraiment la peine de changer ce que l’on est profondément ?

Question simple, pour un épisode joliment bienveillant, écrit par Rod Serling lui-même. Le personnage joué par Orson Bean est particulièrement attachant, et le large sourire de l’ange-gardien interprété par Henry Jones renforce la bonhomie de cet épisode léger et optimiste.

* 34 : Neuvième étage (The After hours) – réalisé par Douglas Heyes

La cliente d’un grand magasin se fait emmener vers un étrange neuvième étage, totalement désert à l’exception d’une vendeuse tout aussi mystérieuse. Or, il n’y a pas de neuvième étage dans ce magasin. Et la vendeuse ressemble étrangement à l’un des mannequins en cire utilisés pour présenter les vêtements…

Original cet épisode, d’abord plutôt angoissant, voire carrément flippant, puis presque poétique. Un joli mélange des genres qui trouve son apogée lors de la grande scène de révélation, lorsque les mannequins prennent tous vie dans l’étape déserté et plongé dans la pénombre.

* 35 : Le Champion (The mighty Casey) – réalisé par Alvin Ganzer et Robert Parrish

Un entraîneur de base-ball croit saisir la chance de sa vie quand un scientifique lui amène sa création : un robot à l’apparence humaine, qui a tout d’un champion. Sa réussite est miraculeuse, jusqu’à ce qu’on lui ajoute un cœur…

Pas fou, cet épisode qui ne repose que sur cette idée : le champion parfait serait celui qui n’aurait pas de cœur. Un peu léger, même pour tenir vingt-cinq minutes tendues. Ce n’est pas le cas, malgré la présence d’un Jack Warden dans son élément.

* 36 : Un monde à soi (A world of his own) – réalisé par Ralph Nelson

La première saison se termine par un épisode malin et plutôt léger, sur un thème récurrent de la série : les mystères de la création. En l’occurrence un écrivain qui mène une vie parfaite, entouré d’une épouse parfaite et d’une maîtresse parfaite… et mystérieuse.

La frontière entre la fiction et la réalité est au cœur de cette histoire qui porte en elle toutes les qualités du show : une idée forte, parfaitement utilisée dans une mise en scène simple et directe. Pas de grands effets : juste un lieu clos et un trio d’acteurs, dont l’impeccable Keenan Wynn.

Et Rod Serling lui-même, dans une apparition clin d’œil qui clôt idéalement cette première grande salve d’épisodes, qui recelait déjà un paquet de classiques…

L’Enfance d’Ivan (Ivanovo detstvo) – d’Andreï Tarkovski – 1962

Posté : 26 juin, 2024 @ 8:00 dans 1960-1969, TARKOVSKI Andreï | Pas de commentaires »

L'Enfance d'Ivan

Premier long métrage de Tarkovski… et première claque, immense, qui valut à son auteur un Lion d’Or bien mérité. Après plusieurs courts et moyens métrages, le réalisateur voulait savoir s’il était capable de tenir la distance sur un long, acceptant pour cela un film de commande. Tellement de commande que le tournage avait été commencé par un autre cinéaste, avant que ce dernier soit remercié.

Tarkovski a repris le projet au débotté, reprenant tout depuis le début, et apportant ses propres idées, y compris au niveau du scénario. C’est lui, notamment, qui a choisi de donner une telle importance aux rêves du jeune Ivan dans cette histoire d’une extrême simplicité, qui se déroule durant les combats entre les Soviétiques et les Nazis : Ivan, 12 ans, a perdu sa mère, tuée par les Allemands. Des soldats de l’armée rouge l’ont pris sous leur aile, lui insistant pour leur servir d’éclaireur…

Pas de flash-backs à proprement parler, mais des rêves, qui invoquent douloureusement une innocence détruite dans la violence… Ces scènes de rêve, et ce n’est pas si commun, sont absolument magnifiques. Elles ouvrent le film, et le referment avec un plan de grande liberté qui confirme ce que l’on ressent tout au long du film : Tarkovski, influencé par Bergman, l’est tout autant par le Truffaut des 400 coups

Comme ce dernier, Tarkovski réinvente réellement et profondément la représentation de l’enfance au cinéma. Son Ivan, que l’on découvre couvert de boue et de sueur, le regard dur et décidé, se comportant comme un adulte revenu de tout, n’a a priori rien d’attachant. Seuls ses rêves nous permettent de passer la façade de cette dureté, derrière laquelle est enfouie la douleur d’une enfance ravagée par la guerre.

La guerre, que Tarkovski cantonne essentiellement à six personnages : une femme disparue, une autre presque abstraite, trois hommes et autant de pères potentiels pour un enfant. Un enfant qui ne l’est que dans le regard des hommes qui l’entourent, et du spectateur, bouleversé par cette violence aveugle dont on ne voit que les effets, absurdes et désastreux…

L’Enfance d’Ivan est un film d’une force émotionnelle immense, et visuellement magnifique. Une splendeur, dont chaque plan est d’une richesse, d’une inventivité et d’une puissance inégalables. C’est lyrique, intime, intense, rempli de gros plans bouleversants et de travellings hallucinants comme celui, vertical, qui ouvre le film le long d’un tronc d’arbre qui semble ne jamais devoir finir.

Comme ces troncs innombrables qui barrent l’horizon dans les marais, où le petit groupe s’enfonce sous un ciel étoilé qui semble lui être inaccessible. Tarkovski voulait savoir s’il était capable de réaliser un film ? Il prouve qu’il est déjà un très grand maître, et le meilleur cinéaste soviétique de sa génération.

Devine qui vient dîner ? (Guess who’s coming to diner) – de Stanley Kramer – 1967

Posté : 24 juin, 2024 @ 8:00 dans 1960-1969, KRAMER Stanley | Pas de commentaires »

Devine qui vient dîner

Stanley Kramer est un cinéaste sincère, et très engagé. Un libéral, comme on dit aux Etats-Unis, dont les films sont des armes pour faire avancer le monde dans le bon sens. Bref, Stanley Kramer devait être un mec bien. Mais pas le réalisateur le plus enthousiasmant du monde, même s’il avait/a ses fans.

Son cinéma peut par moments être lourdement didactique. Il est dans Devine qui vient dîner ?, dénonciation très célébrée du racisme quotidien, un peu maladroit. Parce qu’à force de vouloir démontrer avec force les tares de ses contemporains, il ne réalise pas qu’il passe un peu à côté de sa cible.

Dans ce film, tourné à une époque où le mariage interracial est encore interdit dans plusieurs états américains, Kramer multiplie les effets pour souligner le trouble que provoque la découverte du ou de la fiancé(e), et de sa couleur de peau : les parents du personnage joué par Sidney Poitier ou ceux de Katharine Houghton (Katharine Hepburn et Spencer Tracy, quand même) ont à peu près la même réflexion atterrée…

Tous sont pourtant de braves gens, bien installés et ouvertement de gauche. La jeune fiancée, d’ailleurs, n’a pas même l’ombre d’un doute quant à l’accueil que ses parents si ouverts réserveront au brillant médecin à la réputation internationale dont elle est tombée amoureuse. Ah oui, parce qu’il est ça : un brillant médecin à la réputation internationale, et que ce détail qui devrait être sans importance, voire pas même mentionné, finit par obscurcir totalement le message.

Dans le cheminement mental de ce bon Spencer Tracy, patron de presse de gauche tellement bien qu’il est ami avec un prêtre alors qu’il n’est même pas croyant, la condition sociale du futur gendre a son importance. Facile d’être ouvert et d’affirmer dans un speech lénifiant que la couleur de peau n’est pas un sujet quand on a passé plus d’une heure à relativiser sa gêne en soulignant la réussite sociale dudit…

Autre petit problème, qui pèse assez lourdement aujourd’hui : la décision finale revient définitivement à l’homme, le seul chef de famille. Katharine Hepburn a beau être convaincue en quelques minutes par l’histoire d’amour (après un accueil qui en aurait refroidi plus d’un, quand même), elle se contente d’attendre avec anxiété la réaction de son mari, en bonne épouse qui ne s’est jamais rebellée. Avec ce film, l’antiracisme fait un minuscule pas. Pour le féminisme, il faudra attendre…

Cela étant dit, en flirtant avec la comédie, et en adoptant un rythme plein de vivacité, dans un décor de studio plein de charme (et cette vue improbable sur le Golden Gate, qui confirme qu’il est question du racisme dans un milieu très, très favorisé), Kramer fait les bons choix, et signe un film attachant et assez passionnant. Qui passe à côté de sa cible.

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