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Archive pour la catégorie 'OZU Yasujiro'

Fin d’automne (Akibiyori) – de Yasujiro Ozu – 1960

Posté : 3 juin, 2024 @ 8:00 dans 1960-1969, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Fin d'automne

Une jeune femme en âge de se marier vit toujours chez sa mère, veuve. Voilà une trame qui rappelle le très beau Printemps tardif, tourné plus de dix ans plus tôt. A ceci près qu’ici, ce n’est pas un père que la jeune femme peine à quitter, mais une mère, que joue la grande Setsuko Hara, celle-là même qui jouait la jeune femme dans Printemps tardif.

La parenté entre les deux films est forte. Et la présence dans les deux films de Setsuko Hara franchement troublante, comme si les deux films étaient les deux facettes d’une histoire qui se répète, une génération plus tard. Car s’il est question de marier la fille, le remariage de la mère est aussi dans l’air du temps…

C’est en tout cas ce que se sont mis dans la tête les trois amis du défunt père, qui furent tous trois amoureux de Setsuko dans sa jeunesse, et que cet amour d’autrefois continue à faire vibrer, comme d’éternels gamins rattrapés par un temps qu’ils n’ont pas vu venir.

On retrouve la douce nostalgie d’Ozu, mais avec une légèreté pleine d’optimisme, sans pour autant renier quoi que ce soit du sentiment d’inéluctabilité. L’émotion est donc là, immense et douce, mais il y a aussi un refus de s’apitoyer, une manière d’être comme en suspens, que soulignent ces reflets d’eau mouvante qui reviennent constamment au cours du film.

Ozu filme le temps qui a passé, et surtout ce qui reste : la beauté de Setsuko Hara, l’amitié de vieux compères, ces objets qui habitent la maison, même quand les occupants en sont partis…

Il filme aussi, d’une manière plus marquée que d’habitude, presque spectaculaire, les tiraillements de la société japonaise, entre tradition et modernité. Entre la maison de bois et les tenues traditionnelles qui sont comme les refuges d’une innocence en bout de course, et les grands immeubles de béton qui abritent le Japon laborieux.

Des thèmes classiques pour Ozu, mais dont il fait la base d’une comédie douce-amère où les sourires et l’émotion ne sont jamais loin. Et dont on ressort avec une boule au ventre et un large sourire. Ozu, une nouvelle fois, est grand.

La Dame et le Barbu /La Femme et les favoris / La Dame et les barbes (Shukujo to hige) – de Yasujiro Ozu – 1931

Posté : 19 mai, 2024 @ 8:00 dans 1930-1939, FILMS MUETS, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

La Dame et le barbu

Il y a des perles dans la période muette d’Ozu. La Dame et le Barbu est, disons, une curiosité : une pure comédie à peine teintée de quelques touches mélancoliques, qui revendique une vraie légèreté, plutôt rare dans la filmographie du cinéaste.

Parti pris amusant : la plupart des gags tournent autour du corps humains. Les mains sur lesquels tape le bâton de kendo, les orteils que le héros sans chaussettes tente de dissimuler, le ridicule de certains personnages qui passe par leur dentition… et bien sûr la barbe du héros, joué par une grande star de l’époque, Tokihiko Tokada.

Doit-il ou garder cette barbe d’un noir profond ? C’est tout l’enjeu du film, et le grand dilemme de cet homme dont on ne sait s’il est plus séduisant avec ou sans. On n’est certes pas dans la veine la plus profonde d’Ozu. Pourtant, le bien nommé La Dame et le Barbu s’inscrit parfaitement dans sa filmographie.

On y retrouve à la fois la légèreté se heurtant à une rude réalité de ses comédies d’étudiants, mais aussi quelques thèmes chers à Ozu : le choix de se marier ou non, la confrontation de la tradition et de la modernité (symbolisée par les différents personnages féminins), ou l’influence de la culture américaine qui, ironiquement, prend la forme d’une grande affiche du Chant du Bandit, film avec Laurel et Hardy « all talking » (alors que Ozu repoussera jusqu’en 1933 son passage au parlant).

Ozu s’amuse (et nous avec), et pose surtout les bases d’un cinéma plus personnel. Quelques scènes sont déjà mémorables. Avec des trouvailles formelles, comme ce superbe jeu de lumières balayées sur l’intérieur d’une voiture dans la nuit. Et des plans magnifiques sur le visage de la « mauvaise fille », qui se prend à rêver d’une autre vie. Même dans la pure comédie, une douce mélancolie, déjà.

J’ai été recalé, mais… (Rakudai wa shita keredo) – de Yasujiro Ozu – 1930

Posté : 27 février, 2024 @ 8:00 dans 1930-1939, FILMS MUETS, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

J'ai été recalé, mais

Si éloigné en apparence des grands films d’après-guerre d’Ozu, J’ai été recalé, mais… est en revanche typique d’une partie importante de sa filmographie des premières années : une comédie universitaire comme il en a déjà réalisé plusieurs, souvent avec bonheur.

Le titre évoque évidemment J’ai été diplômé, mais… dont il est une sorte de jumeau. On retrouve de fait dans ce film beaucoup d’éléments qu’Ozu a déjà filmé dans des contextes similaires : la camaraderie des étudiants, la triche aux examens, les premiers amours, ou encore les premiers pas difficiles dans la vie adulte.

Derrière la légèreté apparente, et en grande partie réelle, Ozu impose déjà quelque chose de la douce nostalgie qui ne cessera d’habiter son œuvre. Beaucoup de ses films, pour ne pas dire la plupart, sont basés sur un changement d’époque, la disparition d’une période d’insouciance, d’innocence…, qui mène les personnages vers une vie plus solitaire. C’est le cas déjà ici.

Ozu, qui n’a pas fait lui-même d’étude, filme ici la vie universitaire comme un paradis déjà perdu, ou presque. La dernière séquence, sans se départir d’une certaine légèreté, peut être vu comme une sorte de porte d’entrée vers son grand œuvre à venir : on y voit des amis diplômés, qui réalisent que les années d’étude qu’ils viennent d’achever étaient peut-être bien les plus belles qu’ils vivraient.

C’est la naissance de la nostalgie qu’il raconte alors. Et le fait que l’un des amis en question soit joué par Chishu Ryu, le grand interprète des chefs d’œuvre à venir, rajoute rétrospectivement à la force de l’image. Il tient ici un rôle assez secondaire : l’un des cinq étudiants qui vivent dans la même pension, inséparables, se préparant ensemble à leurs examens à venir.

Le personnage central est joué par Tatsuo Saito, complice incontournable d’Ozu ces années-là. Il est l’un des cinq « mousquetaires », le seul à rater son examen, qui passe de l’insouciance de cette vie de groupe symbolisée par les pas de danse très « burlesque américain » que la bande effectue à toutes occasions, à un sentiment brusque de rejet et de solitude. Tout en se consolant dans les bras de la belle Kinuyo Tanaka, et dans la légèreté renouvelée de l’université.

C’est une vraie comédie, souvent amusante, mais parfois grave aussi, que signe Ozu, qui au passage évoque une nouvelle fois la galère du monde du travail. Autre constante de ses films ces années-là. C’est mineur et prometteur, c’est joyeux et pas si léger. C’est en tout cas un vrai plaisir ozuphile.

Amis de combat / Combats amicaux à la japonaise (Wasei kenka tomodachi) – de Yasujiro Ozu – 1929

Posté : 22 février, 2024 @ 8:00 dans 1895-1919, COURTS MÉTRAGES, FILMS MUETS, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Amis de combat

14 minutes pour se rendre compte de la qualité d’un film cinq fois plus long… C’est un peu court, mais c’est tout ce qu’il reste d’Amis de combat, long métrage réputé perdu dont on a retrouvé en 1997 une copie «Pathé-Baby », dans un format et avec une durée destinée à la projection domestique.

C’est donc une version très abrégée du film que l’on peut découvrir. Et on en sort avec une envie folle de découvrir le long métrage original, tant ce qui en subsiste semble prometteur. Bien plus que Jours de jeunesse, le précédent film d’Ozu et le plus ancien à avoir survécu dans son intégralité, dont Amis de combat reprend la même trame narrative.

Là aussi, le film suit deux amis qui vivent sous le même toit, et qui tombent sous le charme d’une jeune femme qui finira par partir avec un troisième. Même histoire, même ton léger, mais le décor change : pas d’étudiants en vacances ici, mais des ouvriers de la route vivant dans un baraquement populaire, où l’eau est tirée au puits et les poules sont élevées sur la route…

Ce changement de décor n’a rien d’anecdotique. Même s’il est surtout l’occasion de multiplier les gags, il inscrit mine de rien le film dans une réalité plus rude, plus tangible que les sempiternelles comédies d’étudiants, genre auquel Ozu a souvent apporté sa contribution à ses débuts.

Tout en restant léger, ce film apporte une touche un peu plus grave au regard d’Ozu, plus ancrée dans le réel. Et ce n’est sans doute pas un hasard si on découvre déjà quelques thèmes visuels qui marqueront tout son cinéma : les trains qui passent, le linge qui sèche, et les lignes électriques omniprésentes, qui servent de toile de fond au jeune couple qui vient de se former et qu’Ozu filme de dos.

Bien plus que son film précédent, Amis de combat donne le sentiment d’assister à la naissance d’un grand cinéaste dont l’univers si personnel affleure, sous les attraits de la comédie.

Jours de jeunesse (Gakusei romansu : wakaki hi) – de Yasujiro Ozu – 1929

Posté : 25 janvier, 2024 @ 8:00 dans 1920-1929, FILMS MUETS, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Jours de jeunesse

C’est le huitième film d’Ozu, mais le premier conservé, toutes ses réalisations précédentes étant présumées perdues. Autant dire que c’est une œuvre importante : pas l’acte de naissance, mais l’œuvre la plus ancienne, forcément fondatrice, du plus grand réalisateur du monde…

Bon. Si sa carrière avait dû s’arrêter là, Ozu n’aurait pas été le plus grand réalisateur du monde. Sans doute son nom nous serait-il même rester totalement inconnu. C’est que Jours de jeunesse, comédie étudiante comme il en tournera d’autres dans les mois et années qui suivent, est une petite chose aussi sympathique qu’anodine.

Un élément, quand même, en fait une œuvre unique, au moins dans la filmographie du cinéaste : une grande partie du film se déroule à la montagne, durant un week-end de ski. Ozu et les sports d’hiver, voilà un mariage auquel on n’aurait pas pensé spontanément.

Il faut rappeler quand même qu’à l’époque, Ozu est un jeune réalisateur en construction, avant tout au service du studio pour lequel il bosse (la Shockiku), et qu’il n’hésite pas à se plier aux demandes du public. Les sports d’hiver étant alors en pleine éclosion au Japon, le voilà donc plantant ses caméras dans la neige.

Une curiosité, donc, qui ne brille pas par son originalité. Pour résumer : deux amis étudiants qui se disputent pas même jeune femme, ce triangle amoureux étant raconté à grand renfort de chutes et de glissades mal contrôlées, un peu répétitives et pas franchement hilarantes.

Pas désagréable pour autant, la comédie s’avère même délicieusement méchante lorsqu’elle s’attarde sur la mesquinerie de l’un des deux amis, le cancre, dont le sens de la morale est très discutable. On le voit donc ridiculiser son ami pour faire le coq auprès de la belle, ou faire tomber cette dernière dans la neige pour le plaisir de lui essayer les fesses.

Mais cette méchanceté ne va pas bien loin, et le film aurait nettement gagné à être resserré, pour se rapprocher des modèles revendiqués d’Ozu. On pense évidemment aux comédies d’Harold Lloyd, dont plusieurs personnages s’inspirent de l’allure, mais dont Ozu n’a clairement pas le génie comique. D’ailleurs, c’est une l’affiche de Seventh Heaven qui trône dans la chambre des étudiants. Pas exactement une comédie, mais Ozu était un grand admirateur de Frank Borzage, qu’il a toujours cité comme une source d’inspiration.

Le Goût du riz au thé vert (Ochazuke no aji) – de Yasujiro Ozu – 1952

Posté : 23 janvier, 2024 @ 8:00 dans 1950-1959, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Le Goût du riz au thé vert

La valeur d’un homme ne se mesure pas à ses cravates ou à ses costumes, lance un personnage. Et celle d’un couple ne dépend pas du nombre de domestiques ou du confort de la maison, pourrait-on ajouter, après avoir vu ce beau film, dans lequel Ozu capte des prises de conscience, des femmes et des hommes qui décident de s’emparer de leurs propres vies…

La mélancolie qui baigne Le Goût du riz au thé vert n’est pas habituelle pour Ozu. Elle semble ici souligner non le temps qui passe (qui a pourtant son importance), mais le sentiment au contraire d’être enfermé dans un moment subi : cette toute jeune femme à qui son entourage prépare une rencontre arrangée, et surtout sa tante et son oncle qui vivent un mariage décidé pour eux bien des années avant.

Il y a dans ce film, au-delà de la mélancolie, une espèce de rancœur rare dans le cinéma d’Ozu. Au-delà de la tristesse et de la rage, une hargne qui s’apparente par moments à du dégoût de soi. Les quelques gestes tendres du couple formé par Michiyo Kogure et Shin Saburi sont constamment contrariés par des mots durs, des regards fermés. Ce contraste, on le retrouve jusque dans le décor de leur maison, entre la tradition japonaise du salon et le confort tout occidental de la chambre.

Et toujours, l’enfermement psychologique des personnages, qui se manifeste à l’écran par des cadres dans le cadre… dans le cadre, la logique géométrique du regard d’Ozu trouvant ici une sorte d’aboutissement jusqu’au-boutiste. Avec ces images, filmées près du sol bien sûr, Ozu en dit plus sur la détresse de ses personnages et leur incapacité, au fond, à échanger vraiment et sincèrement.

Il n’y a pas que ces cadres dans le décor qui éloignent les personnages. Il y a aussi les domestiques, figures plutôt rares dans le cinéma d’Ozu, qui servent d’intermédiaires en même temps qu’elles empêchent malgré elles tout rapprochement.

C’est d’ailleurs en leur absence que le couple se rapprochera finalement, lorsqu’il se retrouvera autour d’une action qui peut sembler anodine mais qui se révèle sublime : dans la cuisine qui a les atours d’une terra incognita où, soudain, les masques tombent. Et autour de ce riz au thé vert qui donne son titre au film, recette toute simple, dénuée de tout artifice. Aussi pur que le cinéma d’Ozu.

Une poule dans le vent / Une femme dans le vent (Kaze no naka no mendori) – de Yasujiro Ozu – 1948

Posté : 29 novembre, 2023 @ 8:00 dans 1940-1949, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Une poule dans le vent

Deuxième film de l’après-guerre pour Ozu, après Récit d’un propriétaire, et on sent que le cinéaste est encore très marqué par ce conflit qu’il a vécu rudement de l’intérieur. Dans son style inimitable à hauteur de tatamis… et de gravas, il filme un Japon qui n’a pas encore pansé ses plaies, et qui ne s’est pas encore reconstruit.

Le décor est souvent important pour les petits objets ou la place de la nature dans les films d’Ozu. Ici aussi d’une certaine manière, mais « l’objet » qui domine, c’est cet immense réservoir qui surplombe les maisons et les terrains vagues, et dont les personnages semblent ne pas pouvoir s’éloigner, ombre pesante qui semble étouffer une certaine vision du Japon, qui aurait disparu avec la guerre.

Ozu n’a jamais filmé frontalement le conflit. Mais avec ce film plus sans doute qu’avec aucun autre, il en fait ressentir les effets. En filmant d’abord une jeune mère courage qui attend désespérément le retour de son mari, parti pour le front quatre ans plus tôt et pas encore démobilisé, et qui doit se résoudre à se prostituer le temps d’une soirée pour payer les soins de son fils tombé malade.

C’est Kinuyo Tanaka, immense star du cinéma japonais qui fut une interprète fidèle d’Ozu une quinzaine d’années plus tôt (à partir de J’ai été diplômé, mais…), et qui deviendrait cinq ans plus tard une réalisatrice remarquable (avec Lettre d’amour). On n’en est pas encore là : elle est en 1948 une grande actrice, déchirante dans le rôle de cette femme que le retour de son mari confronte à ses choix.

C’est poignant, déchirant même lorsque le visage de Tanaka brise le masque qu’elle tentait de garder, révélant son extrême désespoir face à un mari (Shuji Sano, formidable lui aussi) comme transformé en bloc de marbre. Et c’est quand lui tombe l’armure que le film est, peut-être, le plus émouvant : lorsque, face à une autre femme ayant dû se résoudre à vendre ses charmes, il réalise l’ampleur de ce qu’on vécu les femmes pendant son absence, et ce qu’elles endurent encore.

Je m’étais juré de ne plus utiliser le terme « magnifique » en évoquant un film d’Ozu. Trop facile, trop évident. Mais que ce film est beau, encore. Ozu a ce talent rare de transformer la simplicité en moments de grâce. A vrai dire, c’est tout simplement magnifique.

Crépuscule à Tokyo (Tokyo boshoku) – de Yasujiro Ozu – 1957

Posté : 22 novembre, 2023 @ 8:00 dans 1950-1959, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Crépuscule à Tokyo

Un père dont les filles sont à l’âge de se marier, et qui se prépare à se retrouver dans une maison vide… Ozu reste fidèle à ses thèmes habituels. Mais ce film-ci, son dernier en noir et blanc, rompt assez radicalement avec la plupart de ses autres grandes réussites.

On y retrouve cette petite musique si typique de son cinéma : une langueur plus que de la lenteur, la confrontation de la tradition et de la modernité, les indispensables « Hmmm » de Chishu Ryu (le plus beau son de toute l’histoire du cinéma), les êtres qui vont et viennent et les objets qui restent, le saké qui réchauffent les soirées de solitudes, le temps qui passe, surtout…

Mais cette fois, la douce nostalgie d’Ozu laisse la place à une vraie gravité, voire à un pur mélodrame qui ne laisse guère de place à la légèreté. Le père (le grand Chishu Ryu, donc) a été abandonné par sa femme bien des années plus tôt. Sa fille aînée (la toute aussi indispensable Setsuko Hara) s’éloigne d’un mari alcoolique et sans doute violent. Et sa fille cadette (Ineko Arima, bouleversante) court désespérément après un amant qui l’a laissée enceinte…

Le cinéma d’Ozu est souvent fait de petites choses, de minuscules drames de la vie qui passe. Dans Crépuscule à Tokyo, on sent bien que le drame est inévitable. Jusqu’au titre, d’ailleurs, qui tranche avec les titres habituellement apaisants des films d’Ozu. Mais le mélo est d’une classe folle, et d’une grande pudeur qui ne fait que rendre le drame plus poignant.

Et que dire du personnage de la mère absente, cette femme qui a abandonné mari et filles, et qu’on découvre faisant son possible pour combiner sa volonté de vivre avec la douleur de ses regrets. De ce personnage très en retrait viennent peut-être les émotions les plus vives de ce film magnifique. Peut-être parce qu’elle concentre toute la complexité de l’âme humaine. En tout cas pour le regard que lui porte Ozu, cinéaste humaniste et précieux.

Fleurs d’équinoxe (Higanbana) – de Yasujiro Ozu – 1958

Posté : 9 novembre, 2023 @ 8:00 dans 1950-1959, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Fleurs d'équinoxe

Le thème revient de film en film, toujours le même : une jeune femme à l’âge de se marier, et de quitter le nid familial, laissant des parents pas si préparés que ça à affronter l’autre partie de leur vie. Toujours le même thème, toujours cette petite musique faite d’éclats sublimes, et pourtant toujours différent… Ozu tel qu’en lui-même, réussit néanmoins à surprendre, et surtout à séduire.

Fleurs d’équinoxe est une merveille. Le dire est presque une évidence, tant chacun des films d’Ozu est un enchantement. Celui-ci saisit par ses accès de sublime beauté, d’émotion qui vous étreint lorsque, derrière la légèreté d’un sourire, apparaît la simplicité nue d’un sentiment jusqu’alors voilé : la mère qui se réjouit, et dont le rictus se fige subrepticement. Puis un plan sur du linge qui sèche au vent. Ozu, dans toute sa beauté.

Ce film-ci a une saveur particulière, peut-être parce qu’il est le premier pour lequel Ozu choisit la couleur. Et peut-être parce qu’il fait preuve d’une incroyable maîtrise dans l’utilisation de cette couleur. Peut-être aussi parce qu’il est, sans donner l’air d’y toucher, son film le plus ouvertement féministe. Le plus ironique sans doute sur ce patriarcat si éhonté qui règne encore…

Ozu opte pour le point de vue du père, garant strict et austère d’une vieille tradition qui veut que les filles épousent les hommes qu’on choisit pour elles. Mais un garant pas totalement dupe, qui salue devant un jeune couple fraîchement marié la chance qu’ils ont de pouvoir se marier d’amour. Bon… La scène se passe dans un mariage particulièrement sinistre, et le discours se montre d’une incroyable cruauté sourde pour sa propre épouse, rabaissée à son statut de mariée subie.

Cette femme, cette épouse, cette mère… si effacée… si soumise en apparence. C’est pourtant à elle qu’Ozu réserve toutes les pulsions motrices du récit. Le progressisme et la passion des femmes, face au traditionalisme et au rigorisme des hommes. On retrouve le thème si cher à Ozu de la modernité face aux traditions, thème qui épouse ici les contours du féminisme.

Même en plaçant l’homme au cœur de son film, Ozu ne parle ici presque que des femmes, quel que soit leur âge, quel que soit leurs envies, leurs passions, leurs frustrations… Dans chaque scène, il semble le crier avec une émotion déchirante : le monde tel qu’on la connu touche à sa fin. L’avenir appartient aux femmes, mais pas sûr que les hommes y aillent de gaîté de cœur. C’est lumineux, et d’une beauté fulgurante. C’est Ozu.

Eté précoce (Bakushū) – de Yasujiro Ozu – 1951

Posté : 29 octobre, 2023 @ 8:00 dans 1950-1959, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Eté précoce

Ozu peaufine son style, et ses thèmes de prédilection dans ce film délicat, précis et d’une beauté envoûtante. Comme tout bon Ozu, bien sûr, mais celui-ci inaugure en quelque sorte la période des grands chefs d’œuvre, qui ne s’arrêtera plus avant la mort du cinéaste.

Tout l’univers cher à Ozu est en place : une famille réunie sous un même toit, la petite dernière qui a largement atteint l’âge de se marier, des enfants insupportables, le grand sourire de Setsuko Hara, des maisons traditionnelles comme un paradis sur le point d’être perdu, le temps qui passe, les petits grognements de Chishu Ryu…

On pourrait dire qu’on a vu ça dans dix autres films d’Ozu, au moins. Et c’est un peu vrai. Mais à chaque fois, le bonheur est renouvelé. A chaque film, Ozu se renouvelle tout en étant le même, en variant les saisons, en décalant un peu son point de vue…

Ici, l’histoire tourne autour de Norike, 28 ans et célibataire, qui vit dans la maison familiale avec ses parents, son frère et la famille de celui-ci : sept personnes sous le même toit, dans un va-et-vient qui semble ne jamais en finir. Jusqu’à ce que Norike décide de se marier.

Qu’importe avec qui : l’homme en question, personnage secondaire, disparaît totalement à partir du moment où le mariage est réglé. Seul compte pour Ozu cette famille sur le point de se séparer, la fin d’une époque qui sera symbolisée par une photo de famille, et soulignée par l’éternel mantra du patriarche : « il faut se contenter de ce qu’on a ».

Et c’est beau, ces petits riens qui font la beauté des films d’Ozu, et de la vie : un regard posé longuement sur des chapelets de nuage, la douceur d’un début d’été, les cerisiers à la fenêtre, les cris des enfants… Ces petits riens qui marquent l’insouciance, et dont on découvre le poids quand on est sur le point de les perdre.

Il est peu question de maris dans ce film, mais il est beaucoup question de mariage, en ce qu’il représente de révolution pour les femmes. Il y a ainsi quelque chose de très émouvant et nostalgique dans ces réunions entre quatre amies d’enfance, où deux clans se forment systématiquement : les femmes mariées d’un côté, les jeunes filles de l’autre. Comme si les unes appartenaient à une époque qui était bien révolue pour les autres.

Ozu est pour toujours le cinéaste du temps qui passe, des générations qui se suivent. Son film, comme d’autres avant, et surtout d’autres à venir, est une merveille. Des petites choses qui vous procurent une émotion folle, et ce mélange de bien-être absolu et de nostalgie qui est peut-être sa plus belle marque.

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