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Archive pour la catégorie 'OZU Yasujiro'

J’ai été diplômé, mais… (Daigaku wa deta keredo) – de Yasujiro Ozu – 1929

Posté : 19 mars, 2023 @ 8:00 dans 1920-1929, FILMS MUETS, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

J'ai été diplômé mais

Fraîchement diplômé, un jeune homme n’ose pas avouer à sa mère qu’il ne trouve pas de travail. Sa fiancée, à qui il finit par se livrer, décide de travailler dans un bar pour subvenir à leurs besoins…

Voilà résumé en deux phrases, et en onze minutes de fragments survivants, l’histoire de ce long métrage dont l’essentiel a disparu. Mais les onze minutes qui restent retracent à grands traits toutes les étapes du scénario, et suffisent à comprendre que, même si le film n’atteignait sans doute pas les sommets de tant de chefs d’œuvre à venir, il ne manquait pas d’intérêt.

La scène d’ouverture est forte : un entretien d’embauche, entouré par deux plans qui se répondent montrant les pieds du jeune diplômé franchir le pas de porte du potentiel employeur, plein d’entrain en entrant, plein de dépit en sortant.

De ce qu’on peut en voir, Ozu met l’accent sur le mal-être de ce jeune homme et sa honte de voir la femme qu’il aime se montrer dans des bars…ce qui pouvait être bien audacieux dans le Tokyo de 1929. La jeune femme, c’est Kinuyo Tanaka, grande star de l’âge d’or du cinéma japonais (et future grande cinéaste éphémère), qu’Ozu dirige pour la première fois : dix films suivront au total, pendant plus de vingt-cinq ans.

Le Galopin / Un garçon honnête (Tokkan kozo) – de Yasujiro Ozu – 1929

Posté : 14 mars, 2023 @ 8:00 dans 1920-1929, COURTS MÉTRAGES, FILMS MUETS, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Un garçon honnête

Il ne subsiste qu’un bon quart de ce moyen métrage qui durait à l’origine une quarantaine de minutes. Le montage pour le moins serré s’en ressent, avec de longues séquences manquantes ou écourtées, mais le film n’en reste pas moins parfaitement compréhensible, et assez charmant. Une pure comédie pour le coup, genre pas si courant dans le cinéma d’Ozu : une histoire d’enlèvement d’enfant que le cinéaste tourne en dérision avec un esprit très slapstick américain.

L’enfant en question est joué par Tomio Aoki, que l’on reverra beaucoup dans le cinéma d’Ozu (dans Gosses de Tokyo notamment), mais aussi chez Naruse (La Rue sans fin) ou plus tard chez Kon Ichikawa (La Harpe de Birmanie). Sa bouille ronde et son air sérieux font merveille dans ce film, où il fait tourner en bourrique l’homme qui l’enlève et celui qui l’emploie… deux « méchants » pas très sérieux pour le coup.

Les premières minutes ont un petit côté étrangement amateur, qu’Ozu rattrape bien vite lorsque la pure comédie se met en place, et que la jeune victime commence à martyriser ses bourreaux. C’est alors vif et drôle, toujours très léger, une petite chose bien sympathique qui n’annonce pas vraiment les grands chefs d’œuvre à venir du cinéaste, mais que l’on découvre avec une curiosité réjouie.

Bonjour (Ohayō) – de Yasujiro Ozu – 1959

Posté : 19 mai, 2020 @ 8:00 dans 1950-1959, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Bonjour

Parce que leurs parents refusent de leur acheter une télévision, deux enfants décident de faire la grève de la parole. Le thème était déjà présent dans Gosses de Tokyo, film muet qu’Ozu a tourné en 1932, et dont Bonjour est, sinon un remake, au moins un prolongement. Une vraie comédie, où le rire prend des voies parfois inattendues, faites de postures de gamins et de pets sonores et foireux…

Comme dans Gosses de Tokyo, Ozu s’amuse à dresser le parallèle entre adultes et enfants. D’une manière sans doute moins évidente ici, mais quand même : ce silence que s’imposent les enfants ressemble fort à une réponse aux phrases vides de sens des adultes.

Ces phrases vides de sens pour lesquelles Ozu a visiblement beaucoup d’affection : quand il y a du sens, c’est souvent à mots cachés, et à mots cinglants. Les échanges entre ces femmes qui vivent dans un quartier japonais traditionnel se font de grands sourires, mais pour mieux sortir des horreurs. Les phrases « pour ne rien dire », elles, sont chargées d’émotion, de bienveillance et d’amour.

Comme souvent chez Ozu, il y a l’irruption de la modernité dans un Japon traditionnel. Si cette opposition est nuancée, Ozu affiche quand même une certaine attirance pour les modes occidentales (la télévision ici, mais aussi l’immeuble en béton, filmé comme un havre de sérénité loin des ragots), tout en ayant une certaine tendresse pour la tradition.

Ce décor de maisons japonaises que surplombe un immense talus, relié à la ville par des câbles électriques, on l’a vu plus d’une fois dans le cinéma d’Ozu. C’est aussi ce qui est beau chez lui : cette capacité à nous emmener dans son univers, de nous y mettre à l’aise, en terrain connu, mais pour mieux nous y bousculer, à petites touches.

En l’occurrence, il le fait avec beaucoup d’humour. C’est très drôle, mais c’est aussi plus que ça. C’est la vie, avec ses faux-semblants, ses moments d’angoisse, ses accès de bien-être. C’est la vie de ce quartier que narre Ozu à sa manière si simple en apparence, mais si pleine de vie justement, avec ses personnages qui se croisent constamment. C’est visuellement somptueux avec ses lignes verticales omniprésentes. Du grand art.

L’Epouse de la nuit (Sono yo no tsuma) – de Yasujiro Ozu – 1930

Posté : 2 mars, 2020 @ 8:00 dans * Polars asiatiques, 1930-1939, FILMS MUETS, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

L'Epouse de la nuit

Associer Ozu au polar est loin d’être une évidence, au vu des chefs d’œuvre prestigieux du maître. Pourtant, le cinéaste a bien tourné quelques films de genre durant sa période muette. L’Epouse de la nuit fait ainsi figure de curiosité, assez loin de l’univers d’Ozu a priori. Mais finalement pas tant que ça…

L’influence de la culture américaine a souvent été très présente dans le Japon que filme Ozu. Celle du cinéma hollywoodien l’est particulièrement ici, par les affiches de films accrochés sur les murs de l’appartement où se jouera l’essentiel de l’action. Mais aussi par cette longue première séquence, que l’on croirait tout droit sortie d’un film de gangsters de la Warner. Ça se passe la nuit (ce qui est déjà une rareté chez Ozu), ça se passe même sur une seule nuit (encore une curiosité), et un matin.

Les dix premières minutes sont remarquables, et dénuées de tout carton. Dans cette nuit très profonde, Ozu filme un braquage, puis une fuite désespérée à travers les rues de la ville. Des détails : une main sur une épaule, une silhouette à travers une porte vitrée, l’empreinte d’une main, un combiné de téléphone qui pend… Ozu, qui a déjà une quinzaine de films à son actif, maîtrise parfaitement le cadre et le montage pour cette narration précise et intense à la fois, qui révèle ses talents de réalisateur américain !

Du pur film de gangster, Ozu nous emmène vers un drame plus intime, avec une transition par montage parallèle. On comprend alors que le voleur est un père de famille désespéré, qui avait besoin d’argent pour soigner sa fillette malade, entre la vie et la mort.
Et le voilà chez lui, avec sa femme, et bientôt un policier qui l’a suivi… trio inattendu autour du lit de la fillette. Le film reste alors tout aussi intense, mais change de ton, et de rythme. Le style d’Ozu n’est pas tout à fait celui de sa grande période à venir, où la caméra sera souvent au niveau du sol. Mais sa manière de filmer les objets comme les témoins du temps qui passe, est déjà là. Le linge qui pend aussi.

Et la figure du père, bien sûr, centrale et bouleversante. Celle de la mère aussi d’ailleurs, qui, même en retrait, est aussi intense que celle du mari. Une constante aussi, dans l’œuvre d’Ozu.

L’Epouse de la nuit est une curiosité, mais c’est déjà un très beau film, intime et intense. Même dans un film de genre, Ozu sait avec de petits rien faire éclater la plus forte des émotions.

Gosses de Tokyo (Otona no miru ehon – Umarete wa mita keredo) – de Yasujiro Ozu – 1932

Posté : 28 janvier, 2020 @ 8:00 dans 1930-1939, FILMS MUETS, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Gosses de Tokyo

Délicieuse comédie de l’enfance, qui d’emblée marque par son rythme, son montage, et ses cadres dynamiques et ses nombreux travellings. La caméra d’Ozu est particulièrement mobile dans ce film de jeunesse, et le ton est clairement à l’optimisme et à la légèreté. Teinté d’une certaine amertume, tout de même : on est chez Ozu.

Et on l’est complètement. Les thèmes chers au cinéaste sont là, à commencer par la figure du père, si important pour le réalisateur. Ce père dont les deux fils découvrent cruellement qu’il n’est pas l’homme le plus important du monde comme ils le pensaient. Comme tous les enfants le pensent, comme le confirme une sorte de « combat de coqs » entre les enfants qui comparent les mérites de leurs pères respectifs. Lui a la plus belle voiture, lui est le plus costaud… Mais le mien est capable d’enlever et de remettre ses dents !

Les vrais héros, ce sont ces enfants. Les deux frères, petits durs fiers et bagarreurs, qui éclatent en sanglots lorsqu’ils ne peuvent plus retenir leurs larmes, et qui décident de se lancer dans une gréve de la faim pour protester contre leur père qu’ils jugent trop obséquieux avec son patron. Une idée qui sera de nouveau au cœur de Bonjour, près de trente ans plus tard.

On est chez Ozu aussi pour ses motifs incontournables : cette banlieue de Tokyo où la famille vient de s’installer, et qui ressemble à une succession de terrains vagues un peu tristes, où les trains et les lignes téléphoniques sont omniprésents, dans chaque plan ou presque, comme pour rappeler que la vie, l’avenir, sont au bout de la ligne.

Avec un humour irrésistible, Ozu dresse aussi d’inattendus ponts entre le monde des enfants et celui des adultes, tous deux également régis par des rituels de domination. Où la légèreté, la gravité, la tendresse et l’amertume sont intimement liés. Une petite merveille, déjà.

Voyage à Tokyo (Tōkyō monogatari) – de Yasujiro Ozu – 1953

Posté : 27 janvier, 2020 @ 8:00 dans 1950-1959, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Voyage à Tokyo

Un vieux couple part à Tokyo rendre visite à leurs enfants, qu’ils voient rarement. Trois fois rien : une longue et lente suite de scènes anodines, sans rien de spectaculaire, sans éclat, même.

Alors d’où vient l’émotion, immense, qui jaillit quand on s’y attend le moins ? D’où vient, aussi, ce bien-être teinté de nostalgie, que l’on ressent ? Voyage à Tokyo est un film dur, qui évoque le temps qui passe et le poids des séparations qui en découlent. C’est surtout un film dont la durée (2h15) est précieuse.

Ozu y met en scène avec une extrême simplicité des moments quotidiens, laissant systématiquement durer ses plans un peu trop longtemps que nécessaire à l’action, cadrant les pièces vides des maisons après le départ des personnages, comme s’il voulait ainsi mettre en évidence le fait que ces personnages n’ont pas vraiment d’emprise sur ce qui les entoure.

Le film nous installe dans une sorte de rêverie qui serait délicieuse s’il n’y avait cette amertume. A Tokyo, les parents ne se cachent pas longtemps que leurs enfants les déçoivent : pas aussi bien installés qu’ils l’imaginaient, et plus aussi gentils qu’autrefois… flanqués qui plus est de gosses horribles.

Seule leur belle-fille, veuve de leur fils mort à la guerre, se montre heureuse de leur présence, et vraiment aimante. La famille japonaise n’est plus ce qu’elle était. Le Japon non plus d’ailleurs, encore tant marqué par la guerre. Et paradoxalement, alors qu’ils ne trouvent dans les maisons traditionnelles qu’une forme de froideur, c’est chez Noriko, dans un immeuble en béton de la reconstruction, qu’ils sont le mieux reçus.

Un Japon en pleine mutation, la cellule familiale en crise, la figure du père… On est bien chez Ozu, et en compagnie de l’immense Chishu Ryu, son acteur fétiche, dont les petits grognements et la douceur du regard sont décidément précieux. Il est magnifique. Le film est magnifique.

Le Goût du Saké (Sanma no aji) – de Yasujiro Ozu – 1962

Posté : 13 décembre, 2018 @ 8:00 dans 1960-1969, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Le Goût du saké

Jusqu’au bout, Ozu sera resté fidèle aux thèmes qui hantent son cinéma depuis les années 20 : le contraste omniprésent entre la tradition et la modernité, avec l’arrivée de la culture américaine qui vient bouleverser ce Japon encore si attaché à cette tradition dans ce qu’elle a de plus séduisant, mais aussi de plus inhumain.

Dès les premières images, on retrouve dans Le Goût du Saké cette petite musique envoûtante qu’on aime tant chez Ozu. Cette douce mélancolie aussi, cette bienveillance de chaque instant, et cet acteur merveilleux, Chishu Ryu, que l’on a vu vieillir devant la caméra d’Ozu durant trois décennies.

Dans la vie de son personnage, petit employé modeste aux journées parfaitement réglées, comme dans le cinéma d’Ozu d’ailleurs, rien ne semble avoir changé depuis des décennies. Sauf que si, il y a ces petits détails parfois à peine perceptibles : cette fille qui a grandi sans qu’on s’en aperçoive vraiment, la retraite qui approche sans qu’on s’y soit préparé, ou encore cette modernité environnante qui, mine de rien, ont fait de cet homme et de sa maison à l’ancienne des sortes de fantômes d’un ancien temps.

Et lorsque les enfants quittent ces belles maisons traditionnelles, chaleureuses et accueillantes, c’est pour aller s’installer dans des tours de bétons post-guerre mondiale. Tout un symbole pour cet homme qui n’a pas pris le temps de mesurer le temps qui passe, et qui réalise qu’il est temps pour sa fille de trouver un mari, et pour lui de se retrouver seul. La fin d’une époque.

Alors évidemment, il y a de tristesse et de la mélancolie. Mais il y a aussi une pudeur et une élégance de chaque instant. Et une manière très personnelle pour Ozu de souligner la vie qui passe et que rien ne n’arrête par la multiplication de plans où la profondeur de champs est soulignée par des couloirs, des allées, des cadres dans le cadre. Visuellement, c’est magnifique. Beau et émouvant, un bien beau film pour clore une immense carrière.

Récit d’un propriétaire (Nagaya shinshiroku) – de Yasujiro Ozu – 1947

Posté : 7 novembre, 2014 @ 2:06 dans 1940-1949, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Récit d’un propriétaire

Premier film tourné par Ozu après une interruption de plusieurs années due à la guerre, Récit d’un propriétaire est une œuvre au ton singulier, à part dans sa filmographie.

Reprenant sa thématique des Gosses de Tokyo, il signe ce qui ressemble au premier abord à une sorte de farce à la fois tendre et légère. Il y a une vraie dérision presque comique dans la manière dont il filme la cohabitation forcée entre un gamin perdu et l’une des locataires qui l’ont recueilli. Partant à la recherche du père dont on ne sait s’il a perdu ou abandonné son fils, elle tente de le semer pour se débarrasser de cet encombrant cadeau du ciel…

Mais la tendresse et l’amour maternel ne sont jamais loin chez Ozu. Avec même une vraie cruauté, face au sort réservé au gamin, à sa solitude. On se déplace beaucoup dans ce film, on sourit beaucoup, on chante, même, lors d’une soirée entre voisins qui apparaît comme une parenthèse joyeuse et nostalgique. Pourtant, en filigrane, il y a cette évocation d’un Japon qui ne se relève pas encore de la guerre.

Les maisons sont des bicoques perdues dans des terrains vagues, les personnages portent des vêtements élimés, la nourriture est chère et rare, les enfants ne jouent pas aux jeux de leur âge, et les papas sont absents…

Ozu, pourtant, affiche un vrai optimisme dans ce film. Face aux épreuves, la solidarité est certes relative (surtout au début, lorsque chacun se rejette la garde de ce gamin perdu) mais existe bien. Et de cette situation naît une vocation de mère, et l’espoir pour un enfant sans avenir… Une étincelle qui illumine ce film court et précieux.

Printemps tardif (Banshun) – de Yasujiro Ozu – 1949

Posté : 26 août, 2014 @ 4:06 dans 1940-1949, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Printemps tardif

L’attachement à la figure du père est une nouvelle fois au cœur de ce film d’une beauté à la fois simple et déchirante du grand Ozu. Avec, déjà, Chishu Ryû et Setsuko Hara, les futurs interprètes de Voyage à Tokyo, respectivement père veuf et vieillissant, et fille trop attachée à la vie avec lui pour envisager sereinement de se marier… Rien de plus : juste les quelques mois qui séparent l’enfant de la femme, et la difficulté de rompre ce lien filial qui suffit au bonheur de la jeune femme…

Ce n’est que le troisième film d’Ozu depuis la longue interruption durant la guerre. Le Japon qu’il y montre n’est plus tout à fait le même que lors de ses débuts. La tradition est toujours là : les rituels du thé et (et surtout, ici) du saké sont plus importants que jamais, dans ces intérieurs qui semblent ne porter aucune trace de la décennie qui vient de s’écouler. Mais rien n’est plus tout à fait comme avant. Des publicités pour Coca, des panneaux de circulation en miles, des enfants qui jouent au base-ball, des voitures américaines qui conduisent des mariées très traditionnellement vêtues, et puis des divorces et des remariages, qui ne choquent plus grand monde…

C’est un pays en pleine mutation que filme mine de rien le cinéaste, à travers le portrait de cette jeune femme elle aussi à la croisée des chemins. Une jeune femme qui n’aspire qu’à conserver, ou retrouver, l’harmonie de son enfance. Au détour d’un dialogue, et malgré le sourire éclatant qu’elle arbore constamment, en tout cas dans la première partie du film, Ozu nous glisse à l’oreille qu’elle a été malade, peut-être gravement, souffrant vraisemblablement des privations de cette guerre qu’on n’évoque qu’avec une légèreté apparente. Est-ce pour cela qu’elle est la dernière de ses camarades de lycée à se marier, certaines de ses amies ayant déjà quatre enfants, d’autres en étant à leur deuxième mariage…

L’arrière-plan historique n’est pas anodin. Pourtant, c’est une histoire universelle qu’Ozu raconte : celle d’un père et de son enfant à l’aube de l’âge adulte. Et on sent bien l’admiration qu’a Ozu (qui, lui, n’a jamais quitté le foyer parental) pour ce père, dont il fait un homme totalement tourné vers le bonheur de sa fille, feignant une quasi-indifférence à l’idée de son départ. Parfois un peu maladroit, lorsqu’il suit les conseils de sa sœur (ou est-ce sa belle-sœur ?) pour inciter sa fille à se marier. Parfois presque comique, lorsqu’il tente d’interroger sa fille sur ses relations avec un jeune homme. Et puis soudain bouleversant et héroïque lorsque, le devoir accompli, il se retrouve seul…

Avec cette histoire d’une simplicité confondante, Ozu signe un film superbe et plein de vie. Des petits riens du quotidien, le cinéaste fait des moments forts et intenses. Comme souvent dans son cinéma, l’émotion émerge de recoins totalement inattendus. Un plan sur le père et la fille assistant à une représentation de théâtre nô, le regard du père face au fou-rire de sa fille, une intimité qui se noue autour d’une table basse… Et derrière tout ça, l’imminence du départ, inéluctable et déchirant.

• Le film figure dans le coffret que Carlotta a consacré à Ozu, avec quatorze de ses films.

Histoires d’herbes flottantes (Ukikusa monogatari) – de Yasujiro Ozu – 1934

Posté : 21 août, 2014 @ 1:57 dans 1930-1939, FILMS MUETS, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Histoires d’herbes flottantes

Le cinéma d’Ozu est décidément un bonheur de chaque instant. Quelle beauté, encore, que ce film tardivement muet (le cinéaste ne passera au parlant qu’avec Le Fils unique, deux ans plus tard), où les relations filiales, que l’on retrouve tout au long de son œuvre, sont une nouvelle fois complexes et bouleversantes.

Cette fois, c’est dans un milieu artistique qu’il connaît bien qu’il situe son histoire. Le héros est un petit comédien sans grand talent, chef d’une troupe itinérante que le train ramène, après quatre ans d’absence, dans un petit village où elle doit s’installer pour un temps. Ce village, Kihachi, le chef de troupe, le connaît bien : c’est là que vit son ancienne maîtresse, qu’il avait rencontrée lors d’une tournée il y a bien longtemps de cela, et avec qui il a eu un enfant. Ce dernier a grandi, est un étudiant plein d’avenir, et pense que son vrai père est mort : Kihachi ne serait qu’un oncle un peu inconsistant que l’on est toujours heureux de revoir…

Les retrouvailles entre l’acteur vieillissant et son ancienne maîtresse, qui évoquent leur fils en buvant du saké (les traditions japonaises sont toujours très présentes chez Ozu, comme un contrepoint à la modernité et à l’occidentalisation de la société), est une merveille. Glissant doucement de l’ivresse des retrouvailles la conscience douloureuse de la longue absence, la caméra d’Ozu scrute les visages et y décèlent des trésors de souffrance, chez cet homme qui ne peut qu’observer de loin en loin ce fils aimé grandir loin de lui…

Ozu donne une image sans complaisance du théâtre, ôtant toute dimension romantique à cette troupe dont le quotidien semble n’être fait que d’ennui et d’attentes interminables. Surtout, il oppose la condition d’homme de troupe aux aspirations de père de famille. La vie facile que Kihachi a sans doute choisie s’est transformée en une vie de sacrifice, que les trop longues absences ont rendu insupportables.

Les moments que le jeune homme passe avec son « oncle » n’en sont que plus précieux. Père et fils qui pêchent côte à côte dans le fleuve… Une scène simple et touchante qui renvoie à un autre film de Ozu, Il était un père.
Le film est une splendeur, terriblement émouvant et émaillé de fulgurances de mise en scène, comme cette dispute entre l’acteur et sa maîtresse officielle séparés par un épais rideau de pluie. Comme souvent chez Ozu, le décor et les objets jouent un rôle important dans le langage cinématographique. Cette constante troupe son apogée lors d’une séquence en apparence anodine, entre le fils de l’acteur et la jeune fille, comédienne elle aussi, dont il est tombé amoureux…

Alors que le jeune couple est côte à côte, insouciant, la soudaine apparition d’un train (figure récurrente dans le cinéma de Ozu), vient les tirer de leur rêverie, rappelant la jeune actrice à la réalité, et à l’imminence du moment où elle devra reprendre la route avec la troupe. Cette séquence, rythmée par les rails et la présence du vélo du jeune homme, éléments de décors qui semblent éloignés les amants l’un de l’autre, est d’une intelligence narrative et d’une beauté impressionnantes. Un chef d’œuvre, dont Ozu signera lui-même un remake en 1959, Herbes flottantes.

• Le film figure dans le formidable coffret DVD édité chez Carlotta, dans une version sans accompagnement musical. Un étrange choix éditorial, mais qui ne gâche en rien le plaisir immense que procure le film.

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