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Archive pour la catégorie 'OZU Yasujiro'

Le Chœur de Tokyo (Tokyo no korasu) – de Yasujiro Ozu – 1931

Posté : 28 février, 2025 @ 8:00 dans 1930-1939, FILMS MUETS, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Chœur de Tokyo

Ozu aime le cinéma américain. Il aime King Vidor, et il aime La Foule, chef d’œuvre sorti en 1928, grand drame social flirtant avec la comédie qui met en scène un homme se débattant dans un monde du travail particulièrement fermé. C’est pile le thème de ce Chœur de Tokyo, très beau film qui permet à Ozu d’affirmer son style et ses obsessions : la confrontation du moderne et du traditionnel, les cheminées et les fils électriques omniprésents, le linge qui sèche…

Et, surtout, la grandeur des petites attentions humaines, la beauté de l’amour marital et filial, et ce bonheur qui se trouve dans les petites choses du quotidien. Chœur de Tokyo est à la fois un drame social, et une ode à la simplicité et aux petits bonheurs de la vie. Un vrai Ozu, donc.

La manière dont le film est construit est particulièrement originale. Non seulement parce qu’Ozu ne choisit pas entre le drame et la comédie, mais aussi parce que son film est en fait une succession de longues séquences, comme autant de chapitres narrant les déchéances et la rédemption de son héros.

Tokihiko Okada, que l’on découvre en étudiant vaguement rebelle dans une étonnante séquence d’introduction, pur moment de comédie dont on se demande ce qu’elle vient faire là. Si ce n’est mettre en parallèle l’insouciance de la jeunesse étudiante, et les tracas financiers et professionnels dans lesquels on retrouve ensuite le héros.

La deuxième séquence est tout aussi étonnante, alternant le pur comique (les efforts que déploient les employés du bureau pour ouvrir leur enveloppe de prime en toute discrétion) et le drame central : le licenciement « héroïque » du héros, qui prend fait et cause pour un collègue plus vieux viré injustement. Son face à face avec son boss prend les allures d’un duel… à l’éventail, dans un passage plein de poésie et d’humour.

Tout le film est à l’avenant, regorgeant de belles trouvailles narratives pour entremêler les sourires et les grimaces, jusqu’à cette très belle conclusion, où l’avenir et la rédemption ressemblent curieusement à un brutal retour en arrière. Où l’optimisme et l’amertume ne font plus qu’un.

Femmes et voyous (Hijosen no onna) – de Yasujiro Ozu – 1933

Posté : 25 février, 2025 @ 8:00 dans * Polars asiatiques, 1930-1939, FILMS MUETS, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Femmes et voyous

Dans sa période muette, Ozu a souvent signé des films de genre (comédie ou polar) très nourris du cinéma hollywoodien d’alors. Femmes et voyous est, dans cette veine, l’une de ses plus belles réussites, une plongée dans l’« underworld » des mauvais garçons, dont les détails réalistes évoquent aussi bien Les Nuits de Chicago que Scarface, sortis peu avant.

Mais Ozu n’est ni Von Sternberg, ni Hawks. Et déjà à cette époque où son univers se construit encore, c’est l’humanité de ses personnages qui l’intéressent. Des personnages qui, déjà, arrivent à la fin d’une période de leur vie, appréhendant d’abandonner ce qu’ils ont toujours connu.

Ce que ces voyous commettent comme délits, Ozu s’en cogne. De leur quotidien, il ne filme que les moments de camaraderie, faisant de ces petits gangsters des espèces de gamins pas totalement sortis de l’enfance, refusant le monde des adultes, et ne gagnant quelques sous que pour pouvoir traîner en sirotant un café…

Le drame vient d’une rencontre, avec la jeune sœur d’un nouveau compagnon du gang. Belle, touchante, simple, et honnête, travailleuse, elle vient bousculer les certitudes du jeune chef de bande (Joji Oka), tout troublé par cette apparition si pure, mais aussi de sa petite amie, fille de la rue qui se met à rêver d’une vie de femme mariée.

C’est Kinuyo Tanaka, grande star de l’époque et partenaire d’Ozu tout au long de sa carrière. L’actrice apparaît telle qu’on la connaît, en jeune employée de bureau un peu effacée et très convoitée. Mais cette première impression ne tarde pas à voler en éclat, la belle menant par ailleurs une vie délurée. Tenues affriolantes, sourire carnassier, pistolet à la main, Tanaka telle qu’on ne l’a jamais vue…

Le polar n’est qu’un prétexte, même si la fuite finale est une merveille de mise en scène, dans des ruelles désertes. Ozu filme surtout les visages pris par le doute et la douleur. Et les pièces de vie, dont les objets semblent porter en eux l’âme de ceux qui y vivent. C’est Ozu en construction, mais c’est déjà Ozu, et c’est très beau.

Dernier caprice / L’Automne de la famille Kohayagawa (Kohayagawa-ke no aki) – de Yajujiro Ozu – 1961

Posté : 23 décembre, 2024 @ 8:00 dans 1960-1969, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Dernier caprice

L’ombre de la mort plane sur l’avant-dernier film d’Ozu. Pas de manière morbide, non, ce n’est pas le genre de la maison. Mais il y a dans ce film une conscience de la fragilité de la vie, étonnante chez un cinéaste qui ne savait pas encore que ces jours étaient comptés, et qui n’était pas si vieux. Le temps qui passe est un thème récurrent chez Ozu, mais le personnage du patriarche ne ressemble pas aux autres : cet homme débordant de vie, espiègle et vaguement régressif, mais en même temps si fragile, comme un symbole d’une vie qui tient à pas grand-chose.

Au fond, Ozu raconte ce qu’il a souvent raconté, avec son style inimitable, ces longs plans de décors nus, sa caméra au sol, ces motifs récurrents, cette modernité qui s’impose régulièrement, tranchant avec la tradition calme et rassurante, avec ses grands spots de lumière… Il filme un moment de transition, les dernières heures de quelque chose : à la fois le Japon de sa jeunesse, et une certaine période de cette famille, avec les incertitudes et les interrogations qui vont avec.

Et, surtout, avec un mélange de conscience absolue et d’amertume, qui fait de Dernier caprice (le titre, déjà…) un film à part dans cette dernière partie de l’œuvre d’Ozu. Les personnages semblent mus par la tentation de se raccrocher à un passé disparu, ou sur le point de disparaître. Le patriarche qui renoue avec un amour d’autrefois, la fille aînée qui hésite à se remarier (Setsuko Hara), la cadette rêvant d’un mariage d’amour…

Et beaucoup de personnages qui gravitent autour d’eux, avec des liens familiaux parfois difficiles à suivre, ce dont s’amuse d’ailleurs un personnage, soulignant la complexité des liens qui unissent les membres de cette famille. Comme pour dire : qu’importe, finalement, la famille qui nous entoure ne répond à aucune règle strictement rigide.

Ozu filme un moment en suspens, où l’alcool semble là pour repousser l’échéance… ou retenir les illusions. Mais le grand Chishu Ryu apparaît, tardivement et brièvement, en paysan guettant la fumée sortant d’un crématorium, comme l’alter ego d’Ozu qu’il a toujours été, témoin conscient que la vie passe, que la jeunesse remplace la vieillesse. Toujours. Qu’il y a un temps pour tout. Même si c’est difficile à accepter, comme le soulignent ces derniers mots simples et amers : « Déjà la fin. »

Fin d’automne (Akibiyori) – de Yasujiro Ozu – 1960

Posté : 3 juin, 2024 @ 8:00 dans 1960-1969, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Fin d'automne

Une jeune femme en âge de se marier vit toujours chez sa mère, veuve. Voilà une trame qui rappelle le très beau Printemps tardif, tourné plus de dix ans plus tôt. A ceci près qu’ici, ce n’est pas un père que la jeune femme peine à quitter, mais une mère, que joue la grande Setsuko Hara, celle-là même qui jouait la jeune femme dans Printemps tardif.

La parenté entre les deux films est forte. Et la présence dans les deux films de Setsuko Hara franchement troublante, comme si les deux films étaient les deux facettes d’une histoire qui se répète, une génération plus tard. Car s’il est question de marier la fille, le remariage de la mère est aussi dans l’air du temps…

C’est en tout cas ce que se sont mis dans la tête les trois amis du défunt père, qui furent tous trois amoureux de Setsuko dans sa jeunesse, et que cet amour d’autrefois continue à faire vibrer, comme d’éternels gamins rattrapés par un temps qu’ils n’ont pas vu venir.

On retrouve la douce nostalgie d’Ozu, mais avec une légèreté pleine d’optimisme, sans pour autant renier quoi que ce soit du sentiment d’inéluctabilité. L’émotion est donc là, immense et douce, mais il y a aussi un refus de s’apitoyer, une manière d’être comme en suspens, que soulignent ces reflets d’eau mouvante qui reviennent constamment au cours du film.

Ozu filme le temps qui a passé, et surtout ce qui reste : la beauté de Setsuko Hara, l’amitié de vieux compères, ces objets qui habitent la maison, même quand les occupants en sont partis…

Il filme aussi, d’une manière plus marquée que d’habitude, presque spectaculaire, les tiraillements de la société japonaise, entre tradition et modernité. Entre la maison de bois et les tenues traditionnelles qui sont comme les refuges d’une innocence en bout de course, et les grands immeubles de béton qui abritent le Japon laborieux.

Des thèmes classiques pour Ozu, mais dont il fait la base d’une comédie douce-amère où les sourires et l’émotion ne sont jamais loin. Et dont on ressort avec une boule au ventre et un large sourire. Ozu, une nouvelle fois, est grand.

La Dame et le Barbu /La Femme et les favoris / La Dame et les barbes (Shukujo to hige) – de Yasujiro Ozu – 1931

Posté : 19 mai, 2024 @ 8:00 dans 1930-1939, FILMS MUETS, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

La Dame et le barbu

Il y a des perles dans la période muette d’Ozu. La Dame et le Barbu est, disons, une curiosité : une pure comédie à peine teintée de quelques touches mélancoliques, qui revendique une vraie légèreté, plutôt rare dans la filmographie du cinéaste.

Parti pris amusant : la plupart des gags tournent autour du corps humains. Les mains sur lesquels tape le bâton de kendo, les orteils que le héros sans chaussettes tente de dissimuler, le ridicule de certains personnages qui passe par leur dentition… et bien sûr la barbe du héros, joué par une grande star de l’époque, Tokihiko Tokada.

Doit-il ou garder cette barbe d’un noir profond ? C’est tout l’enjeu du film, et le grand dilemme de cet homme dont on ne sait s’il est plus séduisant avec ou sans. On n’est certes pas dans la veine la plus profonde d’Ozu. Pourtant, le bien nommé La Dame et le Barbu s’inscrit parfaitement dans sa filmographie.

On y retrouve à la fois la légèreté se heurtant à une rude réalité de ses comédies d’étudiants, mais aussi quelques thèmes chers à Ozu : le choix de se marier ou non, la confrontation de la tradition et de la modernité (symbolisée par les différents personnages féminins), ou l’influence de la culture américaine qui, ironiquement, prend la forme d’une grande affiche du Chant du Bandit, film avec Laurel et Hardy « all talking » (alors que Ozu repoussera jusqu’en 1933 son passage au parlant).

Ozu s’amuse (et nous avec), et pose surtout les bases d’un cinéma plus personnel. Quelques scènes sont déjà mémorables. Avec des trouvailles formelles, comme ce superbe jeu de lumières balayées sur l’intérieur d’une voiture dans la nuit. Et des plans magnifiques sur le visage de la « mauvaise fille », qui se prend à rêver d’une autre vie. Même dans la pure comédie, une douce mélancolie, déjà.

J’ai été recalé, mais… (Rakudai wa shita keredo) – de Yasujiro Ozu – 1930

Posté : 27 février, 2024 @ 8:00 dans 1930-1939, FILMS MUETS, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

J'ai été recalé, mais

Si éloigné en apparence des grands films d’après-guerre d’Ozu, J’ai été recalé, mais… est en revanche typique d’une partie importante de sa filmographie des premières années : une comédie universitaire comme il en a déjà réalisé plusieurs, souvent avec bonheur.

Le titre évoque évidemment J’ai été diplômé, mais… dont il est une sorte de jumeau. On retrouve de fait dans ce film beaucoup d’éléments qu’Ozu a déjà filmé dans des contextes similaires : la camaraderie des étudiants, la triche aux examens, les premiers amours, ou encore les premiers pas difficiles dans la vie adulte.

Derrière la légèreté apparente, et en grande partie réelle, Ozu impose déjà quelque chose de la douce nostalgie qui ne cessera d’habiter son œuvre. Beaucoup de ses films, pour ne pas dire la plupart, sont basés sur un changement d’époque, la disparition d’une période d’insouciance, d’innocence…, qui mène les personnages vers une vie plus solitaire. C’est le cas déjà ici.

Ozu, qui n’a pas fait lui-même d’étude, filme ici la vie universitaire comme un paradis déjà perdu, ou presque. La dernière séquence, sans se départir d’une certaine légèreté, peut être vu comme une sorte de porte d’entrée vers son grand œuvre à venir : on y voit des amis diplômés, qui réalisent que les années d’étude qu’ils viennent d’achever étaient peut-être bien les plus belles qu’ils vivraient.

C’est la naissance de la nostalgie qu’il raconte alors. Et le fait que l’un des amis en question soit joué par Chishu Ryu, le grand interprète des chefs d’œuvre à venir, rajoute rétrospectivement à la force de l’image. Il tient ici un rôle assez secondaire : l’un des cinq étudiants qui vivent dans la même pension, inséparables, se préparant ensemble à leurs examens à venir.

Le personnage central est joué par Tatsuo Saito, complice incontournable d’Ozu ces années-là. Il est l’un des cinq « mousquetaires », le seul à rater son examen, qui passe de l’insouciance de cette vie de groupe symbolisée par les pas de danse très « burlesque américain » que la bande effectue à toutes occasions, à un sentiment brusque de rejet et de solitude. Tout en se consolant dans les bras de la belle Kinuyo Tanaka, et dans la légèreté renouvelée de l’université.

C’est une vraie comédie, souvent amusante, mais parfois grave aussi, que signe Ozu, qui au passage évoque une nouvelle fois la galère du monde du travail. Autre constante de ses films ces années-là. C’est mineur et prometteur, c’est joyeux et pas si léger. C’est en tout cas un vrai plaisir ozuphile.

Amis de combat / Combats amicaux à la japonaise (Wasei kenka tomodachi) – de Yasujiro Ozu – 1929

Posté : 22 février, 2024 @ 8:00 dans 1895-1919, COURTS MÉTRAGES, FILMS MUETS, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Amis de combat

14 minutes pour se rendre compte de la qualité d’un film cinq fois plus long… C’est un peu court, mais c’est tout ce qu’il reste d’Amis de combat, long métrage réputé perdu dont on a retrouvé en 1997 une copie «Pathé-Baby », dans un format et avec une durée destinée à la projection domestique.

C’est donc une version très abrégée du film que l’on peut découvrir. Et on en sort avec une envie folle de découvrir le long métrage original, tant ce qui en subsiste semble prometteur. Bien plus que Jours de jeunesse, le précédent film d’Ozu et le plus ancien à avoir survécu dans son intégralité, dont Amis de combat reprend la même trame narrative.

Là aussi, le film suit deux amis qui vivent sous le même toit, et qui tombent sous le charme d’une jeune femme qui finira par partir avec un troisième. Même histoire, même ton léger, mais le décor change : pas d’étudiants en vacances ici, mais des ouvriers de la route vivant dans un baraquement populaire, où l’eau est tirée au puits et les poules sont élevées sur la route…

Ce changement de décor n’a rien d’anecdotique. Même s’il est surtout l’occasion de multiplier les gags, il inscrit mine de rien le film dans une réalité plus rude, plus tangible que les sempiternelles comédies d’étudiants, genre auquel Ozu a souvent apporté sa contribution à ses débuts.

Tout en restant léger, ce film apporte une touche un peu plus grave au regard d’Ozu, plus ancrée dans le réel. Et ce n’est sans doute pas un hasard si on découvre déjà quelques thèmes visuels qui marqueront tout son cinéma : les trains qui passent, le linge qui sèche, et les lignes électriques omniprésentes, qui servent de toile de fond au jeune couple qui vient de se former et qu’Ozu filme de dos.

Bien plus que son film précédent, Amis de combat donne le sentiment d’assister à la naissance d’un grand cinéaste dont l’univers si personnel affleure, sous les attraits de la comédie.

Jours de jeunesse (Gakusei romansu : wakaki hi) – de Yasujiro Ozu – 1929

Posté : 25 janvier, 2024 @ 8:00 dans 1920-1929, FILMS MUETS, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Jours de jeunesse

C’est le huitième film d’Ozu, mais le premier conservé, toutes ses réalisations précédentes étant présumées perdues. Autant dire que c’est une œuvre importante : pas l’acte de naissance, mais l’œuvre la plus ancienne, forcément fondatrice, du plus grand réalisateur du monde…

Bon. Si sa carrière avait dû s’arrêter là, Ozu n’aurait pas été le plus grand réalisateur du monde. Sans doute son nom nous serait-il même rester totalement inconnu. C’est que Jours de jeunesse, comédie étudiante comme il en tournera d’autres dans les mois et années qui suivent, est une petite chose aussi sympathique qu’anodine.

Un élément, quand même, en fait une œuvre unique, au moins dans la filmographie du cinéaste : une grande partie du film se déroule à la montagne, durant un week-end de ski. Ozu et les sports d’hiver, voilà un mariage auquel on n’aurait pas pensé spontanément.

Il faut rappeler quand même qu’à l’époque, Ozu est un jeune réalisateur en construction, avant tout au service du studio pour lequel il bosse (la Shockiku), et qu’il n’hésite pas à se plier aux demandes du public. Les sports d’hiver étant alors en pleine éclosion au Japon, le voilà donc plantant ses caméras dans la neige.

Une curiosité, donc, qui ne brille pas par son originalité. Pour résumer : deux amis étudiants qui se disputent pas même jeune femme, ce triangle amoureux étant raconté à grand renfort de chutes et de glissades mal contrôlées, un peu répétitives et pas franchement hilarantes.

Pas désagréable pour autant, la comédie s’avère même délicieusement méchante lorsqu’elle s’attarde sur la mesquinerie de l’un des deux amis, le cancre, dont le sens de la morale est très discutable. On le voit donc ridiculiser son ami pour faire le coq auprès de la belle, ou faire tomber cette dernière dans la neige pour le plaisir de lui essayer les fesses.

Mais cette méchanceté ne va pas bien loin, et le film aurait nettement gagné à être resserré, pour se rapprocher des modèles revendiqués d’Ozu. On pense évidemment aux comédies d’Harold Lloyd, dont plusieurs personnages s’inspirent de l’allure, mais dont Ozu n’a clairement pas le génie comique. D’ailleurs, c’est une l’affiche de Seventh Heaven qui trône dans la chambre des étudiants. Pas exactement une comédie, mais Ozu était un grand admirateur de Frank Borzage, qu’il a toujours cité comme une source d’inspiration.

Le Goût du riz au thé vert (Ochazuke no aji) – de Yasujiro Ozu – 1952

Posté : 23 janvier, 2024 @ 8:00 dans 1950-1959, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Le Goût du riz au thé vert

La valeur d’un homme ne se mesure pas à ses cravates ou à ses costumes, lance un personnage. Et celle d’un couple ne dépend pas du nombre de domestiques ou du confort de la maison, pourrait-on ajouter, après avoir vu ce beau film, dans lequel Ozu capte des prises de conscience, des femmes et des hommes qui décident de s’emparer de leurs propres vies…

La mélancolie qui baigne Le Goût du riz au thé vert n’est pas habituelle pour Ozu. Elle semble ici souligner non le temps qui passe (qui a pourtant son importance), mais le sentiment au contraire d’être enfermé dans un moment subi : cette toute jeune femme à qui son entourage prépare une rencontre arrangée, et surtout sa tante et son oncle qui vivent un mariage décidé pour eux bien des années avant.

Il y a dans ce film, au-delà de la mélancolie, une espèce de rancœur rare dans le cinéma d’Ozu. Au-delà de la tristesse et de la rage, une hargne qui s’apparente par moments à du dégoût de soi. Les quelques gestes tendres du couple formé par Michiyo Kogure et Shin Saburi sont constamment contrariés par des mots durs, des regards fermés. Ce contraste, on le retrouve jusque dans le décor de leur maison, entre la tradition japonaise du salon et le confort tout occidental de la chambre.

Et toujours, l’enfermement psychologique des personnages, qui se manifeste à l’écran par des cadres dans le cadre… dans le cadre, la logique géométrique du regard d’Ozu trouvant ici une sorte d’aboutissement jusqu’au-boutiste. Avec ces images, filmées près du sol bien sûr, Ozu en dit plus sur la détresse de ses personnages et leur incapacité, au fond, à échanger vraiment et sincèrement.

Il n’y a pas que ces cadres dans le décor qui éloignent les personnages. Il y a aussi les domestiques, figures plutôt rares dans le cinéma d’Ozu, qui servent d’intermédiaires en même temps qu’elles empêchent malgré elles tout rapprochement.

C’est d’ailleurs en leur absence que le couple se rapprochera finalement, lorsqu’il se retrouvera autour d’une action qui peut sembler anodine mais qui se révèle sublime : dans la cuisine qui a les atours d’une terra incognita où, soudain, les masques tombent. Et autour de ce riz au thé vert qui donne son titre au film, recette toute simple, dénuée de tout artifice. Aussi pur que le cinéma d’Ozu.

Une poule dans le vent / Une femme dans le vent (Kaze no naka no mendori) – de Yasujiro Ozu – 1948

Posté : 29 novembre, 2023 @ 8:00 dans 1940-1949, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Une poule dans le vent

Deuxième film de l’après-guerre pour Ozu, après Récit d’un propriétaire, et on sent que le cinéaste est encore très marqué par ce conflit qu’il a vécu rudement de l’intérieur. Dans son style inimitable à hauteur de tatamis… et de gravas, il filme un Japon qui n’a pas encore pansé ses plaies, et qui ne s’est pas encore reconstruit.

Le décor est souvent important pour les petits objets ou la place de la nature dans les films d’Ozu. Ici aussi d’une certaine manière, mais « l’objet » qui domine, c’est cet immense réservoir qui surplombe les maisons et les terrains vagues, et dont les personnages semblent ne pas pouvoir s’éloigner, ombre pesante qui semble étouffer une certaine vision du Japon, qui aurait disparu avec la guerre.

Ozu n’a jamais filmé frontalement le conflit. Mais avec ce film plus sans doute qu’avec aucun autre, il en fait ressentir les effets. En filmant d’abord une jeune mère courage qui attend désespérément le retour de son mari, parti pour le front quatre ans plus tôt et pas encore démobilisé, et qui doit se résoudre à se prostituer le temps d’une soirée pour payer les soins de son fils tombé malade.

C’est Kinuyo Tanaka, immense star du cinéma japonais qui fut une interprète fidèle d’Ozu une quinzaine d’années plus tôt (à partir de J’ai été diplômé, mais…), et qui deviendrait cinq ans plus tard une réalisatrice remarquable (avec Lettre d’amour). On n’en est pas encore là : elle est en 1948 une grande actrice, déchirante dans le rôle de cette femme que le retour de son mari confronte à ses choix.

C’est poignant, déchirant même lorsque le visage de Tanaka brise le masque qu’elle tentait de garder, révélant son extrême désespoir face à un mari (Shuji Sano, formidable lui aussi) comme transformé en bloc de marbre. Et c’est quand lui tombe l’armure que le film est, peut-être, le plus émouvant : lorsque, face à une autre femme ayant dû se résoudre à vendre ses charmes, il réalise l’ampleur de ce qu’on vécu les femmes pendant son absence, et ce qu’elles endurent encore.

Je m’étais juré de ne plus utiliser le terme « magnifique » en évoquant un film d’Ozu. Trop facile, trop évident. Mais que ce film est beau, encore. Ozu a ce talent rare de transformer la simplicité en moments de grâce. A vrai dire, c’est tout simplement magnifique.

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