Une auberge à Tokyo (Tokyo no yado) – de Yasujiro Ozu – 1935
Pour la quatrième et dernière fois, Ozu met en scène le personnage de Kihachi, interprété par l’un de ses acteurs fidèles de l’époque, Takeshi Sakamoto. Déjà au cœur de Cœur capricieux, Histoires d’herbes flottantes et Une jeune fille pure (considéré comme perdu), le personnage est une sorte de symbole de l’homme du peuple, pauvre et droit, dans la lignée de ceux que mettaient alors en scène les grands cinéastes américains qu’Ozu admirait.
On retrouve dans ce magnifique film quelque chose du Charlot des Lumières de la Ville, des films Warner de la Grande Dépression comme Wild Boys of the Road ou Je suis un évadé, mais surtout de King Vidor, réalisateur adoré d’Ozu, qui s’inscrit très clairement, au moins dans l’esprit, dans la lignée de Notre pain quotidien. Plus influencé que jamais par le cinéma hollywoodien donc, Ozu signe pourtant un film très personnel, et très japonais dans ce qu’il dit des rapports humains.
Kihachi donne l’occasion à Ozu de mettre en scène l’extrême pauvreté dans ce qu’elle a de plus quotidien, et de plus cruel. Une grande partie du film se déroule dans un vaste terrain vague où les motifs habituels d’Ozu sont poussés à l’extrême : des lignes électriques horizontales, des poteaux verticaux, de larges réservoirs qui occupent tout le paysage… Autant de formes géométriques qui semblent contraindre et enfermer les personnages, les privant de toute issue.
Il y a pourtant de la vie dans ce portrait d’un père sans le sou qui tente de survivre avec ses deux garçons, désespérant de trouver une solution à sa misère. De la vie, et même une pointe de légèreté. Une pointe, toujours teintée d’amertume, comme dans cette très belle scène où le père et ses enfants miment le festin dont ils rêvent.
Le récit est fait de constants vas et vient, des personnages qui ne réussissent jamais à sortir de la pauvreté, cet état si terrible et si aliénant. Il met en scène la solitude de ces êtres rejetés de tous, mais aussi une certaine forme de solidarité, cette bonté dont Ozu, comme Vidor avant lui, fait la clé de la rédemption.
C’est le dernier film muet connu d’Ozu (il tournera encore L’Université est un endroit agréable, lui aussi disparu), et peut-être le plus beau de tous. Celui, en tout cas, qui serre le plus le cœur, le plus intense, le plus bouleversant.









