C’est donc le premier film de Clint qu’il ne réalise pas lui-même depuis près de vingt ans (Dans la ligne de mire, en 1993, où le vieillissement était déjà l’un des thèmes centraux). Mais comme à l’époque où il se laissait régulièrement diriger par d’autres, dans les années 70 et 80, difficile de ne pas penser à ce film comme « au nouveau Eastwood ». Même s’il n’a jamais écrit un scénario, et même s’il aime varier les genres, il y a dans ses films, dans tous ses films, quelque chose de purement eastwoodien, peut-être ce profond ancrage dans les racines américaines.
Eastwood est un cinéaste purement américain. C’est aussi l’une des rares stars dont on peut affirmer que, consciemment ou non, il a bâti une œuvre d’une cohérence totale, et ce depuis plus de quarante ans. Une œuvre qui vient du western, et qui puise ses racines dans la country et le jazz, soit les trois seules formes d’art purement américaines. Trouble with the curve trouve parfaitement sa place dans ce parcours.
Trouble with the curve (ouais… ne comptez pas sur moi pour évoquer le titre français, nullissime, digne d’un mauvais téléfilm romantique diffusé sur M6 un après-midi d’automne) n’est pas un Eastwood majeur, loin de là. En confiant la réalisation à son associé de longue date Robert Lorenz, il confirme sa fidélité professionnelle légendaire, mais nous prive de son propre regard, infiniment plus délicat, en particulier sur les rapports père-fille (Les Pleins Pouvoirs) ou sur la naissance d’une romance (Sur la route de Madison).
A vrai dire, Trouble with the curve est un condensé de lieux communs et de clichés éculés, dont certains sont ahurissants. Pour bien faire comprendre que la méthode old school du recruteur de base-ball joué par Clint sont encore valables, on lui oppose un jeune loup à la tête de faillot qui ne recrute que sur la base de statistiques sur un écran, et n’a jamais vu une partie… Au secours !
Le débutant Lorenz a des souliers énormes, et faut bien reconnaître qu’on devine absolument tout ce qui va arriver aux personnages (y compris à ce vendeur de cacahuète, comprenne qui a vu le film) dès les dix premières minutes. Un peu gênant.
Mais il y a Clint, octogénaire qui ne cherche jamais à cacher son âge, et qui se fait un malin plaisir à en jouer (trop parfois : la toute première scène, qui nous le montre essayant désespérément de pisser, est de trop). En vieux grincheux peu doué pour les rapports humains, qui se rapproche de sa fille avocate lors d’une tournée de recrutement dans l’Amérique rurale, il est excellent. Bouleversant même, à deux ou trois occasions, lorsque le vieil ours baisse la garde et dévoile ses fêlures.
Peu importe si ce vieux recruteur a la vue qui baisse : même s’il clame régulièrement qu’il devient aveugle, Lorenz ne sait visiblement pas quoi faire de ce détail, qui passe rapidement au second plan. Non, ce qui est le plus beau dans ce film, c’est ce qu’il y a de plus simple : les discussions dans les bas (des scènes très eastwoodiennes), avec sa fille (Amy Adams, très bien) ou avec son protégé (Justin Timberlake, décidément très juste et charismatique) ; les longues parties de base-ball auxquelles on ne comprend pas grand-chose mais durant lesquelles se crée une ambiance, qui permet à père et fille de se rapprocher sans vraiment se parler…
Ajoutons le plaisir de retrouver John Goodman et Robert Patrick (toujours un bonheur de les revoir, même s’ils n’ont pas grand-chose à jouer), et franchement, les défauts du film, aussi grands soient-ils, ne méritent pas qu’on se prive de retrouver Clint acteur. Quoi qu’il fasse, de toute façon, je répond présent. Mon premier Clint au cinéma, c’était La Relève (j’avais 14 ans). Depuis, c’est mon vingtième, vivement le vingt-et-unième…