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Archive pour la catégorie 'TARKOVSKI Andreï'

Andreï Roublev (Andrei Rublev) – d’Andreï Tarkovski – 1969

Posté : 9 août, 2024 @ 8:00 dans 1960-1969, TARKOVSKI Andreï | Pas de commentaires »

Andreï Roublev

Ça commence par l’image absurde d’un moine de l’an 1400 qui tente de s’élever au-dessus de la foule, s’accrochant à un ballon gonflé à l’air chaud, surplombant la terre, élevant son âme… Qu’importe la signification de ce moment, tant qu’il y a le retour à la réalité : ce vautrage grotesque qui tue dans l’œuf cette envie de surplomber le monde.

En quelques minutes, presque abstraites, Tarkovski illustre le mur auquel se heurtent ses personnages : cette réalité terrienne, brute et brutale à laquelle ils sont confrontés. Au cœur de ce film fleuve (trois heures), parfois abrupt, le peintre Andreï Roublev, dont le statut d’artiste fait un être plus qu’à part dans ce Moyen-âge violent : une aberration, un être marginal, en opposition muette… qu’on ne voit jamais un pinceau à la main d’ailleurs. Plus qu’un personnage : une idée.

Andreï Roublev n’est pas à proprement parler un film sur la création : Roublev, qui a renoncé à la peinture après avoir assisté à de terribles scènes de violence, décide de s’y replonger dans les toutes dernières minutes du film. C’est même à peine un portrait d’Andreï Roublev : plutôt celui d’un monde ravagé par la violence, et où les croyances et la religion semblent bien absurdes.

Découpé en huit épisodes, sur une longue période de temps, le film nous plonge dans une sorte de désespérance abyssale. Le visage de Roublev, à la fois pur et douloureux, nous accompagne dans ce voyage au cœur de l’inhumanité, jusqu’aux portes de la résignation : la vie serait juste laide, et vouée à l’échec.

La puissance saisissante des images renforce ce sentiment, captant une violence à la fois réaliste et absurde, absurdité que renforcent quelques images fugaces, comme cette volée d’oies surplombant un chant de ruines, qui redonne subrepticement de la hauteur au point de vue.

Et puis arrive la dernière partie : la construction d’une cloche gigantesque par le jeune fils d’un fondeur qui tente de s’extirper avec cet acte de création du chant de ruines dont il était prisonnier… Long épisode que Roublev vit comme un témoin à peine présent. Du chaos, de la fournaise infernale, surgit soudain le son parfait, la beauté…

Trois heures de violence et de misère, et c’est sur une note étonnamment positive que Tarkovski referme son film, monument austère mais fascinant, dont les images sidérantes impriment la pupille longtemps, longtemps…

L’Enfance d’Ivan (Ivanovo detstvo) – d’Andreï Tarkovski – 1962

Posté : 26 juin, 2024 @ 8:00 dans 1960-1969, TARKOVSKI Andreï | Pas de commentaires »

L'Enfance d'Ivan

Premier long métrage de Tarkovski… et première claque, immense, qui valut à son auteur un Lion d’Or bien mérité. Après plusieurs courts et moyens métrages, le réalisateur voulait savoir s’il était capable de tenir la distance sur un long, acceptant pour cela un film de commande. Tellement de commande que le tournage avait été commencé par un autre cinéaste, avant que ce dernier soit remercié.

Tarkovski a repris le projet au débotté, reprenant tout depuis le début, et apportant ses propres idées, y compris au niveau du scénario. C’est lui, notamment, qui a choisi de donner une telle importance aux rêves du jeune Ivan dans cette histoire d’une extrême simplicité, qui se déroule durant les combats entre les Soviétiques et les Nazis : Ivan, 12 ans, a perdu sa mère, tuée par les Allemands. Des soldats de l’armée rouge l’ont pris sous leur aile, lui insistant pour leur servir d’éclaireur…

Pas de flash-backs à proprement parler, mais des rêves, qui invoquent douloureusement une innocence détruite dans la violence… Ces scènes de rêve, et ce n’est pas si commun, sont absolument magnifiques. Elles ouvrent le film, et le referment avec un plan de grande liberté qui confirme ce que l’on ressent tout au long du film : Tarkovski, influencé par Bergman, l’est tout autant par le Truffaut des 400 coups

Comme ce dernier, Tarkovski réinvente réellement et profondément la représentation de l’enfance au cinéma. Son Ivan, que l’on découvre couvert de boue et de sueur, le regard dur et décidé, se comportant comme un adulte revenu de tout, n’a a priori rien d’attachant. Seuls ses rêves nous permettent de passer la façade de cette dureté, derrière laquelle est enfouie la douleur d’une enfance ravagée par la guerre.

La guerre, que Tarkovski cantonne essentiellement à six personnages : une femme disparue, une autre presque abstraite, trois hommes et autant de pères potentiels pour un enfant. Un enfant qui ne l’est que dans le regard des hommes qui l’entourent, et du spectateur, bouleversé par cette violence aveugle dont on ne voit que les effets, absurdes et désastreux…

L’Enfance d’Ivan est un film d’une force émotionnelle immense, et visuellement magnifique. Une splendeur, dont chaque plan est d’une richesse, d’une inventivité et d’une puissance inégalables. C’est lyrique, intime, intense, rempli de gros plans bouleversants et de travellings hallucinants comme celui, vertical, qui ouvre le film le long d’un tronc d’arbre qui semble ne jamais devoir finir.

Comme ces troncs innombrables qui barrent l’horizon dans les marais, où le petit groupe s’enfonce sous un ciel étoilé qui semble lui être inaccessible. Tarkovski voulait savoir s’il était capable de réaliser un film ? Il prouve qu’il est déjà un très grand maître, et le meilleur cinéaste soviétique de sa génération.

 

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