Megalopolis (id.) – de Francis Ford Coppola – 2024
Alors ? Tu as aimé ? – Euh… Repose moi la question dans dix ans, histoire de me laisser le temps de digérer tout ça… Petit dialogue à la sortie de Megalopolis, ce projet fou et démesuré porté par Coppola depuis quarante ans. Ne serait-ce que pour ça, pour cette attente à peu près aussi longue que mon parcours personnel de cinéphile, voir Megalopolis est une expérience qui ne ressemble à aucune autre. Et qui mérite, donc, largement, d’être vécue.
Une autre raison, aussi : ce sentiment que l’on a durant plus de deux heures d’être embarqué dans les méandres du cerveau de Coppola, de toucher du doigt toutes les idées qu’il a accumulées au fil des années, pour ce qui restera quoi qu’il arrive le projet de sa vie. Ce qui, pour un cinéaste aussi important, audacieux et visionnaire que Coppola, n’est pas rien.
Mais alors ? C’est bien ? Franchement, impossible de répondre simplement à cette question, tant la vision de Coppola est radicale, grandiose, foisonnante, et naïve à la fois. Utopie futuriste, relecture de l’empire romain avant la chute, tragédie familiale qui doit plus à Shakespeare qu’au Parrain… Megalopolis est tout ça à la fois : une œuvre totale et, oui, radicale, qui ne fait pas grand-chose pour plaire au grand public.
Dès les premières secondes, un carton l’annonce : c’est une fable qui va nous être présentée. Avec des personnages qui sont donc des incarnations de certaines idées, souvent extrêmes d’ailleurs. Au cœur du film, il y a le rêve de ville idéale et globale incarné par Adam Driver, bâtisseur vivant presque reclus dans sa tour, capable de manier le temps, de l’arrêter au fil de ses inspirations créatrices.
Autour de lui : la politique, et l’argent, deux forces qui s’opposent à sa vision pour des raisons radicalement différentes. D’un côté : le maire joué par Giancarlo Esposito, dont la fille (Nathalie Emmanuel, que je découvre avec plaisir vu qu’elle n’a fait à peu près que des Fast and Furious avant ça) tombe amoureuse de l’ennemi juré, le bâtisseur. De l’autre : le banquier fat Jon Voight et son odieux petit-fils Shia LaBeouf, incarnations d’une décadence tout droit héritée de la culture romaine antique.
Les parallèles avec l’empire romain sont un peu lourdement appuyés, avec musique ad hoc, toges et patronymes qui vont avec, et même une course de chars où on jurerait avoir aperçu Charlton Heston. Ce qui, on l’a bien compris, n’est pas possible. C’est là que l’aspect « fable » de l’entreprise touche un peu ses limites, à force de trop vouloir rapprocher deux mondes et deux époques (l’empire romain et les Etats-Unis du XXIe siècle). Qui ont, certes, sans doute des points communs.
Il y a quoi qu’il en soit une vraie vision de (grand) cinéaste derrière cette fable. Et malgré sa richesse extrême, excessive même, qui multiplie les pas de côté et nous submergent littéralement d’idées, il y a là une incontestable maîtrise, un mouvement fascinant et d’une grande cohérence qui nous fait accepter tous les excès, et des moments de pur et de grand cinéma comme on a rarement l’occasion d’en voir.
Megalopolis est sans doute un film très imparfait, voire bancal. Ou peut-être est-il simplement génial, après tout… Franchement, il me paraît bien difficile d’avoir un avis tranché sur la question avant de l’avoir revu, et surtout de l’avoir laissé infuser… Quoi qu’il en soit : c’est l’œuvre d’un cinéaste immense, qui n’a cessé d’inventer de nouvelles formes au fil de sa carrière, quitte à risquer sa propre fortune. C’est ce qu’il fait plus que jamais pour ce projet fou. Et le voir, à 80 ans passés, miser autant d’argent personnel sur un film dont il rêvait depuis si longtemps, a quelque chose de magnifique.