Il y a deux films dans Entrée des artistes. D’abord, celui que l’histoire a retenu : une vision quasi-documentaire des coulisses du Conservatoire, avec Louis Jouvet dans le rôle d’un professeur d’art dramatique qui pourrait s’appeler Louis Jouvet, que l’on voit donner des cours à quelques-uns de ses élèves, parmi lesquels Bernard Blier.
Cette partie là du film est passionnante, et assez fascinante parce qu’elle nous donne à voir les difficultés, la cruauté même de l’apprentissage du métier d’acteur. La mise en scène y est pleine de vie, pleine d’humanité et d’empathie pour ces personnages qui, d’une certaine manière, ont tous décidé de renoncer à quelque chose pour vivre cette vie d’incertitude et de passion. Jouvet y règne en maître. Ou plutôt non : il y est un maître qui ne règne pas, qui se met constamment au niveau de ses élèves. Il y est absolument magnifique, dans un rôle forcément difficile : presque lui. Et ce presque lui, il l’incarne avec une justesse absolue.
Il s’y livre aussi, mine de rien, comme dans cette scène superbe où il refuse le renoncement de l’une de ses élèves. « J’ai eu 17 ans, je ne les ai plus parce que tu les as… Les 17 ans, il n’y en a pas pour tout le monde à la fois. » Du Henri Jeanson dans le texte, mais dieu que Jouvet les dit bien, ces mots de Jeanson, son auteur préféré, celui qui lui offrira le sublime écrin des Amoureux sont seuls au monde. Ici, Jeanson joue admirablement sur la présence du grand Jouvet, dans ce rôle si visiblement transparent.
La porosité entre la fiction et la réalité est au cœur du film. Cela peut donner une autre très belle scène, approche méta comme les aime Jeanson, le futur scénariste de La Fête à Henriette. François et Isabelle dans une chambre au petit matin, presque entièrement habillés. Et lui : « Au cinéma, quand on veut montrer avec subtilité, sans le dire, à cause des enfants au-dessus de 6 ans, que deux êtres se sont aimés, on promène le regard du spectateur tout autour de la chambre. On lui montre une cigarette qui se consume, un lit défait, un oreiller qui est tombé par terre… » Exactement ce que montre la caméra d’Allégret dans le même mouvement.
Cela donne aussi un final qui tire vers le polar, et qui lui peine à convaincre. Entrée des artistes n’est, hélas, que ponctuellement centré sur les coulisses du Conservatoire. L’essentiel de l’intrigue est donc basé sur l’histoire d’amour d’Isabelle et François (Jeanine Darcey et Claude Dauphin), et à la passion contrarié de Cœcilia (Odette Joyeux), trois apprentis comédiens pour lesquels la frontière entre la réalité et la comédie a une tendance à être floue. Sur le papier en tout cas, mais Allégret échoue à donner du corps à ce trouble qu’on imagine central dans le scénario de Jeanson, et on reste largement étranger à la passion de ce triangle amoureux.
Dommage. Entrée des artistes est sans doute d’avantage un film de scénariste que de réalisateur. On y prend toutefois un vrai plaisir, grâce aux excellents seconds rôles (les incontournables Dalio, Blier, Roquevert, et une mention à Carette, formidable en petit journaliste un peu dépassé), et pour la vision qu’il nous offre de Jouvet au travail. Même si le plan, tellement long et enamouré qu’il en devient gênant, est là pour nous rappeler qu’on est bien dans une fiction, et pas dans un documentaire…