Les Ailes du désir (Der Himmel über Berlin) – de Wim Wenders – 1987
Un ange qui renonce à sa condition par amour, et qui décide de devenir un mortel parmi les autres… Le sujet pourrait donner un mélo bien baveux. Ça sera d’ailleurs le cas avec le « remake » américain qu’en tirera Brad Silberling (La Cité des anges, avec Nicolas Cage). Il pourrait aussi donner une réflexion pompeuse sur l’humanité, la vie, l’amour, la mort…
Mais non. Wim Wenders, alors au sommet de son art (il sort de sa Palme d’Or américaine pour Paris Texas), fait de ce thème la matière à un portrait assez fascinant de Berlin, celle ville-monde encore coupée en deux, filmée sans afféterie mais sans misérabilisme, dont Wenders semble capter comme personne l’âme profonde, l’humanité à tous les coins de rue.
Elle est assez laide, cette ville, encore toute marquée par la guerre et la reconstruction (physique et morale). Mais Wenders la filme avec une tendresse inattendue, d’une sincérité troublante pour un cinéaste dont on savait déjà le rapport difficile qu’il avait son Allemagne, dont il n’a cessé de s’éloigner à travers ses films. Pas là, pas avec ses Ailes du désir.
Difficile de parler de déclaration d’amour avec ce film. Wenders filme des ruines, des blocs de béton, un mur hideux qui coupe la ville comme une cicatrice. Il filme des êtres abîmés, des paumés, des terrains vagues, des caves… Rien de glamour, rien de glorieux, mais une ville vivante et pleine d’une simplicité et d’une vérité souvent bouleversantes.
Le regard des anges Damiel (Bruno Ganz, merveilleux) et Cassiel (Otto Sander, qui aura le rôle central de la suite, Si loin si proche) permet d’adopter un point de vue omniscient, vertical, passant d’un personnage important à une simple silhouette, donnant de beaux plans surplombant la ville… Une vision fantasmée de documentariste, en quelque sorte, magnifiée par le noir et blanc.
Beau film que traverse Bruno Ganz avec un mélange d’évanescence et de passion, et un regard d’une douceur absolue. On y croise Peter Falk, dans son propre rôle et lui aussi très touchant, mais aussi un tout jeune Nick Cave, alors dans sa période berlinoise, lorsqu’il écumait les clubs de la ville. Ce film a contribué à faire connaître le chanteur d’un public plus large.
Ne serait-ce que pour ça, et pour cette superbe séquence de concert où Damiel devenu humain rencontre enfin sa belle trapéziste (Solveig Dommartin, dans le rôle de sa vie), tandis que Nick Cave et ses Bad Seeds se produisent sur scène, Les Ailes du désir est un film important…