La Nuit du 12 – de Dominik Moll – 2022
Zodiac, Memories of Murder… les polars évoquant l’obsession de flics qui échouent à résoudre un crime sont presque devenus un genre en soi. Et un genre souvent passionnant, comme le confirme La Nuit du 12, fraîchement césarisé, qui vaut à Dominik Moll un nouveau triomphe personnel plus retentissant peut-être encore que son Harry, un ami qui vous veut du bien, il y a vingt ans.
Surtout, Moll, tout en s’inscrivant dans la mouvance des chefs d’œuvre de Bong Joon Ho et David Fincher, signe un film très différent, bien dans la lignée de ce que sa courte filmographie (sept longs métrages en trente ans, c’est peu) suggérait déjà : il est un cinéaste du détail, de la précision, mais aussi d’un certain quotidien, dans lequel il infuse le déséquilibre et la rupture par de toutes petites touches.
Bon. Il y a tout de même un énorme point de bascule dans La Nuit du 12 : la scène du meurtre, ce moment très banal (une jeune femme qui quitte une soirée pour rentrer chez elle) qui tourne à la barbarie (un inconnu l’aborde, l’asperge d’essence et met le feu). Un moment qui rompt si brutalement le cours de la vie que Moll le film avec un soudain recul, avec le filtre inhabituel dans le film d’une musique dramatique, et avec une pudeur qui transforme l’horreur en une profonde émotion.
Cette scène, traumatisante et bouleversante, infuse tout le film. Elle permet aussi de ne jamais revenir lourdement sur la souffrance des flics chargés de l’enquête. C’est toute une équipe qui est mobilisée, mais le film se concentre sur le jeune chef de groupe et sur le plus ancien de ses adjoints. D’un côté, un trentenaire entièrement focalisé sur son métier, qui évacue son stress et sa colère en enchaînant les tours de piste de vélodrome, qui l’enferment symboliquement dans une logique jusqu’au-boutiste autodestructrice. De l’autre, un quinqua qui a depuis longtemps passé cet équilibre fragile, et qui arrive au point de rupture.
Entre Bastien Bouillon (étonnant César du meilleur espoir pour ce rôle – étonnant parce qu’il est loin d’être un débutant) et Bouli Lanners (César du second rôle), c’est toute la souffrance de cette enquête au long cours que capte Dominik Moll, à travers quelques éclats, de rares confessions, mais surtout à travers des silences, des non-dits, une incapacité du jeune flic à verbaliser, et une pression que son aîné peut de moins en moins canaliser…
Le décor montagneux de la Maurienne n’est pas non plus anodin. Loin d’ouvrir le récit, il l’enferme au contraire dans des espèces de murs naturels qui renforcent le sentiment d’oppression, comme si les personnages s’enfermaient dans une logique de vie sans issue, que les repas qu’ils partagent régulièrement mettent en lumière, avec cette convivialité et cette légèreté feintes qui ne trompent pas grand-monde, pas même eux-mêmes.
Formidable polar entêtant, La Nuit du 12 pourrait être plombant. Il est effectivement très sombre, avec ces hommes et ses femmes qui s’accrochent avec la conviction du désespoir au moindre fil, systématiquement contrarié. Pourtant, Moll y insuffle de la vie, et même un étonnant sentiment d’optimisme. Ce n’est pas le moindre de ses mérites.