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Archive pour novembre, 2021

Une si jolie petite plage – d’Yves Allégret – 1949

Posté : 30 novembre, 2021 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 1940-1949, ALLEGRET Yves | Pas de commentaires »

Une si jolie petite plage

Une nuit pluvieuse, un jeune homme au regard triste arrive dans une petite station balnéaire du Nord de la France à bord d’un vieil autobus. Nous sommes dans la morte saison. Le pays est désert, lugubre, et semble se limiter à un garage, quelques façades, et un hôtel. A l’intérieur, quelques habitués trompent l’ennui. Remplacez le bus par une diligence. Remplacez l’hôtel par un saloon. Yves Allégret ouvre son film comme si c’était un western, avec un héros taciturne, une patronne de bar amicale, une nature ouvertement hostile, et même un old timer au regard vif.

Etrange et fascinante introduction, pour un film qui doit ensuite nettement plus au film noir, dont la photo spectaculaire d’Henri Alekan reprend clairement les codes. La pluie incessante et les grandes étendues désertes de cette plage qui semble ne pas avoir de limites contribuent pour beaucoup à cette atmosphère tragique, dont on sent bien que rien de très positif ne pourra en sortir. Une si jolie petite plage s’inscrit en cela dans la lignée d’un Quai des brumes, et de tout un pan du cinéma dramatique français.

Gérard Philippe y trouve l’un de ses très grands rôles : un homme poursuivi par ses souvenirs, et par un acte qu’il a commis. Le scénario de Jacques Sigurd (qui avait déjà écrit Dédée d’Anvers pour Allégret) a cette audace un peu folle de ne jamais rien dire explicitement de ce passé si pesant. On finit par comprendre très exactement ce qui s’est passé avant que le film ne commence, mais sans le moindre flash-back, sans même aucun discours explicatif. Juste un disque qui passe, la remarque innocente de la patronne de l’hôtel (Jane Marken), une autre d’un client de passage (Carette), un disque qui passe inlassablement… ou les réminiscences d’un gamin qui semble être le miroir de ce qu’était le personnage de Gérard Philippe.

Un gamin de l’assistance en l’occurrence, traité comme un esclave et au destin forcément tragique, même si un carton explicatif assure au spectateur, au début et à la fin, que le film n’est pas une condamnation de l’assistance publique… Sans doute le parallèle entre ce qu’est devenu l’orphelin Gérard Philippe et ce gamin qui lui ressemble tant est-il un peu trop systématique. Mais il y a dans ce film un vrai souffle tragique, qui passe certes par de longs plans à l’esthétique mortifère, mais aussi par d’infimes signes qui font appel à l’intelligence du spectateur plutôt qu’à des signes trop appuyés.

Il y a, surtout, le personnage magnifique de la serveuse, jouée par Madeleine Robinson, superbe actrice qui ne cède jamais ni au misérabilisme, ni à la séduction facile. Une jeune femme tout aussi paumée que le personnage de Philippe, mais résignée, presque sage. Le moment d’intimité que ces deux-là partagent dans une cabane miteuse du bord de mer est peut-être le plus beau du film, comme une parenthèse de douceur et de quiétude, qui ne présage pour autant d’aucun signe d’optimisme.

Sydney, l’autre Chaplin – de Serge Bromberg et Eric Lange – 2017

Posté : 29 novembre, 2021 @ 8:00 dans 2010-2019, BROMBERG Serge, CHAPLIN Charles, DOCUMENTAIRE, LANGE Eric | Pas de commentaires »

Sydney l'autre Chaplin

De Sydney Chaplin, on connaît surtout les apparitions dans les films de son frère : un vendeur de saucisses dans Une vie de chien, un père suspicieux dans Le Pèlerin… On sait vaguement qu’il a lui-même connu un certain succès éphémère en tant qu’acteur, et qu’il a joué un rôle de l’ombre relativement important dans le parcours de Charlie. Ce documentaire passionnant fait de Sydney bien plus qu’un personnage de l’ombre : un homme complexe et attachant, à la vie assez incroyable.

On y découvre l’ampleur de l’influence qu’a eu Sydney sur Charles, à la fois dans ses choix et la gestion de sa carrière, mais aussi artistiquement. Dans les années 1910 surtout, mais même au-delà. Bien avant Le Dictateur (en 1921), Sydney a ainsi réalisé et interprété un King, Queen and Joker dans lequel son personnage prend la place d’un roi. Il y est également un barbier qui rase un client sur le rythme d’une musique. Certes, la scène n’a pas le génie de celle de Charlie, mais tout de même.

De la même manière, le verbiage imaginaire mais tellement compréhensible du dictateur dans le classique de Charlie semble avoir été inventé quatre ans plus tôt par Sydney dans un film personnel, tourné (en couleurs) lors d’une visite de l’exposition universelle de Paris. Le documentaire de Serge Bromberg et Eric Lange doit beaucoup à ces images d’archives, rares et précieuses, dont beaucoup sont dues à Sydney lui-même. On le découvre sur les plateaux de son frère, ou lors de ses très nombreux voyages autour du monde.

On connaissait déjà les images en couleurs qu’il a tournées sur le tournage du Dictateur, témoignage exceptionnel du travail de Charles Chaplin. Sydney en a filmé bien d’autres, souvent inédites, que l’on découvre ici avec passion : dans les studios de son frère, lors du fameux voyage en Asie au début des années 1930, ou bien plus tard au Manoir de Ban à Corsier-sur-Vevey. Précieux témoin du parcours exceptionnel de Charlie, dans l’ombre duquel il est toujours resté, sans en tirer la moindre amertume.

Témoin privilégié, Sydney est toujours resté proche de son frère malgré quelques scandales. Mais il a lui-même eu une vie étonnante : frère de, acteur, réalisateur et vedette de cinéma, homme à femmes mais proche de ses épouses, fondateur de la première compagnie aérienne privée en 1919, adepte du naturisme, inlassable globe-trotter… Ce documentaire fait découvrir l’homme, dans toute sa complexité.

Mourir peut attendre (No Time to Die) – de Cary Joji Fukunaga – 2021

Posté : 28 novembre, 2021 @ 8:00 dans * Espionnage, 2020-2029, ACTION US (1980-…), FUKUNAGA Cary Joji, James Bond | Pas de commentaires »

Mourir peut attendre

Il s’est quand même passé quelque chose d’inédit dans la saga James Bond, sous cette ère Daniel Craig qui se referme. Pour la première fois, ce cycle autour d’un acteur a été appréhendé comme un tout, avec un début, une évolution, et une fin. Une vraie fin, qui se devait d’être aussi radicale que l’était l’introduction avec Casino Royale. Elle l’est, radicale. Cette conclusion d’un cycle pour la première fois feuilletonnant est même assez parfaite, dans le prolongement en tout cas des quatre premiers films.

Plus que jamais, même, le film réussit le grand écart entre les moments attendus et la réinvention du mythe. Mourir peut attendre a les mêmes défauts que la plupart des Bond : en particulier un méchant caricatural et sans vraie envergure (Rami Malek ici), ni meilleur ni pire que les précédents. Mais cette idée de cycle qui se referme ouvre la porte à de vraies audaces, et à quelques surprises fortes comme on n’en a jamais vraiment vu dans la saga.

Cary Joji Fukunaka, cinéaste choisi après le succès de la série True Detective dont il a réalisé la première saison, se révèle un choix parfait pour assumer ce grand écart. Passées les premières minutes, où son style syncopé caméra à l’épaule fatigue un peu dans les scènes d’action, on est happé par la vivacité du rythme, frappé par la manière dont il remplit scrupuleusement le cahier des charges avec ce qu’il faut de poursuites en voitures (spectaculaires dans les rues de ce petit village italien), combats à mains nues et fusillades, tout en posant sa marque.

Marque qui flirte étrangement avec les codes immersifs du jeu vidéo. Efficacement mais lourdement à l’occasion de deux explosions dont on sort, comme Bond, en perdant ses repères sensoriels. Et surtout dans l’ultime marche solo de Bond traçant son chemin à travers les dédales de la base du grand méchant, laissant les cadavres derrière lui à chaque recoin. Les longs plans quasi-subjectifs sont, là, proprement hallucinants.

Côté action, on est largement servi. Côté humain aussi. Cet ultime épisode avant le renouveau laisse tellement de cadavres et de drames qu’il pourrait être plombant. Curieusement, c’est peut-être le plus vivant de tous les Daniel Craig. Celui en tout cas où l’acteur est le plus humain, et le plus surprenant : fort comme toujours, fragile, tendre et même drôle comme jamais. Il est formidable, réussissant parfaitement ses adieux comme il avait réussi son arrivée il y a quinze ans.

Autour de lui, les habitués sont tous présents, avec une présence renforcée par rapport aux précédents films (en 2h45, on a le temps) : M, Q, Moneypenny, Tanner, Felix Leiter… le fan service est au rendez-vous, et plutôt bien. Côté James Bond Girl aussi, le film fait plus que répondre aux attentes (peut-être grâce à la présence au scénario de Phoebe Waller-Bridge). Une 007 au féminin d’abord (Lashana Lynch), sympa mais un peu anecdotique. Le retour de Madeleine ensuite (Léa Seydoux), moins surprenante mais plus émouvante que dans Spectre. Une jeune agent de la CIA enfin (Ana de Armas), réjouissant mélange d’innocence sexy et d’efficacité redoutable, le temps d’une grande séquence d’action d’une intensité et d’une inventivité folles.

Même dans les décors, Mourir peut attendre répond à cette double volonté : remplir le cahier des charges et surprendre. On a donc droit à de fabuleux paysages en Italie et en Norvège, à une planque (trop) classe en Jamaïque, à une base des méchants digne des périodes Sean Connery ou Roger Moore… mais aussi à une formidable scène dans une forêt touffue baignée de brume, ou des adieux déchirants sur un quai de gare tragiquement banal…

Et cette fin, dont on ne peut pas dire grand-chose sans gâcher la surprise, mais qui confirme fort bien, en détournant le mythe de Midas déjà au cœur de Goldfinger il y a bien longtemps, la dimension tragique et désespérément humaine de ce cycle Daniel Craig. Dont on a bien du mal à imaginer ce qui pourrait lui succéder. Mais la tradition est respectée. Le générique de fin le confirme, avec plus d’interrogations sans doute qu’après les vingt-quatre Bond précédents : James Bond will return.

La Fille sur la balançoire (The Girl in the Red Velvet Swing) – de Richard Fleischer – 1955

Posté : 27 novembre, 2021 @ 8:00 dans * Films noirs (1935-1959), 1950-1959, FLEISCHER Richard | Pas de commentaires »

La Fille sur la balançoire

Voilà un film qui vous laisse avec la gorge nouée, et une terrible amertume. Adaptée d’un authentique fait divers, et des minutes de l’un des procès les plus médiatiques du tout début du XXe siècle, cette grosse production en Cinemascope et Technicolor flamboyant est à la fois l’un des sommets de la carrière de Richard Fleischer, et l’un de ses films les plus méconnus.

Après ses enthousiasmants débuts qui ont fait de lui l’un des spécialistes de la série B noire (comme Anthony Mann à la même époque), Fleischer est devenu un habitué des grosses productions avec le succès de 20.000 lieues sous les mers. La Fille sur la balançoire a été tourné juste après. Les moyens à sa disposition sont énormes.

Techniquement, Fleischer bénéficie de tout le savoir de la Fox, avec un producteur et scénariste ambitieux, Charles Brackett (qui venait de signer Boulevard du Crépuscule, et Niagara), qui lui ouvre les portes d’une reconstitution en tout point parfaite : ce New-York du spectacle et de la haute-société, dans les coulisses desquels le film nous plonge.

Facile de se laisser déborder par de tels moyens, et d’en oublier l’essentiel. La mise en scène de Fleischer est certes simple et frontale (vraiment frontale la plupart du temps), privilégiant les plans larges et évitant les gros plans. Mais cette simplicité n’est pas une facilité : c’est un parti-pris qui place constamment les personnages, centraux, dans un environnement d’où toute idée d’intimité semble bannie. Quelques scènes toutefois rompent avec cette frontalité, avec l’utilisation de cadres dans le cadre qui soulignent l’enfermement psychique grandissant de la jeune femme.

Fleischer filme admirablement ce trouble naissant chez ses trois personnages principaux, tous obsédés d’une manière ou d’une autre par ce triangle amoureux. Le choix de Joan Collins, actrice pas franchement enthousiasmante, laisse un peu dubitatif. Mais Farley Granger est glaçant, et Ray Milland est impérial en homme qui échoue à rester raisonnable. Dommage que le rôle de sa femme vieillissante (Frances Fuller) reste à ce point dans l’ombre, à l’exception de deux courtes et très jolies scènes.

La peinture de cette société privilégiée mais oppressante intéresse visiblement nettement plus Brackett et Fleischer que le fait divers lui-même, avec lequel le scénario prend pas mal de libertés semble-t-il, simplifiant largement les enjeux de ce triangle amoureux : une jeune actrice pure, un architecte entre deux âges dont elle s’éprend, et le jeune millionnaire arrogant constamment prêt à exploser. L’issue du drame ne fait guère de doute, dès les premières minutes, loin d’une vérité historique semble-t-il nettement plus ambivalente. Beau film en tout cas, qui mériterait d’être redécouvert sur un écran très large.

Affliction (id.) – de Paul Schrader – 1997

Posté : 26 novembre, 2021 @ 8:00 dans * Thrillers US (1980-…), 1990-1999, SCHRADER Paul | Pas de commentaires »

Affliction

Une région montagneuse de l’Amérique profonde, une petite ville recouverte par la neige, un homme pourchassé par ses démons, qui se débat entre un job pourri, un divorce difficile, une fille dont il sent qu’elle lui échappe, et un vieux père violent… Bienvenue dans l’univers de Russel Banks, grand auteur pas joyeux-joyeux, dont les romans marquent par leur atmosphère pesante et tragique, et par l’épaisseur de personnages qui se débattent.

En adaptant Affliction, Paul Schrader relève un vrai défi : porter à l’écran cet univers oppressant et désespéré, sans étouffer pour autant ni le récit, ni le spectateur. Il y réussit plutôt bien, en adoptant quasi-exclusivement le regard de Wade, père et fils en déroute, à qui Nick Nolte apporte une intensité impressionnante : un chien battu à qui il arrive de grogner, mais qui n’a pas encore mordu, comme il le dit lui-même. Pas encore.

Quand un accident de chasse se produit, Wade se persuade qu’il s’agit d’autre chose que d’un accident. Mais déjà, on le sent, il perd pied. On le sent près à exploser d’une minute à l’autre, et c’est là la plus grande réussite du film : la manière dont Schrader rend perceptible la tension qui ne cesse d’augmenter dans le crâne de Wade, qui se raccroche à ce qu’il peut tandis que son univers part en vrille autour de lui : une relation sans avenir avec une femme qui a le malheur de l’aimer (Sissy Spacek, touchante), un rôle de père qui n’est plus qu’une chimère, un frère qu’il ne voit jamais mais dont il se rêve proche (Willem Dafoe, toujours impeccable, mais dans un rôle un peu sacrifié).

Et ce père, joué par James Coburn, violent et castrateur, devenu un vieil homme insensible, toujours odieux. Dans une poignée de plans, Schrader joue habilement sur la ressemblance du père et de son fils, sur ce glissement de plus en plus perceptible de l’enfant battu vers le vieil homme violent. On peut reprocher à Schrader de ne pas avoir retrouvé l’intensité de Banks. On peut aussi saluer la troublante banalité des personnages, et remarquer que, à l’exception d’une conclusion trop explicative, le film est réussi parce qu’il nous place exactement dans la peau de son personnage principal, un homme qui perd le fil et se noie.

Faiblesse humaine (Sadie Thompson) – de Raoul Walsh – 1928

Posté : 25 novembre, 2021 @ 8:00 dans 1920-1929, FILMS MUETS, WALSH Raoul | Pas de commentaires »

Sadie Thompson

Walsh n’est pas qu’un cinéaste de l’action et de l’amitié virile. Il peut aussi se montrer très à l’aise pour filmer des portraits de femme, comme avec ce très beau Sadie Thompson, adaptation d’un récit de Sommerset Maugham, et l’un de ses derniers films muets. Sadie Thompson, c’est la grande Gloria Swanson, jeune femme délurée (ce qui veut dire qu’elle est sans doute une ancienne prostituée) qui débarque de San Francisco sur une petite île du Pacifique, où elle tombe amoureuse d’un militaire et subit de courroux d’un pseudo-pasteur réformiste qui veut chasser cette fille de petite vertu…

L’humain contre la bigoterie… Walsh a vite choisi son camp, et fera in fine de l’affreux moraliste un monstre d’hypocrisie. Ce qui, paradoxalement, permettra au cinéaste de se raccrocher à une certaine ferveur religieuse très américaine, avec cette notion de rédemption qui n’est jamais prise à la légère à Hollywood. Mais l’essentiel est ailleurs. Dans la confrontation de cette rigueur inhumaine incarnée par Lionel Barrymore, et de cette liberté d’une modernité folle que représente Gloria Swanson.

On le sent fasciné par la belle, Walsh, qui s’offre d’ailleurs le rôle majeur de O’Hara, le coup de cœur de Sadie. Il la filme avec une vivacité de chaque plan (jusqu’à la dernière partie en tout cas), soulignant de sa caméra la sensualité si en avance sur son temps, l’indépendance de cette femme qui refuse de se plier au regard des autres. Gloria Swanson est une actrice formidable, ce n’est pas une nouveauté. Mais Walsh, plus encore que son réalisateur fétiche Cecil B. De Mille, sait capter en elle l’insolence, la fausse insouciance, et cette beauté farouche qui n’a rien perdu de son caractère de fascination, près d’un siècle plus tard. Sadie Thompson est l’un de ses plus beaux rôles.

Il manque hélas la quasi-totalité de la dernière bobine. Mais le film a été restauré dans les années 1980, avec un montage de photogrammes qui permet de suivre la conclusion de l’histoire, ainsi qu’une très belle musique symphonique. Cette fin un peu tronquée a le mérite d’exister, même si elle nous prive un peu brutalement de la belle tension dramatique qui s’était installée.

Il y a effectivement une grande tension dans ce drame qui ne fait pas toujours dans la dentelle. Une tension alimentée par le regard froid du bigot en chef, par celui tout perdu de Gloria Swanson, et par quelques belles idées de mise en scène : ces plans successifs sur le toit battu par la pluie, superbes ellipses rudement évocatrices. Rythmé et intense, du pur Walsh, déjà.

Toboggan – de Henri Decoin – 1933

Posté : 24 novembre, 2021 @ 8:00 dans 1930-1939, DECOIN Henri | Pas de commentaires »

Toboggan

Premier « vrai » film pour Henri Decoin, qui venait de diriger la version française des Requins du pétrole. Ce Toboggan peut être considéré comme la vraie naissance d’un cinéaste passionnant et éclectique, après une grande carrière de sportif (il a été champion de natation et de water polo). Le sport y occupe encore une place centrale, puisque le personnage principal, boxeur déchu qui remonte sur le ring par amour pour une jeune femme, est interprété par Georges Carpentier, l’un des plus grands noms de la boxe française, ancien champion du monde alors presque quadragénaire.

Toboggan est un beau titre, pour un film qui raconte l’histoire d’un champion qui brûle ses derniers feux. C’est aussi le titre d’une chanson assez fascinante qui revient régulièrement, comme pour rappeler inlassablement l’issue forcément négative de cet ultime combat. Beau thème, étonnamment amer pour un cinéaste (de 43 ans) qui n’en est qu’à ses premiers pas derrière la caméra.

Pour ses débuts, Decoin se révèle meilleur formaliste que raconteur d’histoire. La narration manque sans doute de rythme, voire même d’originalité. Mais esthétiquement, Toboggan est la plupart du temps une très grande réussite. Le film s’ouvre dans un campement de laissés pour compte. En quelques images, Decoin sait créer une atmosphère, à la fois pleine de vie et pleine de rudesse. C’est comme ça aussi que le film se refermera, par un plan d’une amertume magnifique, sans illusion et sans concession.

Entre temps, Decoin se montrera moins inspiré avec l’imagerie de la haute société, mais il réussira quelques grands moments de cinéma : l’utilisation de ces images d’archive du vrai Georges Carpentier, retraçant le parcours de Romanet (le personnage) avec la voix off amusée et enthousiaste de sa petite amie Lisa (Arlette Marchall). Les scènes de combat sont essentiellement filmées en plans larges, parfois en plongée. Celles des entraînements sont en revanche ultra stylisées, se résumant souvent à quelques secondes marquantes : des coups de poing dans l’air, une ombre portée sur un mur… Passionnants débuts.

Beckett (id.) – de Ferdinando Cito Filomarino – 2021

Posté : 23 novembre, 2021 @ 8:00 dans * Polars européens, * Polars sud-américains, * Thrillers US (1980-…), 2020-2029, CITO FILOMARINO Ferdinando | Pas de commentaires »

Beckett

Un couple d’Américains en voyage en Grèce. Un accident. Et tout déraille. L’homme, qui surmonte difficilement de gros problèmes de communication, se retrouve pris pour cible pour une raison qu’il ignore, dans un pays qu’il ne connaît pas, coupé du monde.

John David Washington est de toutes les scènes, presque de chaque plan. La grande force du film, c’est d’adopter son strict point de vue. Oh, rien de bien neuf là-dedans. Roman Polanski avait à peu près le même parti-pris pour Frantic, autre thriller dont le héros est un homme ordinaire pris dans une machination qui le dépasse, seul dans un pays dont il ne parle pas la langue. Pas grand-chose de neuf, donc, mais une efficacité indéniable, une grande intensité, et un vrai point de vue.

Sur la Grèce en l’occurrence, pays finalement rarement filmé dans le cinéma de genre, et ici totalement dépouillé de ses images toutes faites. Ce n’est pas la Grèce touristique que l’on découvre ici, encore que la première moitié se déroule dans une région de montagnes d’une grande beauté. C’est, plutôt, la Grèce de la crise financière, au bord de la rupture, où tout semble à l’abandon, poussiéreux. C’est surtout frappant dans la seconde moitié du film, à Athènes, ville pleine de vie, et d’une pauvreté omniprésente.

C’est le second film de Fernando Cito Filomarino, réalisateur italien qui renoue ici avec le thriller paranoïaque style Les Trois Jours du Condor. Avec une vraie efficacité, une réussite visuelle exempte de toute afféterie. On peut juste regretter la surenchère de rebondissements et de scènes d’action, comme si le cinéaste ne faisait pas suffisamment confiance à la seule force de son mystère. Alors c’est parfois un peu trop, mais les coups et blessures que se prend le pauvre John David Washington finissent par créer une étrange fascination, comme un violent trip qui chercherait à garder l’émotion à distance. Pour mieux la laisser éclater.

Le Voyeur (Peeping Tom) – de Michael Powell – 1960

Posté : 22 novembre, 2021 @ 8:00 dans * Polars européens, 1960-1969, POWELL Michael | Pas de commentaires »

Le Voyeur

1960 est une année évidemment très importante dans l’histoire du cinéma, ne serait-ce que parce qu’elle a vu l’avènement de la Nouvelle Vague. C’est aussi l’année où deux grands cinéastes anglais ont signé deux de leurs plus grands films, tous deux basés sur le destin de jeunes hommes étouffés par leurs géniteurs et dont l’Œdipe a fait des tueurs en série… et des figures mémorables du 7e Art. Mais si Hitchcock a obtenu d’emblée un triomphe populaire et critique avec Psychose, Michael Powell s’est lui heurté à un mur d’incompréhension avec son Peeping Tom.

Il a fallu du temps, et quelques ambassadeurs dithyrambiques dont la voix porte (Tavernier ici, Scorsese outre-Atlantique) pour réhabiliter le film, et toute la filmographie de Michael Powell. Le Voyeur, traduction française plus banale que le titre original, est un film aussi intense, et aussi maîtrisé que le chef d’œuvre d’Hitchcock. Impossible d’ailleurs de ne pas comparer les deux films, ne serait-ce que pour leurs personnages principaux (et le choix d’Anna Massey pour interpréter Susan, l’actrice devant renouer avec l’univers des tueurs en série quelques années plus tard pour Frenzy… devant la caméra d’Hitchcock).

Le traumatisme de l’enfance, la figure parentale castratrice, les difficiles rapports amoureux, la figure menaçante de la police, et surtout le langage cinématographique comme sujet même du film… Le Voyeur aurait sans doute pu être réalisé par Hitchcock lui-même. Michael Powell, toutefois, invente ici une forme nouvelle, gommant la frontière entre le regard de l’homme et celui de la caméra, glissant d’une vue subjective à une image plus classique.

Son « héros », Mark, jeune homme charmant mais rongé par le souvenir d’un père qui avait fait de lui un cobaye vivant, semble ne vivre qu’à travers la caméra qu’il ne quitte pas, et par laquelle il cherche à retrouver le sentiment de peur ultime qui était l’obsession de son père, et qui est devenue la sienne. Jusqu’à faire de sa caméra, ce prolongement de son œil et de son corps, un outil de mort, au sens premier du terme.

Dans sa forme et dans le fond, le film inspirera profondément (autant que le cinéma d’Hitchcock) le Brian De Palma de Blow Out ou Body Double. Michael Powell, avec une image aux couleurs vives et crues, aux antipodes du noir et blanc de Psycho, signe à la fois un modèle de thriller, flippant et émouvant dans le même mouvement, et un grand film quasi conceptuel, où chaque image, chaque association de plans, chaque mouvement de caméra, fait sens, dit quelque chose de la psyché de son héros malade.

Le film dit aussi beaucoup de la force des images, de la capacité qu’a le cinéma de prendre le dessus sur la vie. Le Voyeur n’est pas pour autant un film théorique. Michael Powell y réussit une série de séquences de meurtres particulièrement flippantes, toutes sur un modèle similaire, mais toutes complètement différentes, captant parfaitement l’apparition de la peur dans le regard de ses victimes… et provoquant la nôtre par la même occasion. Grand film.

Profession : Reporter (Professione : Reporter) – de Michelangelo Antonioni – 1975

Posté : 21 novembre, 2021 @ 8:00 dans * Polars européens, 1970-1979, ANTONIONI Michelangelo | Pas de commentaires »

Profession Reporter

Le début est fascinant. Dans cette première partie quasiment muette, la caméra ne quitte pas la silhouette ou le regard de David Locke, dont on comprend qu’il est reporter, Américain perdu au cœur de l’Afrique noire. On le découvre faisant son entrée dans un petit village coupé de tout, tenter de trouver un guide vers on ne sait où, presque sans dire un mot : la barrière de la langue, la barrière de la culture.

Le poids de cette vie si loin de tout est perceptible, à chaque incident : un guide qui prend la fuite, une voiture qui s’ensable… David est à bout. Jack Nicholson, marmoréen et las, est formidable dans le rôle de cet homme fatigué de son existence. Lui qui a su par ailleurs surinterpréter les émotions est ici d’une placidité impénétrable, toute Antonionienne… Il retrouve son voisin d’hôtel mort, victime d’une crise cardiaque ? Il décide d’échanger son identité avec le mort, qui lui ressemble justement étrangement.

Cette lassitude suffit-elle à expliquer ce changement d’identité ? A chacun de se faire son avis : Antonioni n’est pas exactement du genre à mâcher le travail du spectateur. Encore que, ici, l’histoire soit remarquablement linéaire, et tangible. Encore que la narration emprunte parfois des chemins de traverse, comme cette fascinante scène, au moment de l’échange d’identité, où, dans le même plan, le Locke devenu Robertson croise le Locke d’un flash-back.

Superbe moment. Il y en aura d’autres, jusqu’à l’ultime scène, long et extraordinaire plan séquence à l’ampleur fascinante, mais où le dénouement se joue hors champs, derrière cette caméra qui se faufile entre les barreaux d’une fenêtre. Avant ça, Antonioni joue avec l’identité, la perception, l’envie d’ailleurs. Il flirte avec les codes du suspense, plonge notre « héros » malgré lui dans un trafic d’armes international, le pousse dans les bras d’une jeune globe-trotteuse sans attache incarnée par Maria Schneider…

Surtout, Antonioni fait de Nicholson un homme coupé de sa propre identité, coupé du monde, toujours étonné que ses compagnons d’un moment trouvent beau les paysages qui l’entourent, et qu’il regarde à peine. Les travellings soulignent sa solitude, son refus de renouer avec le monde. Le propos est à la fois simple et obscur, mais fascinant, troublant. Et Jack Nicholson trouve là l’un de ses très grands rôles.

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