Ceux qui servent en mer (In which we serve) – de Noel Coward et David Lean – 1942
Soit les producteurs tenaient à mettre en valeur le nom de Noel Coward, soit c’est ce dernier qui a un melon à la Delon des grandes années. Parce qu’à en croire le générique, il a absolument tout fait sur ce film, Coward. Il écrit bien sûr, mais il produit aussi, il compose la musique, il réalise, et il joue même le rôle principal.
Nous voilà donc prévenus : si le film reste dans l’histoire comme étant le premier d’un certain David Lean, il reste avant tout l’œuvre de Noel Coward. C’est effectivement largement le cas, tant il semble que le célèbre dramaturge ait voulu tout maîtriser. La mise en scène aussi ? Pas si simple, quand même : Coward ne s’y est d’ailleurs jamais réessayé, et le film fait preuve d’une maîtrise impressionnante.
De là à imaginer que Lean, déjà monteur très réputé, ait assuré l’essentiel du travail de réalisation, il n’y a qu’un pas que je me garderai bien de franchir. Mais le fait est là : des images magnifiques, des gros plans sur des visages émouvants parce que plein de rides, de sueurs et de crasses… Visuellement, Ceux qui servent en mer est une merveille qui respire la vie, la peur et la mort. Avec de formidables séquences de batailles où le bruit et la fureur passent essentiellement par ces gros plans, par des détails qui relèvent du pur langage cinématographique.
La construction du film est clairement, elle, l’oeuvre de Coward, avec cette construction en flash-backs particulièrement réussie, qui donne du corps à chacun des personnages. Des personnages très forts, auxquels l’atmosphère du film rend parfaitement hommage : ce flegme très anglais que l’on ressent constamment, cette pudeur qui retient l’émotion, la gardant sur le fil jusqu’aux dernières minutes. Là, en quelques secondes, la garde est baissée, l’émotion éclate, et c’est splendide.
Quel que soit son rôle exact, David Lean trouve déjà avec ce film l’un de ses thèmes de prédilection : l’importance du décor, souvent considéré comme un personnage à part entière, voire même le plus important. C’est particulièrement frappant avec ce premier film, avec ce bateau de guerre à qui les marins donnent un nom de femme, et que les épouses considèrent comme une rivale avec laquelle elles ne peuvent pas rivaliser.