White Material – de Claire Denis – 2008
Claire Denis est quand même l’une des rares réalisatrices (ou « teurs ») françaises du moment à savoir créer une atmosphère. C’est d’ailleurs tout l’intérêt de ses films, qui fuient la plupart du temps tous les effets spectaculaires trop ostentatoires. C’était déjà frappant dans son magnifique Vendredi Soir, où elle créait un climat troublant et délicieusement inquiétant. Ça l’est tout autant dans ce film oppressant et angoissant, qui réussit la double gageure de nous plonger à l’intérieur de l’âme humaine jusqu’à la frontière de la folie, et de nous placer, à hauteur d’homme, au cœur d’un pays d’Afrique (dont on ne connaîtra pas le nom) où des forces rebelles tentent de prendre le pouvoir, créant une insécurité permanente.
Jamais la cinéaste n’est tentée de prendre de la hauteur, et de proposer au spectateur une sorte de regard omniscient. Ce qui l’intéresse dans ce conflit, c’est l’effet qu’il a sur les gens. Sur les indigènes, surtout sur le personnage principal, la propriétaire d’une grande exploitation de café (Isabelle Huppert), installée dans ce pays depuis plusieurs générations, et qui refuse de voir la vérité en face. Malgré le départ de ses ouvriers, malgré les annonces de l’armée française qui quitte le pays, elle s’accroche obstinément à son univers, au-delà duquel elle n’existe pas. Qu’importe pour elle le comportement de plus en plus étonnant et violent de son fils (Nicolas Duvauchelle), qu’importe les tentatives raisonnées de son compagnon (Christophe Lambert, étonnant) qui tente de la convaincre de fuir…
Isabelle Huppert traverse cette période troublée avec une froideur et une insensibilité apparentes très dérangeantes, et que la réalisation vient mettre en valeur. La violence est omniprésente dans White Material, mais on n’en voit quasiment rien, si ce n’est des corps filmés froidement, et que le personnage côtoie sans ciller. Ce pourrait être l’histoire d’un pays qui rend fou, mais c’est tout simplement l’histoire d’une femme qui marche sur les cimes de la folie, prête à chaque instant à y plonger. A travers ce portrait de femme, Claire Denis signe un film pas réellement engagé, mais politiquement inconfortable : impossible de ne pas s’interroger sur les relations entre la France et l’Afrique.
Surtout, Claire Denis signe un film à la beauté lancinante et inconfortable. Une œuvre forte qui, au-delà du plaisir étrange instantané (il y a une vraie grâce qui se dégage de ce film), vous hante durablement.