Play it again, Sam

tout le cinéma que j’aime

Archive pour avril, 2016

L’Imposteur (The Impostor) – de Julien Duvivier – 1943

Posté : 30 avril, 2016 @ 8:00 dans * Films noirs (1935-1959), 1940-1949, DUVIVIER Julien, GABIN Jean | Pas de commentaires »

L'Imposteur

Dernier des films tournés par Duvivier lors de son exil hollywoodien durant l’Occupation (après deux films à sketchs, Six destins et Obsessions), L’Imposteur est l’occasion pour le cinéaste de retrouver son acteur fétiche Jean Gabin, lui aussi réfugié en Amérique, et un sujet qui n’est pas sans évoquer la noirceur de leurs films communs d’avant-guerre.

L’Imposteur est clairement un film de propagande, destiné à galvaniser l’opinion publique et à souligner, pas toujours très finement, que le conflit qui fait rage est l’affaire de tous. Mais le destin de ce condamné à mort qui s’évade lors d’un bombardement et prend l’identité d’un soldat, n’est pas si loin de celui du héros de La Bandera. C’est en tout cas une nouvelle fois un personnage hanté par le destin que campe un Gabin particulièrement intense.

Le style de Duvivier est là également, avec ses jeux d’ombres, ses gros plans dramatiques et la profondeur du noir et blanc. Avec une séquence d’ouverture qui semble sacrifier aux critères hollywoodiens : ces images très baroques et impressionnantes de l’explosion de la prison, où Gabin semble réduit au statut de jouet dans les mains d’un destin cynique et ironique.

La suite est assez convenue dans le fond : embarqué malgré lui pour l’Afrique avec d’autres soldats, coincé au milieu de nulle part avec pour mission de construire une piste d’atterrissage dans la brousse, il découvre peu à peu les vertus de l’armée, de la camaraderie et du sacrifice. Le sens du devoir aussi, même aussi loin de la ligne de front.

La moindre action, si anodine peut-elle sembler, peut participer efficacement à l’effort de guerre. Le message est limpide. Trop peut-être, et limite du coup l’impact de ce film par ailleurs assez passionnant. Mais il ne manque pas de belles idées. Comme ce Noël improvisé dans la fournaise africaine, ou le (petit) rôle joué par Ellen Drewe, en fiancé en deuil qui découvre la supercherie… Et qui ne cède à aucune facilité hollywoodienne.

Une curiosité qui vaut bien mieux que sa pauvre réputation.

Les Professionnels (The Professionals) – de Richard Brooks – 1966

Posté : 29 avril, 2016 @ 11:38 dans 1960-1969, BROOKS Richard, LANCASTER Burt, RYAN Robert, WESTERNS | Pas de commentaires »

Les Professionnels

Dans la riche filmographie de Richard Brooks, cinéaste génial et engagé, Les Professionnels peut sembler bien anecdotique : un « simple » western construit sur le modèle déjà éculé des Sept mercenaires, soit quatre fines gâchettes engagées par un riche propriétaire pour retrouver sa femme, enlevée par un révolutionnaire mexicain…

Tourné après l’échec de Lord Jim, le film répond en effet à une volonté de Brooks de reprendre la main. En partie en tout cas, parce que le cinéaste n’abandonne pas ses ambitions pour autant. De ce film d’action fun et explosif, il tire en effet une réflexion un rien désenchantée sur la frontière entre le bien et le mal, filmant des personnages qui n’ont rien d’univoques, ou le manichéisme n’a pas sa place.

Le film fut un triomphe à sa sortie en salles. Un demi-siècle plus tard, il paraît étrangement moderne. Bien plus en tout cas que la plupart des westerns tournés durant cette période de déclin du genre et qui tentaient à tout prix d’être dans l’air du temps. Brooks, lui, réussit ce prodige de raconter son histoire le plus simplement du monde, avec une suprême élégance et une immense efficacité, tout en proposant une étude complexe et passionnante du genre humain, tiraillé entre convictions et intérêts personnels. Un vrai film politique…

Et puis il y a ce casting, fabuleux. L’un des plus excitants de toute la décennie sans aucun doute. Lee Marvin en tête d’affiche, sobre encore (dans son jeu en tout cas, paraît que sur le tournage, ce n’était pas souvent le cas…) et d’une intensité incroyable. Burt Lancaster surtout, acteur décidément formidable qui révèle ici une humilité rare, acceptant de passer au second plan pour le bien du film. Woody Strode encore, acteur fordien comme souvent peu bavard, mais dont la silhouette taillée à la serpe impressionne toujours. Robert Ryan enfin, acteur que je soupçonne incapable d’être mauvais, voire juste passable, excellent malgré un rôle très en retrait.

Et l’apparition tardive mais miraculeuse de Claudia Cardinale (des retrouvailles pour elle et Lancaster, après Le Guépard), d’une beauté à couper le souffle. Le couple qu’elle forme avec Jack Palance, méchant très relatif, constitue l’une des raisons de voir et revoir ce western majeur, l’un des meilleurs de la décennie.

* Blue ray dans la belle collection Very Classics de Sony, avec un livret passionnant et joliment illustré, et quelques bonus intéressants.

Marqué au fer rouge (Ride beyond vengeance) – de Bernard MacEveety – 1966

Posté : 28 avril, 2016 @ 1:05 dans 1960-1969, MacEVEETY Bernard, WESTERNS | Pas de commentaires »

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Le film s’ouvre par une image classique, presque stéréotypée du western : un gros plan sur un panneau de bois balayé par le vent, indiquant le nom d’une ville et le nombre de ses habitants. Mais la caméra s’élève légèrement et dévoile la rue, certes poussiéreuse, mais occupée par des voitures tout ce qu’il y a de modernes…

Étrange ouverture, que ce prologue dont le personnage principal est un agent recenseur (James MacArthur, l’un des comparses de Steve Everett dans la série Hawaii, Police d’Etat) à qui un barman raconte la violente histoire d’un homme dont le destin, plus de soixante ans plus tôt, a marqué la ville.

Cette construction en flash-back est d’autant plus curieuse qu’aucun témoin direct des événements qui font le cœur du film n’est présent dans ce prologue. Qui plus est, un autre flash back dans le flash back principal viendra complexifier encore cette construction. Étonnant, donc, mais pas si vain que ça : il y a dans cette manière de passer d’une époque à l’autre quelque chose qui renvoie au temps qui passe, et au poids de nos décisions.

C’est bien le thème de ce film porté par un Chuck Connors qui, à défaut d’être un grand acteur, est une incarnation assez fascinante du temps qui passe, gueule de brute sur un regard d’enfant qui cherche juste à rentrer « chez lui ». Un homme qui, après onze ans d’absence, revient rattraper le temps perdu avec sa femme qui le croit mort et qui ne le reconnaît pas lorsqu’elle se trouve face à lui, sorte de fantôme brisé par les événements que n’aurait pas renié Clint Eastwood.

Sorti en pleine gloire du spaghetti (c’est l’année de Le Bon, la brute et le truand), Marqué au fer rouge a bien quelque chose du western italien : la gueule barbue de Connors, le côté taiseux du personnage, et cette approche brutale et frontale de la violence (le marquage au fer rouge, la folie de Bill Bixby…).

Mais l’obscur Bernard Mac Eveety ne tombe pas non plus dans le copié-collé : la (chouette) chanson-thème est pour le coup totalement dans la tradition américaine, et les personnages sont nettement plus complexes que dans le western européen. L’impeccable Michael Rennie est ainsi un méchant très relatif qui prive Chuck Connors de sa soif de vengeance en adoptant un profil bas, ce qui nous offre au passage la scène la plus remarquable du film.

Même une brute aussi indéfendable que Claude Akins (décidément formidable dans la veulerie) évite la caricature, en flirtant très étroitement avec la folie lors de discussions étonnantes avec un partenaire imaginaire. Quant à Kathryn Hays, l’épouse perdue, tiraillée entre deux hommes, elle est parfaitement juste. La grande Gloria Grahame, elle, n’a hélas droit qu’à deux scènes pour tenter de faire vivre un personnage complexe et fascinant, mais quelque peu sacrifié.

Bernard MacEveety n’est pas un cinéaste au style fulgurant, et n’évite pas les tics visuels classiques de ces années-là, inspirés par la télévision. Mais il nous offre tout quelques plans percutants comme celui de Chuck Connors avançant droit vers sa vengeance, face caméra. Une présence animale assez impressionnante qui fait beaucoup pour la rudesse que dégage le film.

* DVD dans la collection « Westerns de Légende » de Sidonis/Calysta, avec une présentation pas vraiment enthousiaste de Patrick Brion, et le petit documentaire consacré au genre que les DVD de cette collection par ailleurs indispensable proposent régulièrement.

Chien enragé (Nora inu) – d’Akira Kurosawa – 1949

Posté : 25 avril, 2016 @ 8:00 dans * Polars asiatiques, 1940-1949, KUROSAWA Akira | Pas de commentaires »

Chien enragé

Entre Chien enragé et L’Ange ivre, il y a une parenté évidente pour le jeune Kurosawa, qui reprend à la fois le même formidable duo d’acteurs (Toshiro Mifune et Takashi Shimura) et une thématique similaire, dans un Tokyo écrasé par la chaleur et marqué par le traumatisme de la guerre, et par la difficulté de se relever et de tirer un trait sur le passé.

Et comme pour L’Ange ivre, l’influence du théâtre se ressent. Moins pour le décor cette fois que pour la construction en trois actes très marqués, qui suivent un même mouvement mais avec des tons très différents…

La première est une plongée dans les bas-fonds de la ville par un jeune flic obsédé par l’idée de retrouver son arme, qu’on lui a volée durant un moment d’inattention. Mifune est un jeune homme qui semble d’un autre temps (« Il n’y a plus beaucoup de jeunes comme lui », lance d’ailleurs un personnage), obsédé par son honneur et par des codes qui contrastent avec l’américanisation de ce Japon d’après-guerre.

Dans le film, il est même le seul vestige d’un Japon qui a disparu sans qu’on s’en rende vraiment compte : les héritières des geishas sont devenues de simples entraîneuses, et la bière a remplacé le saké… L’influence de la culture américaine est omniprésente, balayant la tradition.

La deuxième partie est une sorte de buddy movie : le jeune flic tempétueux et torturé qui semble trouver refuge auprès de son aîné (Takashi Shimura). Le contraste entre le Japon traditionnel et l’occidentalisation prend alors une dimension supérieure encore, avec cette longue séquence, inattendue, dans un stade durant une partie de base-ball. L’arme est devenue le symbole de la culpabilisation du jeune flic.

La troisième partie est plus complexe. La culpabilité laisse la place à une troublante prise de conscience : le jeune flic réalise que celui qui a utilisé son arme pour commettre ses méfaits est une sorte de double inversé de lui-même. Même parcours humain, même allure (« un homme de 28 ans avec un costume blanc », d’après la description d’un témoin : exactement la sienne), mais un simple choix radicalement différent, qui fait toute la différence…

Ces trois parties également passionnantes rythment l’apprentissage de Mifune, marquée par l’atmosphère anxiogène et moite créée par Kurosawa, avec cette chaleur pesante et omniprésente. Au-delà du (formidable) polar, Chien enragé est une belle réflexion sur ce Japon d’après-guerre qui peine à se trouver, à travers la prise de conscience douloureuse de ce personnage fascinant.

* Superbe édition DVD chez Wild Side, avec quelques bonus filmés, et surtout un passionnant livret de 50 pages écrit par Charles Tesson, et magnifiquement illustré.

M le maudit (M) – de Joseph Losey – 1951

Posté : 24 avril, 2016 @ 8:00 dans * Films noirs (1935-1959), 1950-1959, LOSEY Joseph | Pas de commentaires »

M le maudit (Losey)

A quoi bon refaire M, le chef d’oeuvre de Lang ? A quoi bon, surtout, le refaire en respectant scrupuleusement sa construction, ses idées narratives et visuelles ? Le film de Losey n’est pas un remake plan par plan de celui de Lang, contrairement à ce qui a parfois été dit. Mais il n’en est quand même pas loin par moments : cette séquence d’ouverture pour commencer, copier-coller exact du film de 1933 transposé dans l’Amérique des années 50.

Difficile, donc, de se débarrasser de cette impression gênante d’une certaine vacuité dans cette entreprise (que l’on doit à un producteur ayant travaillé sur le film de Lang). Et pour le coup, on aimerait vraiment ne pas avoir à comparer ce remake avec son modèle. Car le film de Losey est, lui aussi, une splendeur.

Passons donc sur les idées narratives, qui viennent à peu près toutes du film de 1933. Mais la simple idée de transposer fidèlement cette histoire de tueur d’enfants de l’Allemagne de la République de Weimer au Los Angeles de l’après-guerre est en soit une idée assez fascinante. D’autant plus que la grande force du film repose sur la manière qu’a Losey de filmer la ville, et d’y placer ses personnages comme de simples éléments d’un grand tout.

Au rayon des bons points, il faut aussi souligner la richesse de certains personnages, qui passaient au second plan, voire étaient totalement inexistants dans le film originel. Le personnage du flic en particulier, obsessionnel et usé, formidablement interprété par Howard Da Silva. Ou celui de l’avocat alcoolique (Luther Adley) du chef de la mafia (Martin Gabel), qui ne retrouve son humanité qu’en défendant le tueur joué ici par David Wayne, le montrant comme un malade victime de la société.

C’est une différence majeure avec le film de Lang, qui n’essayait jamais de dédouaner le tueur interprété par Peter Lorre, malgré une troublante complexité. Ici, in extremis, le film se transforme en un plaidoyer à charge contre la société qui crée ses propres monstres. Pourquoi pas, mais la société que filme Losey semble nettement moins malade que celle de Lang…

Finalement, le film est une grande réussite sur le plan formel. Losey parvient à réinventer visuellement un film qui a déjà été génialement réussi vingt ans plus tôt. Et transpose les horreurs d’hier dans une Amérique contemporaine et ouvertement quotidienne (les séquences diurnes ont un aspect « réel » assez en avance sur son temps). On peut se poser la question du bien-fondé de l’entreprise. Ou prendre plaisir à cet excellent film noir remarquablement tendu.

* Blue ray d’excellente facture chez Sidonis/Calysta, avec d’intéressantes interventions de Bertrand Tavernier, François Guérif et Michel Ciment, et une interview d’Harold Nebenzal, producteur ayant débuté avec le film de Losey, mais dont le père avait produit le M de Fritz Lang alors que lui-même avait une dizaine d’années. L’entretien est assez anecdotique, mais il y a quelque chose de fascinant à écouter cet homme de 93 ans évoquer ses souvenirs de tournage en 1951, ses rapports difficiles avec Lang, et (un peu) ses souvenirs d’enfant à l’ombre des plateaux allemands…

Gilda (id.) – de Charles Vidor – 1946

Posté : 22 avril, 2016 @ 2:37 dans * Films noirs (1935-1959), 1940-1949, VIDOR Charles | Pas de commentaires »

Gilda

De Gilda, la postérité a gardé le langoureux « striptease » de Rita Hayworth, qui chante Put the blame on mame en robe fuseau qui épouse ses formes généreuses. C’est là qu’elle retire ses longs gants de la manière la plus sensuelle qui soit, faisant croire au spectateur conquis qu’il s’agit là de son tout dernier vêtement. Mais cette image, certes troublante, n’est pas la seule…

Quelques minutes plus tôt, c’est dans le calme d’un bar fermé, sans fard et en s’accompagnant d’une guitare qu’elle entonnait la même chanson. Là, dans une quasi-intimité, Gilda-Rita laissait entrevoir son humanité en tombant (un peu) le masque. Elle est alors tout aussi sexy, et carrément bouleversante…

Si Gilda est aussi passionnant, ce n’est pas tant pour l’histoire finalement assez classique (un homme prêt à tout pour réussir retrouve la femme qu’il a tout fait pour oublier, mariée à celui à qui il doit tout), que pour cette manière si troublante de jouer avec les stéréotypes du genre.

Rita Hayworth est une vraie femme fatale. Et Glenn Ford est pur anti-héros marqué par le destin. Les deux scènes dans lesquelles leurs personnages sont introduits enfoncent d’emblée le clou. Lui d’abord, filmé à ras du sol, jouant aux dés avec un regard fiévreux. Elle ensuite, apparaissant soudain à l’écran en faisant voler ses cheveux dans une tenue que l’on devine légère :

« Are you decent, Gilda ?
- Me ? »

Sauf que… Entre ces deux-là, la logique de l’amour-haine est poussée à son paroxysme. Leur attirance, les jeux pervers auxquels ils se livrent, sont d’une cruauté assez terrible. Chacun à son tour passe du dramatique à l’odieux, jamais raccord. Une vraie tragédie en marche.

On peut regretter la fin, que l’on devine quelque peu improvisée et imposée par les producteurs. On peut aussi se dire que le film est allé suffisamment loin dans la cruauté pour nous accorder un peu de réconfort. Quoi qu’il en soit, Charles Vidor atteint ici un état de grâce que, à ma connaissance, il n’a jamais retrouvé dans sa carrière. Tragique, érotique et glaçant, Gilda est un film formidable, largement à la hauteur de sa réputation.

* Le film fait partie de la collection de blue ray « Very Classics » éditée par Sony, dans de magnifiques éditions : un joli visuel, de passionnants bonus, et un livret de 25 pages.

Broadchurch (id.) – saison 1 – créée par Chris Chibnall – 2013

Posté : 12 avril, 2016 @ 8:00 dans * Polars européens, 2010-2019, CHIBNALL Chris, LYN Euros, STRONG James, TÉLÉVISION | Pas de commentaires »

Broadchurch, saison 1

Broadchurch, sa plage, ses falaises, son joli port de pêche, son imposante église qui domine les habitations. Une petite ville anglaise au charme si typique, entre ses vieilles pierres pleines de charmes et ses quartiers résidentiels sans surprises. L’une de ces petites villes où il fait bon vivre, où tout le monde se connaît, s’appelle par son prénom et demande des nouvelles de la famille…

Mais ce matin-là, un corps est retrouvé sur la plage : celui d’un gamin de 11 ans, Danny Latimer, fils d’une famille aimée et respectée. Ce matin-là aussi, la policière Ellie Miller pensait prendre la tête de son équipe d’enquêteurs, et découvre qu’on lui a préférée un flic de la ville, rêche et peu aimable, entouré d’une réputation sulfureuse suite à la déroute d’une enquête autour de la mort d’une fillette…

En huit épisodes, serrés et bouleversants, Broadchurch réussit à être tout à la fois une passionnante enquête policière, et le portrait corrosif d’une communauté dont le vernis ne va cesser de craquer. Tout le monde se connaît, sauf que l’assassin est forcément des leurs. Personne ne peut être soupçonné d’un tel crime… du coup tout le monde l’est. Et cette plongée dans le soupçon et les tourments de l’âme humaine révèle ce que les hommes et les femmes ont de pire… mais aussi de plus beau.

Episode après épisode, le créateur et brillant scénariste Chris Chibnall prend un malin plaisir à déplacer les soupçons d’un personnage à un autre. Un pervers jeu du chat et de la souris qui sert aussi, et surtout, à dévoiler des secrets profondément enfouis. Les voisins dont on croyait tout savoir sont loin d’être aussi transparents. « Comment pouviez-vous ne pas savoir ? » interroge l’inspectrice Ellie Miller à une femme à propos de son lourd passé. Tout le fond de Broachurch repose sur cette question, ou plutôt sur son inverse : comment aurions-nous pu savoir ?

L’émotion est omniprésente, et on pleure, on pleure même beaucoup, à peu près de la première minute du premier épisode, à la dernière image de l’ultime épisode. Mais jamais Chibnall ne surenchérit dans l’émotion facile : les ressors scénaristique et une mise en scène toujours élégante se suffisent à eux-mêmes. Et jamais les comédiens ne surjouent cette émotion.

Et quels comédiens : jusqu’au plus petit second rôle, tous sont formidables, d’une justesse parfaite. Dans les rôles complexes et plein d’ambiguïtés des parents du petit Danny, Jodie WHittaker et Andrew Buchan sont sublimes. Quant à l’improbable duo d’enquêteur, il renouvelle joliment l’habituel tandem de flics mal assortis : Olivia Colman en mère de famille trop normale qui perd peu à peu sa naïveté ; et David Tennant (ex-Docteur Who), assez génial en flic associal et revenu de tout dont les fêlures se font de plus en plus béantes.

Monsieur Smith au Sénat (Mister Smith goes to Washington) – de Frank Capra – 1939

Posté : 11 avril, 2016 @ 8:00 dans 1930-1939, CAPRA Frank, STEWART James | Pas de commentaires »

Monsieur Smith au Sénat

Un jeune homme innocent et honnête affronte la corruption et le cynisme de politiciens aguerris dont il finira par éveiller les consciences… Ce pourrait être totalement naïf, et à vrai dire ça l’est bien un peu. Mais c’est surtout absolument magnifique, un pur bonheur que ce chef d’œuvre dans lequel Frank Capra résume parfaitement sa vision du monde et du cinéma.

Monsieur Smith (autrement dit, « monsieur tout le monde ») est un boy-scout. Vraiment. C’est aussi un homme qui croit profondément aux valeurs revendiquées par l’Amérique : cette liberté léguée par les pères fondateurs auxquels il rend un vibrant hommage dans ce film. « Il », c’est Smith, mais c’est Capra lui-même bien sûr, l’idéaliste pas si dupe que ça, l’humaniste qui sait au fond que le pouvoir des mots, si puissant soit-il, a ses limites.

Cette « feel good » comédie n’est pas si innocente qu’elle y paraît. Mine de rien, Capra y met en scène les limites du système politique, les compromissions, le cynisme, et les règles obscures qui sont les garantes de la démocratie. L’enjeu dramatique du film repose ainsi sur la capacité qu’a le jeune Sénateur Smith de rester debout et de garder la parole le plus longtemps possible…

Toute la dernière partie du film repose sur cet improbable suspense, a priori anti-spectaculaire au possible : un discours interminable… que Capra transforme en immense moment de cinéma. Il y a ces petits bonheurs : la voix tremblante de James Stewart, les regards crispés de Jean Arthur, la rondeur attachante de Thomas Mitchell, les sourires bienveillants de Harry Carey… Il y a surtout cet incroyable sens du rythme du cinéaste, qui donne l’impression d’un mouvement perpétuel alors même que les personnages ne quittent pas le Congrès.

Il n’y a sans doute que Capra pour réussir un tel film, pour rendre bouleversant l’affrontement à distance des grands médias téléguidés par le puissant Edward Arnold, et du petit journal amateur fabriqué avec les moyens du bord par une bande de gamins. Ou émouvante la découverte de Washington et de la statue de Lincoln par un Jeff Smith à peine sorti du giron maternel… Ou pour filmer la gêne de James Stewart face à une jolie fille en ne montrant que ses mains triturant maladroitement son chapeau.

Et si l’émotion est à ce point présente, c’est parce que Capra aime sincèrement ses personnages, qu’il filme avec une jolie bienveillance. Y compris le Sénateur joué par Claude Rains, héros déchu de l’innocent Jeff Smith, qui symbolise la traîtrise par rapport à l’héritage des pères fondateurs. Il y a ainsi une sorte de nostalgie de l’innocence qui baigne ce film pas si candide que ça. Une manière d’idéaliser la vie en gardant toute sa conscience. Du pur Capra, quoi…

* Ce chef d’œuvre fait partie de la collection de blue ray « Very Classics » éditée par Sony, dans de magnifiques éditions : un joli visuel, de passionnants bonus (notamment un commentaire audio et une évocation du film par le fils de Capra), et un livret de 25 pages.

Intrigues en Orient (Background to Danger) – de Raoul Walsh – 1943

Posté : 10 avril, 2016 @ 8:00 dans * Films noirs (1935-1959), 1940-1949, WALSH Raoul | Pas de commentaires »

Intrigues en Orient

Un Américain en terre étrangère, pas si loin des ravages de la guerre, de la romance dans l’air, des agents au service des Nazis et des résistants, Sydney Greenstreet et Peter Lorre… Difficile de faire plus explicite, côté références : ce Background to Danger réalisé juste après la sortie de Casablanca est clairement pour la Warner un moyen de surfer sur le triomphe du film de Michael Curtiz.

Pour George Raft, qui avait refusé le rôle principal de Casablanca, c’est aussi une sorte de seconde chance. Et pour le spectateur, c’est surtout l’occasion de saluer son légendaire flair (il avait aussi dit non à High Sierra et Le Faucon maltais) : il y a un gouffre entre Bogart et Raft, et ce dernier plombe de sa présence sans relief ce film d’aventure par ailleurs plein de rythme et de rebondissement. Et le simple fait d’imaginer Bogart regardant Ingrid Bergman s’envoler relève du supplice…

Plus que l’intrigue tarabiscotée (il était temps que ce mot soit utilisé sur ce blog), c’est bien la présence de Raft qui fait de ce Walh mineur un Walsh… si mineur. Presque désagréable par moments, lorsque l’acteur se retrouve au cœur de l’écran.

Mais Walsh reste Walsh. Et même en mode mineur, son film regorge d’images mémorables, comme cette course-poursuite nocturne, ou ce brillant chassé-croisé autour d’un cadavre inattendu.

Et il y a les acteurs (les autres) : Brenda Marshall qui arrive à faire exister un personnage constamment dans l’ombre, ou Sydney Greenstreet toujours formidable, même si la suavité de son accent anglais ne fait pas de lui le candidat le plus naturel au rôle de Nazi en titre. Pas plus que Peter Lorre en agent russe, d’ailleurs. Mais c’est aussi tout le mérite de ce film, qui s’amuse à brouiller les pistes en se fichant royalement de la vraisemblance.

La Ville abandonnée / Nevada (Yellow Sky) – de William A. Wellman – 1948

Posté : 9 avril, 2016 @ 8:00 dans 1940-1949, WELLMAN William A., WESTERNS | Pas de commentaires »

La Ville abandonnée

Clint Eastwood a souvent reconnu ce qu’il devait à Wellman, cinéaste qui a influencé peut-être plus qu’aucun autre sa manière de faire des films. En voyant La Ville abandonnée (rebaptisé Nevada lors d’une ressortie en France), on comprend bien sur quoi repose cette filiation : sur une manière de « dégraisser » au maximum son film, sur l’importance des moments en creux où rien ne semble se passer mais où se situe pourtant l’essentiel, et aussi sur les ellipses et le hors-champs, d’une audace folle.

C’est fou ce qu’il peut se passer dans ce simple dialogue au clair de lune entre Gregory Peck et son « frère ennemi » Richard Widmark, dialogue dont la bienveillance apparente rend paradoxalement si frappant le drame qui se noue et son issue incontournable. Fou aussi à quel point la tension est forte lors de ses longs travellings qui précèdent le duel final, duel dont on ne verra que les éclats de lumière des coups de feu, la caméra restant à l’écart, loin du lieu du dénouement.

Ce western épuré n’est pas le plus grand chef d’œuvre de Wellman. Dans le genre, L’Etrange incident ou Convoi de femmes sont plus aboutis, plus importants, avec un rythme qui ne retombe jamais. Ici, il y a certes quelques baisses de tension, et Gregory Peck est sans doute trop beau, trop propre malgré sa barbe de huit jours et son allure crasseuse pour être totalement à sa place en bandit puant et bas du front.

Il est excellent cela dit, ne cherchant jamais à s’élever par rapport à ses complices : chef contesté d’une bande de braqueurs minables qui ne s’attaquent qu’à des banques sans la moindre protection. « On a l’impression de voler une tirelire », commente l’un d’entre eux après le braquage qui ouvre le film, formidable séquence magnifiquement filmée, aussi remarquable par sa mise en scène (et Peck, désabusé, qui ne prend pas même la peine de sortir son arme) que par le cadrage et la lumière, superbe.

Il n’y peut rien, Peck : malgré tous ses efforts, il a la gueule d’un héros. Et même si Wellman ne le met jamais en avant durant toute la première moitié du film, on sent bien qu’il finira par révéler son sens de la justice. La présence d’Anne Baxter, beauté pas classique et vraie grande actrice, n’y est pas pour rien, apparition miraculeuse dans cette ville fantôme où les braqueurs se sont réfugiés après avoir traversé le terrible désert de la mort.

Dans la première partie, Yellow Sky est un film de mouvement. De mouvement lent, certes, mais de mouvement tout de même. Mais à partir du moment où cette bande de bras cassés se retrouve, physiquement, le nez dans la poussière, tout n’est plus qu’attente et observation. Wellman filme ses personnages assis, allongés, affalés. Rarement debout, sauf en cas de menace ou de tension…

Dès que les personnages se lèvent, tout peut arriver. Cela donne un plan simple et sublime, après un baiser volé par Peck : un léger travelling suivant Anne Baxter qui s’éloigne, et qui s’arrête, se retourne et braque son arme. Rien de tape-à-l’œil dans ce plan d’une sobriété absolue, mais d’une force incroyable. La même puissance se retrouve d’ailleurs dans le plan où la jeune femme s’abandonne brièvement à la passion, dans un clair-obscur d’une profondeur magnifique.

Des moments comme ceux-là, il y en a beaucoup dans ce beau western qui, derrière la rudesse du cinéma wellmanien, dévoile aussi une touchante nostalgie. La plus belle scène ? Peut-être celle, étonnante, où Gregory Peck évoque maladroitement des anecdotes de sa jeunesse et le souvenir de ses parents pour faire comprendre que, au fond, il a un bon fond…

* Blue ray dans la collection Westerns de Légende de Sidonis/Calysta, avec une présentation par Bertrand Tavernier, et un passionnant documentaire d’une heure consacré à William « Wild Bill » Wellman.

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