Je dois tuer (Suddenly) – de Lewis Allen – 1954
Excellent petit noir qui prend la forme d’un huis-clos : un petit groupe disparate est enfermé dans une maison par trois gangsters décidés à tuer le président des Etats-Unis, attendu dans la gare voisine quelques heures plus tard. Un retraité, une jeune veuve, un enfant, un shérif, un réparateur télé… et face à eux, un Frank Sinatra intense et flippant en tueur illuminé dont le regard brille lorsqu’il évoque (à répétition) les 27 hommes qu’il a tué pendant la guerre, et qui lui ont valu la Silver Star.
La réussite de Suddenly repose notamment sur la confrontation du tueur interprété par Sinatra et du shérif joué par Sterling Hayden, deux hommes que tout différencie. Au flot de parole ininterrompu du premier, Hayden, impérial, oppose une morgue silencieuse. Deux intensités différentes, mais également fortes pour ce huis-clos dont la tension ne baisse jamais. Et même si le film dure à peine 80 minutes, et qu’il en faut dix pour que l’action se mette en place, cela reste remarquable.
D’autant plus qu’au pur plaisir du film de genre, Suddenly ajoute quelques idées assez passionnantes, et ouvertes à la discussion. Les personnages s’opposent ainsi tous autour de la question du devoir patriotique. Doit-on se sacrifier pour son pays, voire pour son président ? La question est posée mine de rien, sans volonté d’asséner quoi que ce soit. Même chose pour le rôle des armes, dont le shérif Hayden se fait un ardent défenseur, apparaissant d’ailleurs comme un homme un rien borné et guère sympathique dans les premières scènes.
Lewis Allen ne verse toutefois jamais dans le film à thèse. Suddenly est avant tout un suspense ramassé, dégraissé, presque épuré. Le film est vif et va à l’essentiel, avec une belle efficacité. Tourné neuf ans avant Dallas, il résonne aujourd’hui assez cruellement, lorsque Sinatra (l’acteur est un proche de Kennedy dans la vie) évoque son projet d’assassiner le président et de disparaître dans la nature, ce qui n’a jamais été fait. Lewis Allen n’y est pour rien pour le coup, mais l’Histoire à venir donne alors un sacré poids au film…