Le Plaisir – de Max Ophüls – 1952
Après La Ronde, Ophüls signe une autre variation autour du film à sketchs, et nous plonge cette fois dans l’univers de Maupassant, avec la même réussite exceptionnelle. Le Plaisir, ensemble de trois histoires aux atmosphères et aux durées très différentes (une bonne heure pour le segment central, une quinzaine de minutes pour les deux autres), est une merveille esthétique, et porte en lui toute la beauté, la nuance et la fragilité de l’être humain. Rien que ça.
Formellement, cette adaptation de Maupassant porte indéniablement la marque d’Ophüls. Une marque flagrante avant même la première image, avec cette voix off omniprésente (celle de Jean Servais prêtant son timbre à l’écrivain lui-même) qui commente et assure les transitions en s’adressant directement au spectateur, avant de prendre corps dans le dernier segment.
Surtout, la virtuosité du cinéaste est éclatante, aussi frappante dans un extraordinaire plan-séquence endiablé au cœur d’un bal parisien, que dans les allées d’une église rurale célébrant une première communion… Ophüls, à grand renfort de mouvements d’appareils fluides et virevoltants, capte l’atmosphère et l’énergie des lieux.
Mais avant tout, il en capte les sentiments, les émotions : cette émotion qui prend les pensionnaires d’une « maison » confrontées soudainement à la pureté d’une jeune fille de la campagne et de chants religieux. Ou celle à fleur de peau d’une vieille épouse délaissée prenant soin de son mari, ancien séducteur qui se perd chaque soir dans des parodies de jeunesse retrouvée.
Il y a dans Le Plaisir quelques-unes des plus belles images du cinéma d’Ophüls. D’abord, l’irruption de ce danseur au visage figé, dansant comme un pantin mystérieux dans ce bal plein de vie, dans le premier segment Le Masque. Puis ces fameuses pensionnaires d’une maison de plaisir qui s’arrêtent pour cueillir des fleurs dans un champs aux herbes hautes, sous le regard d’un Jean Gabin au cœur gros dans la deuxième histoire, La Maison Tellier.
La troisième, Le Modèle, est sans doute plus anecdotique, au moins visuellement. Plus cruelle que vraiment émouvante en tout cas. Mais elle complète plutôt bien la vision finalement assez cynique qu’offrent Maupassant et Ophüls de ce « plaisir » qui donne son titre au film : un plaisir basé sur des faux-semblants, des regrets ou des erreurs… Un homme qui court après sa jeunesse perdue. Un autre qui tente de retenir une parenthèse enchantée. Un dernier qui se ment sur ses propres sentiments…
Le film est bouillonnant de vie. Il n’en est pas moins grave et profond. Et la distribution, comme dans La Ronde, est impressionnante. On retrouve d’ailleurs une partie des mêmes : Simone Simon, Daniel Gélin, et surtout Danielle Darrieux (qu’Ophüls retrouvera une dernière fois pour un autre chef d’œuvre, Madame de…). Et puis Madeleine Renaud, Ginette Leclerc, Louis Seigner ou Pierre Brasseur. Et puis Gabin, en bon rustaud campagnard gentiment lourdaud, et très émouvant. Cette même année, Darrieux et lui se retrouvent pour un autre film important : La Vérité sur Bébé Donge.