Play it again, Sam

tout le cinéma que j’aime

Archive pour décembre, 2021

Ad Astra (id.) – de James Gray – 2019

Posté : 31 décembre, 2021 @ 8:00 dans 2010-2019, FANTASTIQUE/SF, GRAY James | Pas de commentaires »

Ad Astra

Le réalisme immersif d’Alfonso Cuaron dans Gravity ? Pas pour lui. La métaphysique pompeuse de Christopher Nolan avec Interstellar ? Pas son truc… Le cinéma de James Gray est avant tout une plongée dans les affres de l’âme humaine. Un cinéma à hauteur d’hommes, souvent sous les attraits du film de genre. Ad Astra, première expérience science-fictionnesque de Gray, ne fait pas exception. Et on a bien le droit d’estimer qu’Ad Astra, sans doute moins spectaculaire, est aussi supérieur aux deux grands succès de Cuaron et Nolan.

Ad Astra raconte la quête de Brad Pitt, astronaute vivant dans l’ombre d’un père devenu une légende après avoir disparu près de trente ans plus tôt dans une mission aux confins du système solaire. La quête du père et de sa propre identité : le voilà envoyé sur la piste de ce père disparu, qui pourrait bien ne pas être mort, et qui pourrait bien ne pas être le héros que tout le monde croit. Et le voilà parti pour un long voyage solitaire dans des contrées inconnues et dangereuses… James Gray signe un grand film de science-fiction, sur une trame qui pourrait être celle d’un western.

On pense au John Wayne de La Prisonnière du désert bien sûr, dont Brad Pitt est un bel héritier. Comme un clin d’œil au genre, James Gray s’autorise d’ailleurs une scène digne d’une attaque d’indiens : une course poursuite entre le convoi de notre héros et des véhicules étrangers sur la surface déserte de la lune, séquence sans aucun rapport avec l’intrigue principale, et assez bluffante.

Le cinéma de Gray est avant tout humain, ce qui ne l’empêche pas de soigner le spectacle, avec quelques morceaux de bravoure parfaitement tendus, dans lesquels il s’approprie parfaitement les codes du « film d’espace ». Sans pour autant marcher sur les pas de Cuaron. La séquence d’ouverture sonne d’ailleurs comme un manifeste. La situation ressemble à celle de Gravity, à ceci près que le film de Gray est ancré sur terre : un astronaute en mission à l’extérieur d’un module, une catastrophe, et… la chute, avec une vraie gravité, le module étant au sommet d’une tour plantée sur le sol.

Cette chute annonce le destin de Brad Pitt, magnifique de sobriété et d’émotion dans le rôle de cet homme brisé par le poids de ce père disparu (joué par Tommy Lee Jones). Un homme rongé par la solitude, étranger à lui-même, lancé dans une quête de lui-même. Tout ça mêlé à une mission à haut risque pour sauver l’humanité. C’est ambitieux, intime, spectaculaire et humain. James Gray, décidément très grand cinéaste, emballe tout ça avec une maîtrise totale et une grande simplicité.

Au final, moins tape-à-l’œil que Gravity ou Interstellar, Ad Astra se révèle à peu près aussi impressionnant, sans doute plus profond, et assurément plus émouvant. Grand film, grand cinéaste.

Le Cavalier de la mort (Man in the Saddle) – d’Andre De Toth – 1951

Posté : 30 décembre, 2021 @ 8:00 dans 1950-1959, DE TOTH Andre, WESTERNS | Pas de commentaires »

Le Cavalier de la mort

Avant de tourner son fameux cycle westernien avec Budd Boetticher, Randolph Scott a eu une collaboration aussi dense et fructueuse avec Andre De Toth, l’autre grand borgne d’Hollywood. Ce Cavalier de la mort donne furieusement envie de voir tous leurs films communs. Il y a dans ce western une tension dans les séquences d’action, une inventivité dans les cadres, une manière aussi d’utiliser des décors familiers… Bref, un vrai ton, un enthousiasme radical dans l’appropriation de thèmes pourtant archi rabâchés dans le genre.

Randolph Scott, donc, impérial jusque dans la douleur, que l’on découvre noyant dans l’alcool ses peines de cœur : celle qu’il aime s’apprête à épouser le puissant propriétaire d’un grand ranch (Alexander Knox). Propriétaire qui s’est mis en tête d’absorber toutes les fermes alentours, en utilisant tous les moyens à sa disposition. Le thème est à peu près aussi vieille que le western, mais le film de De Toth le radicalise d’une manière surprenante, en faisant des jeunes mariés une sorte de nouveaux Macbeth, couple d’une froideur et d’une détermination glaçantes.

Il y a ainsi une certaine épure dans le traitement des personnages, quasiment réduits à des stéréotypes. Mais des stéréotypes pleins de vie, pleins de passions. Ce western, c’est un peu un chant d’amour pour le western en général. De Toth s’empare de thèmes et de situations classiques, pour les transcender par son seul amour immodéré pour le cinéma. Le film frappe ainsi constamment par la dramatisation des scènes, l’utilisation des décors naturels ou de studio, l’ajout d’une tempête au moment le plus dramatique, ou les contrastes entre la lumière et l’obscurité.

L’une des fusillades les plus spectaculaires se déroule d’ailleurs dans une obscurité complète, d’où ne surgissent que les explosions des coups de feu. Et c’est une scène d’une puissance (et d’une beauté formelle) exceptionnelle. Plus tard, c’est une bagarre à mains nues dans un chalet de montagne, littéralement détruit sous les coups des deux protagonistes. Et peu importe si Scott et son antagoniste joué par John Russell sont dans la plupart des plans remplacés par des doublures très visibles, la brutalité et la vivacité de la mise en scène font tout oublier.

Il y a comme ça des tas de moments forts : une longue fusillade utilisant les moindres recoins d’un ranch, une pause musicale dans la nuit… Pur plaisir de cinéma que ce western qui se joue des codes du genre avec gourmandise. Il y a dans ces séries B des trésors à redécouvrir, et De Toth vaut bien Boetticher.

The Guilty (id.) – d’Antoine Fuqua – 2021

Posté : 29 décembre, 2021 @ 8:00 dans * Thrillers US (1980-…), 2020-2029, FUQUA Antoine | Pas de commentaires »

The Guilty

Dans un centre d’appel de la police, un officier a en ligne une jeune femme dont il comprend qu’elle a été enlevée. Multipliant les appels, il fait tout pour la sauver. Et peut-être pour se sauver lui-même par la même occasion, le flic étant rongé par une culpabilité dont on ne sait d’abord rien.

Antoine Fuqua, réalisateur d’habitude plutôt musclé (Training Day, Equalizer), signe le remake paraît-il très fidèle d’un thriller danois qui a fait forte impression à sa sortie, et pour lequel on imagine bien qu’il sort de sa zone de confort. L’histoire a certes son lot de révélations, et de surprises, mais ne révolutionne rien. Le parti-pris de mise en scène, en revanche, est assez audacieux : jamais la caméra ne sort de ce centre d’appel.

Dans le rôle de ce flic comme habité par cette quête de la dernière chance, Jake Gyllenhaal est de presque tous les plans. Et presque constamment filmé en gros plan, assis dans un fauteuil, casque de téléphone sur la tête, les yeux rivés sur une flopée d’écrans. Un parti-pris que Fuqua suit scrupuleusement, ne s’autorisant que quelques images vaporeuses comme sorties de l’imagination de Joe, le flic.

Pour le reste, pas de triche : c’est par les oreilles (et un peu par les yeux) de Joe qu’on suit l’intrigue. Le résultat est plutôt convainquant, Fuqua donnant beaucoup de rythme à ces échanges téléphoniques qui se succèdent sans temps mort. Il y met de la tension, maintenant l’attention en variant les plans, mais sans jamais changer de décor, ou si peu : à mi-film quand même, il s’autorise un changement de pièce, passant d’un open-space à un bureau plus sombre et intime.

Plus que l’intrigue, finalement assez convenue, c’est l’interprétation de Gyllenhaal que l’on retient, l’intensité qu’il met dans ce type dont on comprend tardivement le poids de la culpabilité qu’il porte en lui. La mise en place du drame est sans doute un peu longue. La conclusion manque pour le coup de poids. Mais entre les deux, The Guilty est un bel exercice de style, en plus d’être un thriller efficace.

Piège double (The Crooked Web) – de Nathan Hertz Juran – 1955

Posté : 28 décembre, 2021 @ 8:00 dans * Films noirs (1935-1959), 1950-1959, JURAN Nathan | Pas de commentaires »

Piège double

Le patron d’un petit bistro américain n’attend qu’une occasion pour épouser sa jolie serveuse. Un jour, le frère de cette dernière débarque, avec un projet alléchant : il compte s’envoler pour l’Allemagne où, lorsqu’il faisait partie de l’armée d’occupation dix ans plus tôt, il a planqué un magot en or dans un cimetière…

Voilà une intrigue pleine de promesses pour ce noir qui commence comme beaucoup d’autres, et semble se diriger vers un film à la Berlin Express. Pour la plongée dans les ruines d’une Allemagne qui commence à se reconstruire, on repassera : la toile de fond est très anecdotique, contrairement au chef d’œuvre de Jacques Tourneur. Plus fauché sans doute, tourné en studio, The Crooked Web n’a clairement pas de côté immersif.

Côté intrigue, la grande surprise intervient… environ cinq minutes après le début du film. Le « héros » joué par Frank Lovejoy n’est pas un brave type, mais un criminel qui a froidement abattu des policiers militaires dix ans plus tôt. Sa fiancée (Mari Blanchard) est une fliquette infiltrée pour le faire tomber. Tout comme le frangin (Richard Denning), qui bien sûr n’est pas un frangin mais un amant. L’idée de cette mascarade étant d’amener le brave restaurateur à retourner en Allemagne, où il ne sera plus à l’abri de la loi.

Un court flash-back dévoile le crime en question. On le sait donc, sans l’ombre d’un doute : le personnage de Frank Lovejoy mérite d’être puni. Et c’est plutôt bien de le montrer, parce qu’il l’interprète comme un type plutôt sympathique la plupart du temps, même si on le sent prêt à toutes les duplicités. Mais surtout un type autour duquel se met en place une énorme machination, dans laquelle quasiment tous les autres personnages sont impliqués.

Le « happy end » attendu a d’ailleurs un arrière-goût bien amer, tant le piège dans lequel Lovejoy tombe paraît machiavélique, plein de mensonges et de manipulations au sentiment. C’est moche, franchement. Moche et sans grand suspense. La mécanique est parfaite, mais elle ne connaît que de minuscules accrocs, sans conséquence. Reste donc une dynamique parfaitement huilée, trop sans doute, réalisée sans passion mais avec une efficacité indéniable.

Les Contes d’Hoffmann (Hoffmanns Erzählungen) – de Max Neufeld – 1923

Posté : 27 décembre, 2021 @ 8:00 dans 1920-1929, FANTASTIQUE/SF, NEUFELD Max | Pas de commentaires »

Les Contes d'Hoffmann

Presque trente ans avant la version de Michael Powell et Emeric Pressburger, l’Autrichien Max Neufeld avait déjà adapté, réalisé et interprété Les Contes d’Hoffmann. Bien sûr, adapter un opéra à l’époque du muet relève, au mieux de la gageure. Le pari pourrait être excitant. Il s’avère un peu plombant.

Neufeld, que je découvre avec ce film longtemps considéré comme perdu, a sûrement beaucoup de qualités. Mais ses ambitions restent ici constamment limitées. Pas question de pallier l’absence de musique par la seule grâce de la mise en scène, qui pour le coup n’a pas grand-chose de purement musicale. De l’opéra, il ne subsiste à vrai dire que deux scènes de danse pas franchement renversantes.

De l’œuvre d’Offenbach, Neufeld (livret de Jules Barbier, inspiré des contes du poète Ernst Theodor Amadeus Hoffman, au moins pour l’esprit) conserve l’intrigue et la construction, qui en fait l’un des précurseurs du film à sketch : un étudiant viennois, éternel voyageur, débarque dans une taverne et raconte à ses comparses trois improbables étapes de ses voyages, qui l’ont confronté à des formes inattendues de l’amour.

Une femme automate, un pacte avec le Diable, un violon enchanté… Les chemins de l’amour sont impénétrables, paraît-il. Ils paraissent en tout cas bien datés dans ce film, qui flirte avec l’expressionnisme sans jamais verser dans la folie des grands classiques du genre. Les décors sont stylisés, la partie centrale fait la part belle (avec bonheur) aux ombres profondes et inquiétantes… Le cahier des charges de l’expressionnisme est relativement bien rempli. Mais ces Contes d’Hoffmann traînent en longueur (malgré les 78 minutes du métrage), sans nous toucher vraiment.

L’Aventure de Mme Muir (The Ghost and Mrs Muir) – de Joseph L. Mankiewicz – 1947

Posté : 26 décembre, 2021 @ 8:00 dans 1940-1949, FANTASTIQUE/SF, MANKIEWICZ Joseph L., TIERNEY Gene | Pas de commentaires »

L'Aventure de Mme Muir

The Ghost and Mrs Muir… Ou comment la magie du cinéma transforme une histoire toute en guimauve en sommet indémodable de délicatesse. Bien avant Demi Moore, Patrick Swayze et leur tour à poterie ruisselant de désir, Gene Tierney, Rex Harrison et un simple portrait accroché faisaient croire à une histoire d’amour entre un fantôme et une jeune femme bien vivante. Et procuraient une émotion qui ne perd rien de sa force, vision après vision.

Encore un tableau, serait-on tenter de dire, tant la filmographie de Gene Tierney semble indissociable de la peinture (dans Laura, mais aussi Le Château du Dragon…). Il faut dire que le visage de l’actrice, si pur soit-il, est habité par ce je ne sais quoi de douloureusement nostalgique, d’un passé mystérieux et inaccessible.

La manière dont ce tableau crée l’atmosphère ici est remarquable : en arrivant dans sa nouvelle maison surplombant la mer, Gene Tierney ouvre une porte donnant sur une pièce plongée dans l’obscurité, où un simple rayon de lumière éclaire un visage fantomatique, celui d’un tableau représentant un marin mort depuis longtemps, et dont la présence ne cessera d’habiter les lieux. Jusqu’à ce qu’il apparaisse réellement.

Nul besoin de trucage savant pour créer l’illusion. Il n’y en a d’ailleurs aucun, juste le pouvoir de la mise en scène, cette magie du cinéma qui suffit à faire comprendre en un plan que Rex Harrison n’est pas de ce monde, et à imposer ce constat comme une évidence, d’un naturel qui emporte tout. Ce sentiment d’évidence est de toutes les scènes, avec un Mankiewicz d’une délicatesse folle, à la mise en scène parfaitement fluide.

L’histoire, impossible, coule avec le naturel et l’évidence du destin en marche, flagrant dès la première séquence réjouissante : l’émancipation de Gene Tierney, jeune veuve qui quitte sa belle-mère et sa belle-sœur castratrices, avec lesquelles elle vit depuis un an. Gene Tierney est superbe, bien sûr. Et le film a la pureté et la beauté de ces contes d’enfance que l’on redécouvre à tout âge, avec le même bonheur.

La Péniche de l’amour (Moontide) – d’Archie Mayo – 1942

Posté : 25 décembre, 2021 @ 8:00 dans 1940-1949, GABIN Jean, LUPINO Ida (actrice), MAYO Archie L. | Pas de commentaires »

La Péniche de l'amour

La carrière hollywoodienne de Jean Gabin, pendant l’occupation, se limite en gros à Moontide (il y a tourné deux films, en fait, mais l’autre, L’Imposteur, est réalisé par son vieux comparse Julien Duvivier et participe à l’effort de guerre, disons donc qu’il ne compte qu’à moitié). C’est donc une vraie curiosité, dans laquelle Gabin trouve un rôle dans la lignée de ceux qui ont fait sa gloire, mais avec un regard hollywoodien… et une belle chevelure blonde.

Un rôle taillé pour lui, donc : un docker qui pense être le meurtrier d’un homme, tué lors d’une de ses innombrables soirées de beuverie. Il ne fait d’ailleurs pas les choses à moitié, éclusant des choppes de whisky et de saké, histoire que son amnésie passagère soit crédible. A vrai dire, elle l’est assez moyennement : survivre à une telle quantité d’alcool est en soi assez miraculeux.

Le film n’est, de fait, pas d’une finesse extrême. L’identité du tueur est bien vite évidente, l’histoire d’amour manque de subtilité, la plupart des personnages sont monoblocs… Et le naturel habituel de Gabin tombe souvent à plat dans une langue qui n’est pas la sienne. Malgré tout, Moontide est un film très attachant, en partie pour sa jolie naïveté.

Le principal décor de l’histoire fait beaucoup pour cette réussite. Non pas une péniche, mais une barge, transformée en cocon romantique coupé (y compris physiquement) du monde, pour le docker paumé et une jeune femme qu’il a sauvée du suicide, jouée par Ida Lupino. Presque une abstraction : on ne saura rien de son passé, Gabin lui-même refusant de l’écouter lorsqu’elle veut se confier.

Là encore, la vision du couple n’est pas la plus subtile ni la plus avant-gardiste qui soit : la belle Ida comprendra bien vite que ce qu’attend un homme, c’est que sa femme tienne la maison et l’accueille après la journée de boulot avec une belle robe sexy. Mais oui, voilà qui est parlé ! Remettons dans le contexte, comme on dit…

Pas avant-gardiste, non, mais attachant par sa bonhomie, par la manière aussi de réduire l’intrigue à quelques personnages qui tournent autour de la barge, ne laissant que de brèves scènes à d’autres personnages plus secondaires. Beau casting, d’ailleurs, avec Thomas Mitchell et Claude Rains notamment.

Presque un huis clos, d’où émergent toutefois quelques scènes « extérieures » baignées de brumes, comme si rien d’autre n’existait que cette barge, seul bonheur possible pour nos deux tourtereaux. On retiendra surtout une implacable poursuite dans la nuit, sur une jetée, ou l’aboiement d’un chien qui annonce le danger…Soudaines montées dramatiques dans un film qui, par ailleurs, ressemble plus à une fable bon enfant, malgré son sujet.

Cry Macho (id.) – de Clint Eastwood – 2021

Posté : 24 décembre, 2021 @ 8:00 dans 2020-2029, EASTWOOD Clint (acteur), EASTWOOD Clint (réal.) | Pas de commentaires »

Cry Macho

Il est sans doute très difficile de trouver de grandes qualités à Cry Macho si on n’est pas un amoureux de Clint Eastwood, et si on ne l’est pas depuis fort longtemps… Bien sûr, à ce stade de son parcours, on est heureux de le revoir à l’écran, du haut de ses 91 ans, heureux d’avoir cette occasion de plus, et bien conscient qu’il risque fort de ne plus trouver beaucoup de rôles taillés pour lui.

Mais quand même, même pour un amoureux de Clint Eastwood, qui l’est depuis fort longtemps, il faut bien reconnaître que Cry Macho est un film un peu raté, et parfois gênant. Qu’Eastwood traite par dessus la jambe l’intrigue du film (un ex champion de rodéo part au Mexique pour « enlever » le fils d’un de ses amis, qui vit avec une mère frapadingue) n’est finalement pas si grave. Ce n’est d’ailleurs pas une première : dans Jugé coupable déjà, il y a plus de vingt ans, il faisait preuve d’un désintérêt très manifeste pour son intrigue policière.

Certes, cela donne une série de dialogues consternants, des invraisemblances hallucinantes (le gamin introuvable, notre héros le débusque en huit secondes au cœur de Mexico), et des seconds rôles caricaturaux comme on n’en fait plus depuis Walker Texas Ranger. Mais une fois qu’on a accepté que l’histoire ne comptait pas, alors on peut ouvrir ses yeux d’amoureux de Clint Eastwood, et trouver quelques qualités au film.

A vrai dire, le film ne vaut que pour un aspect : cette manière qu’il a de se mettre en scène en Américain. Pas en homme mûr : en Américain, digne héritier des cow-boys de l’Ouest sauvage, avide de grands espaces et de longues chevauchées à travers des paysages déserts et immenses. Cry Macho s’inscrit d’ailleurs en ça comme le prolongement de La Mule, où il passait déjà le plus clair de son temps à rouler au volant d’un pick-up.

C’est dans ce côté road trip que le film donne quelques beaux moments. Des moments en creux, comme souvent chez Eastwood, où tout se joue dans sa manière de filmer le repos du guerrier, la fatigue, l’attente. Quelques belles images, ainsi, qui s’ajoutent à beaucoup d’autres depuis plus de cinquante ans. Cry Macho n’a finalement d’intérêt qu’en tant que marche supplémentaire dans la filmographie d’Eastwood, en tout cas dans les films où il se met lui-même en scène.

Le problème, quand même, c’est son âge. Il y a vingt ans, il aurait sans doute été parfait. A 91 ans, surjouant des difficultés à marcher, la gueule encore incroyable, mais marquée et moins mobile, il peine à convaincre en ex star du rodéo encore capable de mater un pur sang (cette scène de rodéo, franchement… comment a-t-il pu penser qu’on allait y croire ne serait-ce qu’un quart de seconde?), au cou duquel les deux seuls personnages féminins se jettent.

On a connu Eastwood plus féministe (Sur la route de Madison quand même). Les deux femmes du film ? Une nympho mauvaise comme une teigne, et une veuve qui tombe raide dingue de ce vieux visiteur au premier regard. Disons quand même que les hommes sont à peine mieux traités, avec un porte-flingue totalement crétin, et un mauvais père sans scrupule…

Mais il y a de beaux moments, joliment tendres entre Clint et sa belle. Des moments typiques de son cinéma, une manière de créer une atmosphère apaisante, un cocon comme un ultime refuge. Même dans un film raté comme celui-ci, Clint Eastwood sait créer ces beaux moments, presque de grâce, qui donneraient même envie de le revoir (peut-être en accélérant quelques scènes!). Et il s’offre mine de rien une très jolie dernière scène. Ça peut compter…

Bigamie (The Bigamist) – d’Ida Lupino – 1953

Posté : 23 décembre, 2021 @ 8:00 dans 1950-1959, LUPINO Ida, LUPINO Ida (actrice) | Pas de commentaires »

Bigamie

Tout est dans le titre, et on ne peut pas dire que ce soit le titre le plus porteur de promesses de l’histoire du cinéma. La promesse d’une soirée « dossier de l’écran », plutôt : faits et méfaits de la bigamie, ou comment un homme peut mentir pendant toute une vie pour assouvir ses désirs à lui. La surprise n’en est que plus forte : The Bigamist est un beau film, à la fois sensible et très ancré dans la réalité. Du cinéma qui ne triche pas, avec une vraie fibre sociale, et une délicatesse infinie.

Derrière la caméra : Ida Lupino, passionnante actrice devenue passionnante réalisatrice. The Bigamist, sixième de ses films (le dernier pour le cinéma avant un ultime long métrage treize ans plus tard), est aussi le seul dans lequel elle se dirige elle-même. Elle retrouve aussi Edmond O’Brien, excellent comédien qu’elle avait déjà dirigée dans Le Voyage de la peur, son précédent film. O’Brien n’est jamais si bien que quand il joue les Américains sans histoire. C’est le cas ici.

Et c’est l’une des forces du film : O’Brien est un type bien, mari fidèle et aimant, chef d’entreprise qui passe une grande partie de son temps en déplacement, pour jouer les représentants de commerce. Mais il s’ennuie, seul loin de son foyer. Et chez lui, il se sent délaissé par une épouse, Joan Fontaine, qui vit mal le fait de ne pas pouvoir avoir d’enfant. Alors un dimanche de grande solitude, il se laisse aller à aborder une inconnue qui a l’air aussi désespérément seule que lui. C’est là qu’Ida Lupino entre en scène.

C’est à peu près à ce moment que la douce épouse se décide à vouloir adopter un enfant. Le mari ne veut faire souffrir personne, et il les aime sincèrement et profondément, toutes les deux. Peu à peu, il s’installe avec Ida à Los Angeles, tout en continuant sa vie normale avec Joan, à San Francisco. Comment en est-il arrivé ? C’est ce qu’aimerait comprendre le responsable de l’agence d’adoption (joué par Edmung Gwenn), qui enquête sur la moralité du couple. C’est ce que le film nous montre par de longs flash-backs.

Si The Bigamist est si réussi, c’est grâce à la pudeur extrême de la cinéaste, et par le refus de simplifier la situation. Inutile de chercher : il n’y a pas l’ombre d’un salaud, aucune mesquinerie chez les personnages. Pas non plus de jugement de la part de la cinéaste, qui filme une impasse avec une immense empathie pour tous ses personnages.

Tiraillée entre deux belles personnes (et deux belles actrices), Edmond O’Brien est formidable en homme incapable de se résoudre à faire souffrir les femmes qu’il aime. Un peu victime du sort aussi : lorsqu’il semble décidé à dire la vérité, un événement vient la rendre impossible à avouer. Mais avant tout, c’est la bonté qui se dégage de ce film au sujet si rare. Jusque dans les dernières minutes, très belles.

Les Tueurs (The Killers) – de Robert Siodmak – 1946

Posté : 22 décembre, 2021 @ 8:00 dans * Films noirs (1935-1959), 1940-1949, LANCASTER Burt, SIODMAK Robert | Pas de commentaires »

Les Tueurs

Il y a des classiques, comme ça, dont il est absolument impossible de se lasser. Les Tueurs en fait partie. On peut penser en avoir fait le tour, le connaître par cœur, et même claironner que Siodmak a fait mieux. Tiens : Criss Cross par exemple, n’est-il pas un film encore plus immense ? Et voilà qu’on le revoit, et qu’on est littéralement happé par l’atmosphère en quelques images et quelques notes de musique puissantes et envoûtantes, signées Miklós Rózsa.

La nuit, dans une petite ville américaine. Une rue sombre, deux hommes qui se dirigent vers un diner quasi-désert, que l’on croit tout droit sorti d’une toile de Hopper. Les deux s’installent au bar, et engagent un étrange dialogue avec le patron. On sent bien qu’ils ne sont pas là pour la réputation des « special » : ils ont la gueule de William Conrad et Charles McGraw. Ils ne tardent pas à dévoiler le but de leur visite : trouver et buter « le Suédois », simple contrat pour eux.

Cette seule scène inaugurale est un chef d’œuvre de mise en scène. Un chef d’œuvre d’écriture aussi. Pas surprenant d’ailleurs : c’est la seule partie adaptée de la nouvelle d’Ernest Hemingway, qui elle n’explique pas pourquoi le Suédois doit être abattu, et surtout pas pourquoi il ne fait rien pour échapper à ses tueurs. L’adaptation est fidèle au début, mais si elle restait fidèle jusqu’au bout, le mot fin apparaîtrait au bout de douze minutes…

On aurait à peine le temps de découvrir la gueule lasse de Burt Lancaster, jeune débutant dont c’est le premier film (le genre de débuts qui laisse pantois), et qui apporte d’emblée une intensité folle à son personnage, dont le film va retracer la trajectoire que l’on sait donc tragique, au fil de l’enquête menée par un agent des assurances joué par l’impeccable Edmond O’Brien : une construction en flash-back dans la droite lignée de Citizen Kane, et tout aussi brillante.

Répondre aux questions laissées en suspense par Hemingway était un pari audacieux. Le scénario d’Anthony Veiller (avec la participation de John Huston et Richard Brooks) fait mieux que réussir ce pari. Il fait des Tueurs l’un des modèles du film noir, une spirale infernale et tragique où chaque élément de l’enquête ajoute à l’intensité du film.

La construction du film y est pour beaucoup, avec cette manière d’enrichir peu à peu chaque personnage, tous parfaitement écrits, et interprétés. Albert Dekker, Sam Levene, Jack Lambert… et Ava Gardner bien sûr, en vamp d’anthologie, l’une des garces les plus mémorables du film noir. Le casting est formidable. La direction d’acteurs aussi : tout est dans les détails dans le cinéma de Siodmak. La nonchalance des tueurs au début du film, le flic qui reçoit l’enquêteur sur sa terrasse un pinceau à la main… Des petits décalages, comme ça, qui donnent un réalisme étonnant au film.

Visuellement, c’est une splendeur, avec des scènes de boxe très stylisées, des séquences nocturnes tout en ombres et en hors-champs. Pourtant, c’est bien cette sensation de réalité qui se dégage du film, pure merveille, pur chef d’œuvre.

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