Les plus belles années d’une vie – de Claude Lelouch – 2019
Un homme et une femme, 50 ans (et quelques) plus tard… Trintignant lui-même a dit avoir hésité avant d’accepter de jouer dans cette suite si tardive. Déjà parce qu’il était censé avoir pris sa retraite définitive du cinéma (retraite que seul Mickael Haneke avait réussi à rompre jusqu’à présent), et surtout parce qu’il avait peur d’abîmer l’image qu’en ont ceux qui considèrent le film comme l’une des plus belles histoires d’amour du cinéma français. Dont je ne suis pas loin de faire partie.
Evidemment, la question se posait. Et le sentiment que l’on ressent est curieux, inédit même, devant la décrépitude physique du personnage, et de l’acteur, dont les rides profondes sont filmées au plus près. Et même devant la grâce encore bien présente d’Anouk Aimé, grâce sur laquelle pèsent tout de même le poids des cinq décennies écoulées depuis les chabada des planches de Deauville.
Pas sûr qu’il y ait un équivalent dans l’histoire du cinéma : un cinéaste qui retrouve ses acteurs (même les gamins du film original sont les mêmes) pour une suite aussi tardive, et où le temps passé est le sujet même. Une suite qui n’essaye pas d’enjoliver la vieillesse, pas plus qu’elle ne noircit le portrait d’ailleurs : ni béât, ni misérabiliste, Lelouch préfère garder des petits moments de vie comme il l’a toujours fait.
Avec aussi une sorte d’ironie mi-amusée, mi abattue. « Les plus belles années d’une vie sont celles que l’on n’a pas encore vécues », citation de Victor Hugo mise en exergue du film, a du mal à convaincre, tant le bonheur et la passion de ces deux anciens amants sont attachés à un passé déjà lointain.
On pourrait être mauvaise langue, et souligner que l’émotion la plus puissante est provoquée par les extraits d’Un homme et une femme qui émaillent le film, comme autant de souvenirs qui reviennent à Anne et Jean-Louis. Ce qui est effectivement le cas : la scène du télégramme, ou celle de la gare, sont des moments qui m’ont toujours bouleversé. Mais c’est la manière dont ces images qui appartiennent à l’inconscient collectif sont mises en regard avec la vieillesse des personnages qui est réellement touchante.
Lelouch se montre inhabituellement sobre, privilégiant les longs plans, ou les champs-contre champs, conscient qu’il n’a besoin d’aucun artifice, d’aucun effet, pour filmer l’intimité retrouvée de cet homme et de cette femme. Un parti-pris payant, qui donne un film globalement très pudique, et très tendre.
Un film qui adopte aussi le point de vue de Jean-Louis, vieil homme dont la mémoire fait des allers-retours étonnants. La réalité, les rêves, le fantasme s’entrelacent donc à l’écran, sans que l’on sache toujours exactement où on en est. Cette fille, jouée par Monica Bellucci, existe-t-elle vraiment ? Qu’importe finalement. L’important finalement est de vivre, jusqu’au bout.
Oui, le film est réussi. Mais le plus beau, c’est qu’il est réussi en surprenant constamment, avec une liberté et une vérité inattendue. Sans optimisme déplacé, mais avec une infinie tendresse, et des sourires qui dominent tout, libérant peu à peu les cœurs serrés des premières minutes.