La Danse de mort – de Maurice Cravenne – 1946
Resté célèbre pour avoir été l’un des grands réalisateurs de la télévision naissance, Maurice Cravenne a aussi été un éphémère cinéaste, dont l’expérience la plus marquante reste sa collaboration avec Erich Von Stroheim, acteur et co-scénariste de cette Danse de mort pour laquelle il s’est beaucoup investi, comme pour peu d’autres films depuis la fin de sa carrière de réalisateur.
Le film porte effectivement la signature de Stroheim : on y retrouve la violence et la cruauté de ses grandes œuvres muettes, mais aussi les rapports conjugaux basés sur la domination, l’humiliation et la souffrance. Stroheim incarne lui-même l’officier en charge d’une prison-forteresse perdue sur une île, où il vit depuis 25 ans avec sa femme, avec laquelle il entretient une étrange relation de haine et de dépendance.
Cette dernière est interprétée par Denise Vernac, qui était l’épouse à la ville de Von Stroheim. Un détail qui rajoute au malaise dégagé par ce couple odieux, dont on sent qu’ils se haïssent (jusqu’à se cracher au visage avec une cruauté rare), sans pouvoir se quitter vraiment. « Ne va-t-il donc jamais mourir ? » se lamente la femme, réalisant qu’elle ne pourra pas partir d’elle-même.
Le couple n’est pas tout à fait seul dans cette prison qui est le symbole de l’impasse dans laquelle s’est dirigée leur propre vie, et dont ils tentent vainement de sortir. Il y a leur fille, qui commet le sacrilège ultime de tomber amoureuse d’un prisonnier. Il y a aussi un amour de jeunesse de l’épouse (Jean Servais), qui réapparaît après 25 ans, et ne servira au final qu’à mieux révéler le caractère sombre et machiavélique de l’une comme de l’autre.
Les décors de Georges Wakhevitch, dédales de couloirs et enchevêtrements d’escaliers, de soubassements et d’étroites fenêtres, soulignent constamment l’absence de perspective de ce couple qui fait passer celui du Chat de Granier-Deferre pour les plus grands des romantiques. La mise en scène de Cravenne est parfois un peu sage. Mais les décors exceptionnels, la belle lumière de Robert Le Febvre, le scénario particulièrement réussi, et l’interprétation très nuancée des comédiens, font de cette histoire de couple le portrait de deux êtres qui transforment leurs démons en haine mutuelle.
Stroheim, surtout, révèle son côté pathétique lors d’une fête d’anniversaire de mariage assez inoubliable…