Catherine ou Une vie sans joie – de Jean Renoir et Albert Dieudonné – 1924-1927
En 1924, Jean Renoir a 24 ans, et il est encore un « fils de » qui vit à l’ombre de son illustre peintre de père, mort cinq ans plus tôt, et qui cherche sa voie. Il a épousé Catherine Hessling, qui fut la muse de son père, et dont il veut faire une vedette. Manquait plus qu’une occasion… C’est avec Albert Dieudonné qu’il la trouve.
Une aura de mystère entoure tout de même ce premier film, dont la paternité reste incertaine. Il semble que Dieudonné et Renoir se la soient disputée, ce qui pourrait expliquer que le film n’a pas été montré au public après son tournage, en 1924. Ce n’est que trois ans plus tard qu’il a eu droit à une sortie en salles, dans un nouveau montage assuré par Dieudonné.
Difficile, donc, de dire ce que l’on doit à ce dernier, et ce qui est dû à Renoir. Une chose est sûre, toutefois : il y a dans Catherine (le titre original), ou Une vie volée (celui de 1927) des thèmes et des motifs qui habiteront le cinéma de Renoir pendant toutes les décennies à venir.
On y trouve même des images qui annoncent curieusement Le Journal d’une femme de chambre (l’amorce d’une romance entre la bonne et le fils de bonne famille) ou La Bête humaine (la séquence ferroviaire, qui reste et de loin la séquence d’action la plus trépidante de toute la filmographie de Renoir).
Il y a surtout, en germe, beaucoup d’éléments que l’on retrouvera dans La Règle du Jeu quinze ans plus tard : les rapports complexes entre les classes, le jeu social auquel se livrent les représentants de la bonne société, et un sens du rythme et de la folie, mêlé à une cruauté assez féroce.
C’est assez passionnant de découvrir ce film fondateur, malgré toutes ses limites. Parce que côté scénario, c’est plutôt l’artillerie lourde que sort le scénariste et cinéaste Renoir, biberonné aux films américains dès les années 1910, dont il reprend les codes et les manies dans ce mélo qui n’épargne aucun rebondissement plombant à sa pauvre héroïne.
Il y a pourtant de très belles scènes dans le film, et même de grands moments de cinéma. Un exemple : la danse de Catherine (Catherine Hessling) et Maurice (Albert Dieudonné), sur le balcon d’un appartement dominant la foule des anonymes faisant la fête dans la rue, dont tous deux sont tenus à l’écart par l’encadrement de la fenêtre, et par un rideau tombant. Et la mort qui suit, sommet d’émotion tragique.