La Banque Némo – de Marguerite Viel – 1934
L’affaire Stavisky et les différents scandales financiers qui ébranlent l’époque planent sur cette comédie qui cache derrière une vivacité et une apparente légèreté hors du commun un cynisme qui l’est tout autant. Cette même année se tourne Ces messieurs de la Santé, petit classique étonnamment semblable. Dans les deux cas, un beau parleur manipule son monde pour gravir rapidement les échelons de la société et devenir un puissant maître de la finance.
Mais La Banque Némo n’est pas qu’une simple copie du film de Pierre Colombier. Le cynisme, d’abord, semble plus éclatant ici. Car le « héros », interprété par Victor Boucher, qui commence vendeur de journaux à la criée pour finir directeur de banque, arrive au sommet en entraînant quelques chutes autour de lui. S’il n’est pas responsable de celle de son ami caissier de banque, condamné pour vol, il saute sur l’occasion pour lui prendre le soir même (alors que le pauvre n’est pas encore arrivé derrière les barreaux) sa place, et sa fiancée. Puis, ses manipulations entraînent la perte, bien cruelle, de tous ceux dont il veut la place, du fondé de pouvoir au directeur…
Ce beau parleur est charmant et franchement attachant. Mais c’est un salaud intégral, symbole d’une société qui a perdu toute morale, et que résume avec la truculence du cinéma français de cette époque l’une des victimes de ses manigances : « En ce monde, il ne faut jamais voler un mouchoir de poche : on est mis en prison tout de suite. Ce n’est qu’à partir de 100 millions qu’on peut s’approprier impunément le bien d’autrui. Alors là, personne ne vous inquiète, et l’on jouit avec condescendance de l’estime générale. »
Quant au couple que Victor Boucher forme avec Mona Goya, c’est un modèle assez génial de cynisme politiquement incorrect, la jeune femme étant continuellement prête à donner son corps et son innocence (toute relative !) pour permettre à son amant de gravir les échelons. C’est tellement beau, l’amour…
Critique féroce de cette société de l’argent, La Banque Némo est surtout un petit chef d’œuvre de comédie. Réalisé par Marguerite Viel, l’une des rares femmes cinéastes de l’époque, qui connut une carrière éphémère, le film est mené à un rythme souvent étourdissant.
Quelques scènes, même, évoquent la virtuosité d’un Lubitsch : la séquence d’ouverture par exemple. Dans un bistrot bondé, la caméra virevolte en suivant une serveuse qui se fraie un chemin entre les tables, jusqu’à celle de l’un des protagonistes, râleur qui finit par s’engueuler avec ses voisins de table. Le dialogue se noue, vif et enthousiasmant, et les autres personnages clés apparaissent l’un après l’autre.
C’est vivant, drôle, intelligent et d’une efficacité remarquable. C’est aussi et surtout une scène, comme beaucoup d’autres à suivre, simplement réjouissantes, qui procure un plaisir fou.