Vous ne l’emporterez pas avec vous (You can’t take it with you) – de Frank Capra – 1938
Capra est au sommet quand il tourne ce film. Au Sommet de son art, et de sa gloire : New York Miami a été un triomphe, décrochant les cinq Oscars majeurs, sorte de couronnement de sa première partie de carrière. Une gloire qu’il met à profit pour s’attaquer à un cinéma plus engagé, plus social. Après L’Extravagant M. Deeds, Vous ne l’emporterez pas avec vous marque aussi sa première collaboration avec James Stewart. Ensemble, les deux hommes tourneront trois chefs-d’œuvre d’une rare cohérence.
Il y a déjà ici tout ce qui fera la grandeur de M. Smith au Sénat (y compris Edward Arnold, et un juge rigolard) et de La Vie est belle (les gens simples et heureux face aux banquiers sans scrupule). Avec le même sens du rythme, la même capacité à faire passer les spectateurs d’une émotion à l’autre, avec une maîtrise narrative impressionnante.
Il y a aussi cette capacité à jouer avec les grands sentiments sans jamais être ridicules. Le rythme du film est tellement irrésistible que Capra peut tout nous faire avaler. Tout. Y compris le fait que le personnage de Lionel Barrymore, génial, soit une sorte de symbole de la liberté individuelle face au capitalisme tout puissant. Ce qui, en grattant un peu, n’est pas tout à fait juste : il est le seul propriétaire de son quartier, et l’univers qu’il s’est créé vit totalement coupé des réalités et des misères du monde.
Qu’importe. Capra n’est pas un cinéaste politique. C’est un grand sentimental. Et ses films sont des fables sur la bonté des gens simples, des fables dans lesquelles la bonté est furieusement contagieuse. James Stewart et Jean Arthur, sorte de Roméo et Juliette capra-esques, s’en sortent nettement mieux que chez Shakespeare…
Le couple est craquant (leurs têtes-à-têtes sont superbes, drôles et tendres à la fois). Mais c’est autour des deux patriarches que le film s’articule vraiment. Lionel Barrymore, donc, immense dans le rôle de ce grand-père vivant dans une sorte de chimère réjouissante, mais au regard pas si dupe. Et Edward Arnold, homme d’affaires impitoyable et caricatural, absolument bouleversant quand l’armure cède.
Très drôle, très émouvant (parfois dans la même scène), souvent fou, parfois excessif, toujours juste, toujours enthousiasmant… Vous ne l’emporterez pas avec vous est un chef-d’œuvre qui ne prend pas une ride. Classique intemporel.