Jack l’Eventreur (Jack the Ripper) – de Robert S. Baker et Monty Berman – 1958
Dans la très longue série des films inspirés du plus célèbre tueur en séries, celui-ci est à mettre dans le rayon des belles réussites. Pas un chef d’œuvre, non : Baker et Berman sont d’excellents formalistes, qui assurent d’ailleurs eux-même la photographie de leur film, mais ils sont loin d’être aussi convaincants en terme de direction d’acteurs.
Le principal défaut concerne en effet les personnages, qui peinent à exister réellement. Le plus passionnant d’entre eux — O’Neill, le flic londonien flegmatique et malin joué par Eddie Byrne — est qui plus particulièrement sous-exploité, alors que le film donne le beau rôle à un flic américain sans le moindre relief, interprété par un acteur sans grand charisme (Lee Patterson). Allez pas non plus me demander ce que vient faire ce flic ricain dans l’histoire (d’après le scénario, il profite de ses vacances pour venir donner un coup de main à son pote british sur cette affaire autrement plus excitante que les petits crimes sans intérêt qui se déroulent aux States)… à part bien sûr venir draguer le public américain de l’époque…
Un personnage, quand même, sort du lot : l’une des victimes de Jack, la nouvelle danseuse qui réalise, un peu tard, ce qu’implique réellement son nouveau job. La longue séquence qui lui est consacrée fait d’elle un beau personnage tragique, qui dit beaucoup de la cruauté de cette époque, dans ce quartier par ailleurs plutôt aseptisé par la mise en scène.
L’histoire, elle aussi, est connue et sans grande surprise : le fameux Jack l’Eventreur multiplie les meurtres sordides dans les quartiers populaires de Londres, en 1881. Et comme souvent, dans les adaptations, c’est l’hypothèse d’un tueur issu de la haute bourgeoisie (voire de l’entourage de la monarchie) qui est privilégiée. La version que l’on découvre ici est aussi valable que des tas d’autres, ni plus intéressante, ni plus conne…
Bref, on s’en fiche un peu. Ce qui compte, c’est le brouillard dans les ruelles étroites de White Chapel, les bruits de pas sur les pavés humides, les cris dans la nuit, les bouges mal famés et les putes au verbe haut. Et dans ce registre, Berman et Baker font très fort. Dès les premières images, ils nous offrent absolument tout ce qu’on attend d’un « Jack l’Eventreur » (presque un genre en soi : on dit ça comme on dit un « James Bond » ou un « Charlot ») : une belle suée dans un décor de fantasme cauchemardesque (ou de cauchemar fantasmé, c’est selon). Ils filment merveilleusement bien ces ruelles inquiétantes, toutes en ombres et en recoins, joliment reconstituées en studio.
C’est dans ces séquences nocturnes et extérieures que le film est le plus réussi. Et quand les réalisateurs s’amusent à nous faire peur, multipliant les séquences de meurtres sur le même modèle, mais avec de subtiles variations qui les rendent uniques, et toutes franchement flippantes. Je ne demandais vraiment rien de plus…