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Archive pour la catégorie 'LEAN David'

Le Mur du son (The Sound Barrier) – de David Lean – 1952

Posté : 11 juin, 2022 @ 8:00 dans 1950-1959, LEAN David | Pas de commentaires »

Le Mur du son

David Lean qui s’enflamme pour l’univers des pilotes d’essai ? Le postulat semble improbable, tant on garde l’image d’un cinéaste dont les œuvres les plus célèbres sont portées par la lenteur. C’est oublier un peu vite que Lean n’a pas toujours été ce réalisateur des grandes fresques contemplatives, que ses débuts ont été marqués par l’univers pas si éloignés de la marine (Ceux qui servent en mer), et qu’il aimait aussi passer d’un univers à l’autre.

Entre deux formidables adaptations de Dickens (Oliver Twist et Great Expectations) et l’ère des grands voyages (inaugurée avec Vacances à Venise), Lean tourné une poignée de films un peu oubliés, mais qui confirment l’étendue de son talent, du dramatique Madeleine à la comédie Chaussure à son pied. Le Mur du son, le plus méconnu peut-être de ses films, est à la fois inattendu et très leanien.

La plus belle idée du film, c’est d’avoir privilégié le point de vue d’une femme (Ann Todd, déjà à l’affiche des Amants Passionnés et de Madeleine), fille, sœur et épouse de pilotes, qui ne comprend pas les motivations de ces hommes qu’elle aime pourtant. Ce regard perplexe (au mieux) donne un relief particulier aux relations entre le riche patriarche Ralph Richardson et son fiévreux beau-fils Nigel Patrick, tous deux excellents.

Ce n’est évidemment pas Top Gun, ce n’est pas non plus Les Ailes (référence incontournable du film d’aviation), mais les séquences aériennes sont particulièrement réussies. Sans grands effets spectaculaires, mais en choisissant de filmer les exploits aériens au plus prêt des visages, Lean crée habilement la tension, chaque séquence aérienne enrichissant la suivante.

Sans doute ces séquences ont-elles moins intéressées le cinéaste par elles-mêmes que par les thèmes qu’elles trimballent : l’obsession de pilotes qui mettent sciemment leur vie sur la balance pour être les premiers à franchir cette barrière du son, ultime saut dans l’inconnu pour ces pionniers tardifs de l’aéronautique. En tout cas jusqu’au prochain saut vers l’espace, que les dernières images annoncent comme une étape logique et incontournable, parce que l’homme est fait pour se confronter à l’inconnu. Et si ça, ce n’est pas un thème leanien…

Le Pont de la rivière Kwaï (The Bridge on the River Kwai) – de David Lean – 1957

Posté : 12 décembre, 2020 @ 8:00 dans 1950-1959, LEAN David | Pas de commentaires »

Le Pont de la rivière Kwai

Jusque là, David Lean était un cinéaste de l’intime. Même dans Vacances à Venise, son précédent film, le premier qui lui permettait de dévoiler ses envies d’ailleurs, le récit se concentrait sur cette rencontre entre deux êtres, le décor exotique renforçant la solitude du personnage de Katherine Hepburn, et l’intimité de sa romance éphémère.

Avec Le Pont de la rivière Kwai, Lean se réinvente, tout en restant fidèle à sa démarche. Ici encore, le décor exacerbe les individualités, les personnalités, dans une sorte d’enfermement à ciel ouvert. L’officier anglais que joue Alec Guinness semble ainsi d’avantage lui-même dans cette cage de fer où il passe ses premières journées de prisonnier, que lorsqu’il recouvre une pseudo-liberté dans des paysages grandioses et sans grilles.

Lean se réinvente, avec une nouvelle approche qu’il ne cessera plus d’approfondir, film après film. Dans Lawrence d’Arabie et Docteur Jivago notamment, ses deux films suivants, qui restent les plus célébrés de sa filmographie, il abordera des thèmes similaires à ceux qu’il aborde ici, derrière le masque du film de genre, le film de commando en l’occurrence.

« Madness », répète le médecin interprété par James Donald à la fin du film, le visage hagard, sorte de préfiguration du « Horror » d’Apocalypse Now. Un simple mot qui explicite le sentiment de gâchis, mais aussi l’impossibilité pour des êtres pourtant pas si différents de se comprendre. Et cette fois, c’est plutôt à La Grande Illusion que l’on pense, et à cette affinité entre les officiers Pierre Fresnay et Erich Von Stroheim.

Entre l’officier anglais (Guinness) et le chef du camps japonais, joué par Sessue Hayakawa, il y a une double frontière : celle de la guerre et celle de la culture. Mais qu’ils évoquent le code d’honneur du Bushido ou les règles humanistes de la convention de Genève, l’un et l’autre mettent leurs stricts principes d’officiers avant tout. Comme l’officier américain joué par Jack Hawkins, enseignant dans le civil, machine de guerre dénuée d’empathie sous l’uniforme.

Quant au soldat américain joué par William Holden, il apparaît comme le symbole ultime de l’homme de rang, celui que la folie des dirigeants transforme en poudre à canon. Il symbolise aussi le reste d’humanité de ces temps troublés, lorsque les troubles de l’histoire balayent tout ce que l’homme prend pour acquis. Un thème que Lean ne cessera plus de décliner, après ce chef d’œuvre tragique, porté par une mise en scène (et une musique) exceptionnelle.

Chaussure à son pied (Hobson’s choice) – de David Lean – 1954

Posté : 20 novembre, 2020 @ 8:00 dans 1950-1959, LEAN David | Pas de commentaires »

Chaussure à son pied

L’humour n’est pas ce qui caractérise le mieux la filmographie de David Lean, qui ne s’est attaqué à la comédie qu’à de rares occasions : pour L’Esprit s’amuse, sans doute celui de ses films qui a le plus vieilli, et pour ce Chaussure à son pied, nettement plus convaincant.

Charles Laughton y est le patron gargantuesque d’une boutique de chaussures, qui règne en maître sur sa maison et sur ses trois filles. Quand il se met en tête de maries ses deux cadettes – mais pas la plus âgée, trentenaire qu’il juge immariable – cette dernière décide d’épouser le cordonnier qui passe ses journées dans la cave, à fabriquer les chaussures…

Une vraie comédie, à laquelle Lean donne un rythme digne d’un Lubitsch. Le ton, la légèreté, tranchent avec les précédents films du cinéaste, ou surtout avec tous ceux qui vont suivre. Il dévoile en tout cas un talent insoupçonné de Lean, et marquera a posteriori une rupture dans son œuvre.

C’est son dernier film en noir et blanc, et le dernier de ses films « domestiques », avant qu’il ne se sent des envies d’ailleurs, qui apparaîtront dès son film suivant, Vacances à Venise. Si atypique dans le ton, Hobson’s choice marque aussi le sommet formel de ses premières années.

Dans cette comédie humaine, et joyeusement inconséquente, on retrouve ce qui faisait la force de la plupart de ses films : l’importance donnée aux décors, la manière dont Lean filme les habitations, comme des personnages à part entière. Trois décors principaux ici : la boutique d’Hobson, celle de sa fille, et le pub où Charles Laughton s’encanaille. Trois décors auxquels Lean apporte le même soin, et dont il tire des plans superbement composés.

Les quelques scènes extérieures aussi sont superbes, avec ces pavés humides omniprésents, cette misère ambiante qui cohabite avec l’étrangeté des rapports entre les personnages : ce père qui humilie sa fille, cette dernière qui impose son amour, et la romance qui se noue devant une rivière pleine de déchets, ou un caniveau ruisselant.

Lean décline l’esthétisme de ses adaptations de Dickens (De Grandes Espérances et Oliver Twist), pour en faire l’arrière plan très vivant d’une pure comédie. Le cocktail fonctionne parfaitement, et donne une petite merveille, le film le plus joyeux de son auteur.

Ceux qui servent en mer (In which we serve) – de Noel Coward et David Lean – 1942

Posté : 11 décembre, 2018 @ 8:00 dans 1940-1949, COWARD Noel, LEAN David | Pas de commentaires »

Ceux qui servent en mer

Soit les producteurs tenaient à mettre en valeur le nom de Noel Coward, soit c’est ce dernier qui a un melon à la Delon des grandes années. Parce qu’à en croire le générique, il a absolument tout fait sur ce film, Coward. Il écrit bien sûr, mais il produit aussi, il compose la musique, il réalise, et il joue même le rôle principal.

Nous voilà donc prévenus : si le film reste dans l’histoire comme étant le premier d’un certain David Lean, il reste avant tout l’œuvre de Noel Coward. C’est effectivement largement le cas, tant il semble que le célèbre dramaturge ait voulu tout maîtriser. La mise en scène aussi ? Pas si simple, quand même : Coward ne s’y est d’ailleurs jamais réessayé, et le film fait preuve d’une maîtrise impressionnante.

De là à imaginer que Lean, déjà monteur très réputé, ait assuré l’essentiel du travail de réalisation, il n’y a qu’un pas que je me garderai bien de franchir. Mais le fait est là : des images magnifiques, des gros plans sur des visages émouvants parce que plein de rides, de sueurs et de crasses… Visuellement, Ceux qui servent en mer est une merveille qui respire la vie, la peur et la mort. Avec de formidables séquences de batailles où le bruit et la fureur passent essentiellement par ces gros plans, par des détails qui relèvent du pur langage cinématographique.

La construction du film est clairement, elle, l’oeuvre de Coward, avec cette construction en flash-backs particulièrement réussie, qui donne du corps à chacun des personnages. Des personnages très forts, auxquels l’atmosphère du film rend parfaitement hommage : ce flegme très anglais que l’on ressent constamment, cette pudeur qui retient l’émotion, la gardant sur le fil jusqu’aux dernières minutes. Là, en quelques secondes, la garde est baissée, l’émotion éclate, et c’est splendide.

Quel que soit son rôle exact, David Lean trouve déjà avec ce film l’un de ses thèmes de prédilection : l’importance du décor, souvent considéré comme un personnage à part entière, voire même le plus important. C’est particulièrement frappant avec ce premier film, avec ce bateau de guerre à qui les marins donnent un nom de femme, et que les épouses considèrent comme une rivale avec laquelle elles ne peuvent pas rivaliser.

La Route des Indes (A passage to India) – de David Lean – 1984

Posté : 26 janvier, 2016 @ 8:00 dans 1980-1989, LEAN David | Pas de commentaires »

LA ROUTE DES INDES

Quatorze ans : c’est le temps qu’il aura fallu à David Lean pour livrer cet ultime film, une œuvre qui clôt merveilleusement le cycle de ses grandes fresques romanesques et historiques. Plus encore que dans La Fille de Ryan, son précédent film, Lean s’y montre comme un cinéaste apaisé, qui n’a plus besoin de la furie et de la violence visuelles pour illustrer le souffle de l’histoire.

Son goût pour les ailleurs, sa critique cinglante de l’impérialisme, et son profond humanisme sont plus que jamais au cœur de son cinéma. Un cinéma qui, dans ces années 80 dominées par les pop-corn movies, devait avoir des allures de dinosaure. Pourtant, La Route des Indes passe merveilleusement l’épreuve du temps. Sans doute parce qu’il est en dehors de toute mode.

Formellement, le film n’aurait sans doute pas été bien différent si Lean l’avait tourné vingt ans plus tôt. Et même si certains passages manquent un peu de ce souffle qui balayait ses précédents films, cette œuvre testamentaire porte clairement son empreinte : celle d’un cinéaste qui sera resté jusqu’au bout fidèle à sa vision du cinéma… et d’un certain humanisme.

Une nouvelle fois, c’est dans un best-seller qu’il trouve son inspiration : celui d’Edward Morgan Forster qui raconte la découverte de l’Inde coloniale par la jeune fiancée d’un fonctionnaire anglais en poste là-bas depuis plusieurs années. Avec sa future belle-mère, la jeune Adela découvre une société clivée, et des Britanniques se comportant avec condescendance et brutalité avec ces Indiens avec lesquels les deux nouvelles arrivantes se découvrent de vraies affinités.

On comprend sans problème ce qui a attiré David Lean dans ce roman, qui correspond en tous points au cinéma qu’il a toujours fait depuis Lawrence d’Arabie. Les discrimations raciales, la peinture d’une autre culture, l’amitié entre deux êtres que tout oppose, et le combat pour, si ce n’est l’indépendance, en tout cas la reconnaissance de l’égalité de tous.

Définitivement en dehors de toutes modes, Lean soigne ses personnages, sans tomber dans la tentation d’un romantisme hollywoodien qui aurait ruiné le propos. Le rôle principal, surtout, était particulièrement complexe : une jeune femme ouverte et curieuse, qui finit par devenir la représentante de tout ce qu’elle déteste… Dans le rôle, Judy David est sublime. Toute jeune, pas encore woody-allenisée, la jeune actrice trouve là son premier rôle marquant. On fait pire, comme débuts…

Lean trouve le parfait équilibre entre spectaculaire (les émeutes finales, ou ce train qui traverse la nuit) et intime (la belle amitié entre l’enseignant anglais et le médecin indien). Des êtres complexes ballottés par l’histoire. La Route des Indes, sur lequel plane l’ombre de la mort, du temps qui passe, et du poids des actions individuelles, est une superbe manière pour David Lean de faire ses adieux au cinéma, même si le film n’a pas été conçu comme tel…

* DVD disponible chez Carlotta, dans une édition simplement accompagnée d’une analyse relativement courte par Pierre Berthomieu.

Le Docteur Jivago (Doctor Zhivago) – de David Lean – 1965

Posté : 12 novembre, 2015 @ 12:47 dans 1960-1969, LEAN David | Pas de commentaires »

Docteur Jivago

David Lean est un grand cinéaste, que ses envies de grandeur n’ont jamais coupé de l’humanité la plus intime. Docteur Jivago est l’un de ses très grands films, un immense (dans tous les sens du terme) mélodrame que sa sensibilité et son lyrisme transcendent trois heures durant, trois heures qui filent comme ce souffle irrésistible de l’histoire qui balaye tout sur son passage.

Ceci étant dit, c’est aussi dans ce film que se trouve, sans doute, le passage le plus indéfendable de toute sa filmographie. Le plus détestable, et même honteux : cette ultime séquence des retrouvailles ratées entre Julie Christie et Omar Sharif, pour laquelle Lean, mystérieusement, laisse soudain libre cours à sa grandiloquence en oubliant toute la retenue et l’humilité qui font pourtant du film une merveille… jusque là.

Cette scène laisse un goût d’autant plus amer que durant trois heures, c’est du grand cinéma leanien que le réalisateur de Lawrence d’Arabie nous offre. Une fresque adaptée d’un roman anti-soviétique qui raconte les ravages d’un système niant l’individu et perdant ainsi toute humanité, dans la Russie de la guerre et de la révolution.

Il s’agit bien d’une charge féroce contre le régime communiste, mais ce n’est pas la politique qui intéresse Lean, qui se concentre sur les destins croisés de deux êtres balayés par cette folie ambiante, et sur les regards incroyables de ses deux acteurs principaux, victimes impuissantes et tragiques.

Les scènes épiques ne manquent pas, et Lean les réussit toutes magistralement. Pourtant, c’est dans les détails que le film touche au sublime. Dans ce lent et long voyage en train à travers l’immense plaine glacée surtout, parsemée de purs moments de grâces. Cet instant où la porte s’ouvre et révèle une sorte de tombeau de glace. Ou, surtout, ce bouleversant regard que Klaus Kinski, prisonnier politique grande gueule et arrogant, pose sur la tendresse d’un vieil homme envers sa femme. Peut-être le plus beau moment du film.

Lawrence d’Arabie (Lawrence of Arabia) – de David Lean – 1962

Posté : 12 juin, 2014 @ 2:18 dans 1960-1969, LEAN David | Pas de commentaires »

Lawrence d'Arabie

Décidément, le monument de David Lean est bien à la hauteur de sa légende. Film déraisonnable, fresque démesurée balayée par le souffle de l’histoire, Lawrence d’Arabie est bel et bien un immense chef d’œuvre aux images impressionnantes. Souvent très inspiré par des lieux clos au début de sa carrière, Lean utilise ici merveilleusement l’immensité du désert, avec cette image si large qu’elle semble ne plus en finir, notamment lors de ce plan fixe extraordinaire   où Lawrence, à dos de dromadaire, traverse l’écran pour aller retrouver un homme perdu dans le désert.

Pourtant, malgré sa démesure, Lawrence d’Arabie est un film profondément intime : le portrait fascinant d’un homme qui plonge dans la folie. D’ailleurs, Lean n’en rajoute jamais dans la surenchère, préférant souvent coller au plus près des visages plutôt que de se complaire dans un trop-plein de violence L’attaque de la colonne de Turcs est sans doute le passage le plus violent du film, mais cette violence est moins montrée (elle l’est tout de même) que suggérée par des gros plans sur Peter O’Toole, illuminé, et Omar Sharif, horrifié. Tous deux, paradoxalement, semblant avoir une conscience accrue de ce qu’ils sont en train de faire, de la frontière qu’ils franchissent.

Avec ce film, Lean a voulu évoquer la folie d’un homme trop conscient de son destin, débordé par l’ampleur de ce que ses décisions entraînent. En cela, le film rappelle bien souvent l’œuvre de Conrad dans Au cœur des ténèbres (adapté par Coppola avec Apocalypse Now). Par la même occasion, Lean l’engagé s’attaque aussi, comme il l’a souvent fait (La Route des Indes, La Fille de Ryan), au cynisme et à l’inhumanité de l’empire colonialiste, et des dérives qu’il entraîne.

Lawrence est un personnage hors normes, qui finit par ne plus être à sa place où que ce soit. Il y a une scène magnifique à la fin de la première partie, lorsque Lawrence, au mess des officiers, se retrouve face à tous ses semblables en uniforme, alors que lui est en habits arabes, seul, séparé des autres par une baie vitrée. Ces images soulignent le fossé qui sépare les militaires de l’empire et cet homme.

Dans le fond et dans la forme, le film est une totale réussite, impressionnante, bouleversante et troublante. Pas la moindre image anodine, tout au long de ces presque quatre heures de projection, jusqu’à l’ultime image : Lawrence traversant une dernière fois le désert pour retourner chez lui, précédé par une moto cruellement prémonitoire, annonçant sa mort à venir loin de cette terre dont la postérité lui accordera le nom.

• Le blue ray édité chez Sony est une merveille : l’image est somptueuse, et un second disque propose un long documentaire passionnant entre autres bonus.

La Fille de Ryan (Ryan’s daughter) – de David Lean – 1970

Posté : 26 décembre, 2013 @ 10:48 dans 1970-1979, LEAN David, MITCHUM Robert | Pas de commentaires »

La Fille de Ryan

Après une série de grands classiques, David Lean signe un nouveau chef-d’œuvre. Beaucoup plus méconnu que Lawrence d’Arabie ou Docteur Jivago, La Fille de Ryan relève pourtant de la même ambition : réaliser un grand film romanesque et intime à la fois, dans un pays déchiré par l’histoire en marche. Le résultat : une transposition à peine voilée de Madame Bovary, et l’un des films les plus beaux, les plus forts, sur l’Irlande des années 10.

Comme dans tous ses films, le lieu joue un rôle majeur. En l’occurrence, une petite ville de la côte irlandaise, sous domination anglaise, durant la Grande Guerre. On est loin de Dublin, où des affrontements sanglants se multiplient pour l’Indépendance. On est loin aussi du conflit qui fait rage sur le continent. De ces combats, on ne verra rien, mais ils sont pourtant omniprésents, pesant sur les habitants de cette terre déchirée (dans tous les sens du terme) et éloignée de tout, dont Lean signe un portrait formidable.

Les paysages, austères et magnifiques à la fois, romantiques et dangereux, donnent le ton du film. Son village est un lieu désœuvré, qui se cherche un héros. Coupés du monde et de ses enjeux, les villageois vivent repliés sur eux-mêmes. Ils ne se réveilleront que lorsqu’un leader indépendantiste choisira leur plage pour récupérer des armes destinées aux rebelles. Cela se passe lors d’une journée de tempête hyper spectaculaire, que Lean a mis plusieurs mois à tourner. Il y met en scène une unité soudaine qui s’improvise d’une manière totalement romantique face aux éléments. C’est magnifique, fulgurant et tragique à la fois.

La Fille de Ryan est aussi un film intime, peuplé de personnages fascinants : celui du prêtre (imposant Trevor Howard, à mille lieues de Brève rencontre) ; ou celui, bouleversant, de Michael « l’idiot du village » interprété par John Mills, visage grotesque et corps déformé, présence omniprésente qui se révèle le plus conscient des drames qui se nouent). C’est aussi une belle et complexe histoire d’amour.

Une jeune villageoise tombe amoureuse d’un homme plus âgé que lui qu’elle épouse, mais qui réalise vite qu’il lui manque quelque chose. Lean filme le couple constamment séparé par quelque chose : une porte, une chemise, ou simplement de la musique trop forte… Ce quelque chose qui lui manque, elle le trouve auprès d’un officier anglais en garnison, avec qui elle vit une passion sulgurante. Devant la caméra de Lean, tout disparaît autour d’eux : le décor s’efface, pour ne laisser la place qu’aux deux corps qui s’enlacent…

Dans le rôle principal, Sarah Miles est une belle héroïne romantique, emportée par le souffle de son époque. Dans celui de son mari, Robert Mitchum trouve l’un de ses très grands rôles. S’il est un film qui prouve définitivement que la star n’est pas le je-m’en-foutiste qu’il affirmait être, c’est bien celui-là. Son interprétation de cet instit effacé et trop doux, est absolument magnifique.

Vacances à Venise (Summertime) – de David Lean – 1955

Posté : 13 août, 2013 @ 12:52 dans 1950-1959, LEAN David | Pas de commentaires »

Vacances à Venise (Summertime) – de David Lean – 1955 dans 1950-1959 vacances-a-venise

Le grand Lean disait de Summertime que c’était son film favori. C’est en tout cas une œuvre charnière dans sa carrière, une production britannico-américaine qui fait le trait d’union entre les films anglais du cinéaste et ses grands films américains à venir. Après avoir élevé le tournage en studios au rang de grand art, c’est aussi avec ce film qu’il plonge pour la première fois au cœur de son décor naturel, comme il le fera avec le désert de Lawrence d’Arabie ou avec les paysages russes du Docteur Jivago.

Ce film-ci est d’une grande simplicité. Katherine Hepburn, Américaine vieillissante, tente de rompre sa solitude en passant quelques jours de vacances à Venise. Elle est heureuse comme tout de découvrir la sérénissime. Un peu exubérante, elle arpente les ruelles et les canaux avec émerveillement. Les premières minutes du film sont déconcertantes : une espèce de carte postale aux couleurs vives, une ville pleine de clichés que Hepburn découvre comme la touriste qu’elle est, passant d’ailleurs son temps à filmer ce qu’elle voit.

Et puis une rupture, a priori sans importance : alors que la touriste s’émerveille de ce qu’elle voit, du calme et de la pureté de la ville, la surface du canal est troublée par des détritus jetés par une fenêtre. Ce n’est rien, mais ce simple geste vient bouleverser le ton du film, cassant l’image d’Epinal et fragilisant le sourire presque béat d’Hepburn.

L’actrice est filmée comme Venise : avec amour, mais avec ses contradictions. Le romantisme de la ville se révèle terrible pour cette femme seule qui, alors qu’elle est assise sur une terrasse de la place Saint-Marc, prend soudain conscience de sa profonde solitude, et s’invente maladroitement un compagnon.

La caméra de Lean plonge dans le cœur de Venise, comme dans celui de l’actrice. Et le fossé entre l’image que l’une et l’autre veulent bien donner, et leur réalité profonde, est abyssal. Rien ni personne n’est aussi pur et simple que l’image qu’il donne. Le beau prince n’est finalement qu’un homme avec ses contradictions. Le romantisme désespéré de Brève rencontre, autre liaison extraconjugale filmée dix ans plus tôt par Lean, a des allures bien différentes ici.

Katherine Hepburn est formidable, parce qu’elle donne vie à la lutte intérieure à laquelle se livre cette Américaine pleine des beaux principes et de la fierté de son pays qui, peu à peu, accepte de laisser éclater son humanité, ses désirs et ses fêlures.

• Souvent exigeant dans le choix de ses bonus (et de ses films), Carlotta joue la sobriété avec le DVD édité en 2011. Au menu : la bande annonce, et une courte présentation par le toujours passionnant Pierre Berthomieu.

Oliver Twist (id.) – de David Lean – 1948

Posté : 8 janvier, 2013 @ 2:05 dans 1940-1949, LEAN David | 1 commentaire »

Oliver Twist (id.) – de David Lean – 1948 dans 1940-1949 oliver-twist-lean

Après le succès de Great Expectations, Lean adapte un autre roman de Dickens, le plus célèbre peut-être. La parenté entre les deux films est évidente, et saute aux yeux dans les premières séquences : les deux films commencent dans une lande déserte et laide, sous un ciel menaçant plastiquement impressionnant. Ce qui était réussi dans le film précédent touche carrément au sublime ici.

Lean creuse le même sillon, mais va plus loin, à l’image de ces nuages de la première séquence, plus gros, plus menaçants, plus impressionnants. Tout dans Oliver Twist est « plus ». Plus tragique, plus émouvant, plus spectaculaire, plus rythmé… Le roman (le premier de Dickens) se prête parfaitement à cette ambition grandissante, avec une histoire qui pousse particulièrement loin les limites du mélodrame, et nous entraîne dans les bas-fonds de l’humanité, éminemment cinégéniques.

Et Lean se donne les moyens de donner vie à ces décors glauques. L’asile où Oliver grandit, les rues mal famées de Londres où il se réfugie, la planque de Faggin qui en fait un voleur… Les décors, tous reconstitués en studio, font partie des plus impressionnants de l’histoire du cinéma, foisonnants de détails, humides et menaçants. Lean les met en valeur merveilleusement.

Filmés dans un noir et blanc très contrasté, proche de l’expressionnisme, ces décors sont omniprésents dans la narration voulue par Lean, qui soigne ses cadrages comme jamais. Agressifs et souvent désaxés, les cadres somptueux soulignent l’environnement oppressant et violent dans lequel Oliver grandit, et font du film une splendeur visuelle.

Les acteurs sont formidables. Les personnages, il est vrai, ont de la matière. Derrière l’aspect grand-guignol de Faggin par exemple (Alec Guinness, méconnaissable derrière un nez crochu qui avait déclenché des tonnerres de protestation aux Etats-Unis, où le film avait finalement été interdit parce que ce personnage serait une caricature de juif…), on devine le pathétique du personnage. La jeune Nancy, voleuse dont l’humanité éclate face au destin cruel d’Oliver, bouleverse par son destin tragique… Autour d’Oliver, qui disparaît quasiment du film dans la seconde moitié, tous les personnages « secondaires » ont leur vie propre. C’est l’une des forces de cette merveille, qui n’a pas pris une ride.

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