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Archive pour la catégorie '1920-1929'

L’Homme le plus laid du monde (The Way of the Strong) – de Frank Capra – 1928

Posté : 21 décembre, 2024 @ 8:00 dans * Films de gangsters, 1920-1929, CAPRA Frank, FILMS MUETS | Pas de commentaires »

The Way of the Strong

En commençant son film par une course-poursuite pleine de rythme et de fureur, Capra donne le ton de ce film, qui doit plus à la mode du film de gangsters (très en vogue depuis le Underworld de Josef Von Sternberg) qu’à l’émergence de son propre style, déjà tangible dans The Matinee Idol, sa précédente réalisation.

The Way of the Strong n’est pas un Capra classique, pas tel qu’on l’imagine. Mais un film auquel le cinéaste apporte un ton singulier, un mélange d’humour et de gravité, et cette extraordinaire maîtrise du rythme qui est son indéniable marque.

Son héros s’appelle Handsome Williams. Mais, ironiquement, il est d’une laideur repoussante. Il est aussi un bootlegger en guerre ouverte avec le chef d’un autre gang de trafiquants, dont il vole toutes les cargaisons avec un plaisir sadique.

Mais l’homme est aussi transi d’un amour secret pour une belle violoniste aveugle, qui se retrouve prise au cœur de cette guerre de gangs, mais aussi d’une rivalité entre Handsome et son protégé, beau gosse lui, qui tombe également amoureux de la belle aveugle.

Le film n’a pas l’âpreté réaliste d’Underworld. Du vrai monde, Capra ne filme finalement pas grand-chose, résumant son univers à deux repères de contrebandiers et à leurs habitués, ne montrant rien du monde extérieur, si ce n’est quelques plans de rues et routes désertes, ou fréquentées par des policiers.

Et, donc, cette jeune femme aveugle ballotée d’un gang à l’autre, d’un amoureux à l’autre, d’un repère à l’autre, centre d’intérêt constamment tiraillée, incarnation du rythme même de ce film mené sans temps mort.

Capra a déjà fait plus personnel, sans même parler de ses nombreux chefs d’œuvre à venir. Mais ce n’est pas une raison pour négliger ce film, lui-même tiraillé entre le mélo et le film noir, avec même des tentations de comédie malgré un final rudement dramatique, porté surtout par un Mitchell Lewis d’une intensité folle dans le rôle de Handsome, brute étonnamment émouvante.

Napoléon – d’Abel Gance – 1927 (restauration 2024)

Posté : 3 décembre, 2024 @ 8:00 dans 1920-1929, 2020-2029, FILMS MUETS, GANCE Abel | Pas de commentaires »

Napoléon 1927

Voilà le film le plus long de ce blog : près de 7h30 de projection. Peut-être même le plus ambitieux, le plus énorme, et le plus mythique. Et c’est pourtant un film inachevé, ou plutôt le premier volet d’une immense saga qui devait retracer toute la vie de Napoléon jusqu’à sa mort. Parce que ces 7h30 hallucinantes se concentrent sur la jeunesse et l’ascension de Bonaparte, jusqu’au début de sa triomphale campagne d’Italie, en 1797.

Le Napoléon d’Abel Gance a toujours été un grand classique du cinéma, quelle que soit son montage (le plus récent et le plus complet, datant d’il y a une vingtaine d’années, dépassait déjà les 5h). Mais jamais, depuis près d’un siècle, on n’avait eu l’occasion de voir ce qui ressemble bien à la vision définitive de Gance, qui plus est avec une restauration qui frôle la perfection : 7h18 de film, donc, projeté en deux parties.

Au-delà de l’intérêt historique de la chose, Napoléon surprend et émerveille par l’ampleur de sa mise en scène, et par sa beauté visuelle assez hallucinante. A vrai dire, il semble bien qu’il n’y ait pas le moindre plan anodin dans cette fresque fleuve. C’est comme si Abel Gance (qui se réserve le petit rôle de Saint-Just) avait pensé chaque image comme une œuvre en soit. Pour dire ça autrement : il y a plus de cinéma dans une seule scène de Napoléon que dans la majorité des blockbusters actuels.

Voir Napoléon aujourd’hui impressionne d’ailleurs par cette ambition formelle, et par les moyens qui y sont déployés : des centaines, voire des milliers de figurants à l’écran, une reconstitution historique impressionnante, et surtout une invention formelle de chaque instant. On a beaucoup parlé du triple écran, innovation technique spectaculaire qui se résume à vrai dire au dernier quart d’heure, soulignant l’ampleur et la dimension quasiment mystique de la campagne d’Italie. Mais ce n’est finalement qu’une innovation parmi d’autres.

Un montage savant, des travellings dynamiques qui nous plongent au cœur de l’action et des drames, une caméra portée autrement plus convaincante que les excès du cinéma hollywoodien récent qui rendent l’action illisible… Ce n’est pas la première fois qu’Abel Gance signe une grande fresque qui est aussi du cinéma total : quatre ans plus tôt, La Roue était déjà un immense chef d’œuvre d’une invention et d’une maîtrise hallucinantes.

L’ambition est sans doute plus grande encore pour Napoléon. Et même s’il n’évite pas quelques longueurs (dans la partie finale surtout, qui flirte avec la grandiloquence), le film bénéficie d’un rythme incroyable, tout au long de séquences toutes mémorables. Dès la première : magnifique évocation de l’enfance de Bonaparte à l’école militaire de Brienne, avec une bataille de boules de neige homérique et la présence très symbolique (et émouvante) d’un aigle.

Le plus impressionnant : le siège de Toulon, sommet de mise en scène qui confronte la légende de l’homme aux horreurs des combats. Et voilà sans doute l’une des plus grandes batailles jamais filmées au cinéma. Parce que Gance y filme aussi bien le mouvement général des combats que les visages rageux et les corps détruits, avec un mélange d’efficacité et d’émotion inégalé.

Le film est ainsi une succession de grands moments, d’événements historiques plus ou moins romancés, qui sont aussi une manière de raconter la révolution française du point de vue de Napoléon. La manière dont Gance réussit à garder ce point de vue, alors que l’homme ne participait pas aux événements, est brillante : il filme Bonaparte installé à son bureau, dans un appartement qui domine la scène, manière de l’inclure dans le récit tout en l’en gardant à distance.

Gance accorde aussi beaucoup d’attention aux autres personnages, historiques pour la plupart, à commencer par sa rencontre avec Joséphine, et leur passion naissante. Mais les plus beaux personnages, ceux qui donnent du relief à ces figures historiques, ce sont les gens du peuple, en particulier la jeune femme jouée par Annabella (dans son tout premier rôle), jamais bien loin du futur empereur, qu’elle aime d’un amour secret.

La plus belle scène du film est, d’ailleurs, peut-être celle qui s’éloigne le plus des faits historiques. Ce moment où la jeune femme se laisse emporter par son imagination romantique : ses « noces » avec l’ombre si reconnaissable de Napoléon. La puissance de la mise en scène de Gance, entièrement au service de l’émotion… C’est beau.

On pourrait évoquer à peu près n’importe quel moment du film, tant il est riche. Ou simplement conclure : voir Napoléon dans cette version là est une expérience de cinéma rare.

Le Mystère de la Vallée blanche (The Valley of Silent Men) – de Frank Borzage – 1922

Posté : 30 septembre, 2024 @ 8:00 dans 1920-1929, BORZAGE Frank, FILMS MUETS, WESTERNS | Pas de commentaires »

The Valley of Silent Men

A cette époque de son parcours, The Valley of Silent Men semble étrangement anachronique pour un Frank Borzage qui avait déjà délaissé les westerns de ses débuts pour des thèmes plus personnels, en particulier avec Humoresque ou Back Pay.

Retour au western, donc, ou plutôt au « northern », variation glacée du genre, avec course poursuite dans les grandes étendues désertes, bandits et prisons, meurtres et mystère. Remarquez bien que ce n’est pas du côté de l’intrigue qu’il faut chercher l’intérêt du film. Adapté d’un roman de James Oliver Curwood (auteur alors très en vogue : au moins une dizaine de films adaptés dans les deux seules années précédentes), le scénario ne convainc pas franchement.

Le mystère profond (qui accouchera d’une souris) assure l’intérêt, sans éclat : qui est donc cette jeune femme qui vient en aide au traqueur de la police montée forcé de prendre à son tour la suite après avoir avoué un meurtre qu’il n’a pas commis, pour sauver un ami et parce qu’il pensait n’avoir plus que quelques jours à suivre (c’est clair ?).

Les parti-pris sont étonnants, avec des personnages qui ne cessent de se croiser par un hasard bien pratique, dans des paysages pourtant immenses. Mais même dans cette immensité, le film a des allures de petit théâtre, étonnamment intime, où les distances semblent ne rien vouloir dire.

Ces paysages sont sans doute la seule raison d’être du film. Borzage, qui a consacré de longs mois à ce tournage, s’en tire plutôt bien, en particulier lors du grand morceau de bravoure, sur le glacier : un moment de suspense qui n’a toutefois pas la portée émotionnelle des grands films de montagne allemands d’Arnold Fanck, dont la manière de filmer les massifs et la neige sera autrement plus puissante.

Le fait qu’il manque quelques scènes (reconstituées par des intertitres) dans la seconde moitié n’aide sans doute pas à apprécier pleinement le film. Mais on peut quand même se risquer à affirmer que Borzage, dans la montagne enneigée, sera nettement plus inspiré avec The Mortal Storm quelques années plus tard. Un authentique chef d’œuvre, lui.

Le Club des trois (The Unholy Three) – de Tod Browning – 1925

Posté : 21 août, 2024 @ 8:00 dans * Films de gangsters, 1920-1929, BROWNING Tod, FILMS MUETS | Pas de commentaires »

Le Club des Trois

Tod Browning dans l’univers du cirque ? C’est avant L’Inconnu et Freaks, et c’est forcément très excitant, surtout que le cinéaste dirige une nouvelle fois son alter-ego du muet, le grand Lon Chaney. Le Club des trois, pourtant, m’a laissé sur ma faim, donnant le sentiment d’une petite chose pas désagréable, mais bien vaine à côté des deux chefs-d’œuvre à venir.

C’est un peu à l’image de Lon Chaney qui, s’il se déguise (ça devait être contractuel!) bien sous les traits d’une vieille dame très convenable qui sert de couverture à ses activités illégales, incarne un personnage pour une fois bien convenu : un ventriloque (dans un film muet, on ne peut que croire les cartons sur parole) qui se sert de son don pour monter une arnaque avec deux autres artistes du cirque, un colosse (Victor McLaglen, juste avant de commencer sa collaboration avec John Ford) et un nain aux traits juvéniles (Harry Earles, que l’on reverra dans Freaks).

Le personnage est assez classique. Le film l’est tout autant, Browning délaissant l’horreur au profit d’un récit policier assez simple. Ce n’est d’ailleurs que quand le cinéaste laisse allers ses penchants pour la bizarrerie que son film reprend du souffle, en particulier lorsque le nain aux allures de bébé tout mignon révèle sa cruauté.

Là, Le Club des trois dérange, bouscule et passionne. Pour l’essentiel, il se laisse voir avec un petit plaisir vaguement distrait. C’est bien, mais on attend tellement plus fort du cinéaste de West of Zanzibar.

L’Athlète incomplet (The Strong Man) – de Frank Capra – 1926

Posté : 2 juin, 2024 @ 8:00 dans 1920-1929, CAPRA Frank, FILMS MUETS | Pas de commentaires »

The Strong Man

Difficile de trouver dans ce premier long métrage ce qui fera la beauté du cinéma de Frank Capra. Il y a du rythme, de l’inventivité, et même une certaine folie, mais rien de commun avec les chefs d’œuvre qu’il ne tardera pas à enchaîner, dès la fin du muet.

Pour ce film de jeunesse, Capra est encore l’employé de Mack Sennett, et le gagman d’Harry Langdon, tellement content de lui qu’il le propulse au rang de réalisateur. Quelque part entre Keaton et Lloyd, le côté lunaire plus affirmé, Langdon n’est pas le comique le plus enthousiasmant de cette époque si riche pour la comédie américaine. Mais son cinéma est généreux, et particulièrement ce Strong Man, dans lequel on trouve ce pourrait être la matière d’une demi-douzaine de films.

Ça commence comme une comédie guerrière, bifurque vers une vision acide du sort des immigrés, se dirige vers une tendre romance, tout en étant une farce dans le milieu du cirque ambulant, sans oublier la vision forcément décalée d’un petit campagnard qui découvre la grande ville… Bref, The Strong Man a une petite tendance à partir dans tous les sens, et manque d’une ligne directrice forte.

Mais dans cette espèce de grand fourre-tout, assez inégal, les petits moments de plaisirs ne manquent pas. Certains gags sont éculés (Langdon soldat, très très inspiré de Charlot Soldat), d’autres en revanche font mouche : la scène de l’escalier dans le grand hôtel, ou celle très spectaculaire du saloon.

Surtout, cette petite comédie qui aborde tant de genres et d’univers différents peut être vue comme une opportunité assez folle, pour Capra, de faire ses armes, comme une formation en accéléré, qu’il complétera avec son film suivant, le second avec Langdon (Long Pants), avant de passer aux choses sérieuses…

Jours de jeunesse (Gakusei romansu : wakaki hi) – de Yasujiro Ozu – 1929

Posté : 25 janvier, 2024 @ 8:00 dans 1920-1929, FILMS MUETS, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Jours de jeunesse

C’est le huitième film d’Ozu, mais le premier conservé, toutes ses réalisations précédentes étant présumées perdues. Autant dire que c’est une œuvre importante : pas l’acte de naissance, mais l’œuvre la plus ancienne, forcément fondatrice, du plus grand réalisateur du monde…

Bon. Si sa carrière avait dû s’arrêter là, Ozu n’aurait pas été le plus grand réalisateur du monde. Sans doute son nom nous serait-il même rester totalement inconnu. C’est que Jours de jeunesse, comédie étudiante comme il en tournera d’autres dans les mois et années qui suivent, est une petite chose aussi sympathique qu’anodine.

Un élément, quand même, en fait une œuvre unique, au moins dans la filmographie du cinéaste : une grande partie du film se déroule à la montagne, durant un week-end de ski. Ozu et les sports d’hiver, voilà un mariage auquel on n’aurait pas pensé spontanément.

Il faut rappeler quand même qu’à l’époque, Ozu est un jeune réalisateur en construction, avant tout au service du studio pour lequel il bosse (la Shockiku), et qu’il n’hésite pas à se plier aux demandes du public. Les sports d’hiver étant alors en pleine éclosion au Japon, le voilà donc plantant ses caméras dans la neige.

Une curiosité, donc, qui ne brille pas par son originalité. Pour résumer : deux amis étudiants qui se disputent pas même jeune femme, ce triangle amoureux étant raconté à grand renfort de chutes et de glissades mal contrôlées, un peu répétitives et pas franchement hilarantes.

Pas désagréable pour autant, la comédie s’avère même délicieusement méchante lorsqu’elle s’attarde sur la mesquinerie de l’un des deux amis, le cancre, dont le sens de la morale est très discutable. On le voit donc ridiculiser son ami pour faire le coq auprès de la belle, ou faire tomber cette dernière dans la neige pour le plaisir de lui essayer les fesses.

Mais cette méchanceté ne va pas bien loin, et le film aurait nettement gagné à être resserré, pour se rapprocher des modèles revendiqués d’Ozu. On pense évidemment aux comédies d’Harold Lloyd, dont plusieurs personnages s’inspirent de l’allure, mais dont Ozu n’a clairement pas le génie comique. D’ailleurs, c’est une l’affiche de Seventh Heaven qui trône dans la chambre des étudiants. Pas exactement une comédie, mais Ozu était un grand admirateur de Frank Borzage, qu’il a toujours cité comme une source d’inspiration.

Chantage (Blackmail) – d’Alfred Hitchcock – 1929 (version muette)

Posté : 10 janvier, 2024 @ 8:00 dans * Polars européens, 1920-1929, FILMS MUETS, HITCHCOCK Alfred | Pas de commentaires »

Chantage version muette

Ça m’avait échappé, mais le premier film parlant d’Hitchcock… était un film muet. C’est en tout cas comme ça que le cinéaste l’a tourné initialement, se préparant toutefois à le transformer pour s’adapter au son qui se déployait alors. La postérité n’a retenu que la version parlante, et c’est le hasard qui m’a permis d’apprendre qu’une version muette existait bel et bien.

Le hasard, en l’occurrence une erreur du petit cinéma de province où j’ai mes habitudes, qui dans le cadre d’une petite rétrospective Hitchcock annonçait la projection en VO de Chantage, film des débuts du parlant. Et à la caisse, le sourire désolé du directeur : « Le distributeur a envoyé une copie muette, sans musique ». Et moi, ravi : « Mais c’est génial ! Je ne savais pas que ça existait ! »

Et c’est vrai que c’est assez génial, cette version qui rappelle que, dans la version que l’on connaît, le meilleur moment du film est une séquence entièrement muette : une longue scène, la première, qui suit le quotidien de deux policiers dont la journée est rythmée par l’arrestation d’un malfaiteur et sa mise en examen.

Cette scène d’ouverture m’a toujours bluffé. La version muette du film est entièrement de ce niveau, véritable leçon de cinéma qui reste incroyable près d’un siècle plus tard, plus percutante et plus efficace qu’à peu près tout ce que le cinéma de genre nous offre depuis quelques années. Cette parenthèse « vieux con » étant refermée, revenons à notre sujet…

Cette version-ci de Chantage est plus dense, plus rythmée, moins datée aussi, parce que dépouillée des expérimentations sonores des premiers temps. Mais la différence entre les deux versions ne se limite pas à la bande sonore : plusieurs séquences ont également été entièrement retournées pour donner la parole aux acteurs, avec des différences parfois notables.

L’exemple le plus frappant : la scène du drame, où les angles de caméra sont très différents d’une version à l’autre. Ici, c’est le point de vue d’Anny Ondra qui est privilégié. Sans affirmer que la scène est plus pertinente ici ou là, comparer les deux versions, comme je l’ai fait en revoyant la version parlée le soir-même, se révèle un exercice passionnant.

La Grande Passion – d’André Hugon – 1928

Posté : 26 novembre, 2023 @ 8:00 dans 1920-1929, FILMS MUETS, HUGON André | Pas de commentaires »

La Grande Passion

Il serait sans doute très présomptueux d’affirmer qu’André Hugon invente ici le film de sports. En creusant un peu, on doit pouvoir trouver cinquante exemples de films antérieurs. Variétés par exemple, si on part du principe que le trapèze est bien un sport, et dont l’intrigue présente quelques points communs avec cette Grande Passion.

Dans les deux cas, on trouve deux partenaires d’un même sport, attirés par la même femme. Et dans les deux cas, c’est le contexte sportif qui sort le film du classique schéma du triangle amoureux. Cela dit, la comparaison s’arrête là, ne serait-ce que parce que là où le trapèze était au fond un simple ressort dramatique, le rugby ici semble être la raison d’être première du film.

Sans vouloir balayer d’un revers de la main la tension amoureuse de ce triangle-qui-est-en-fait-un-carré (Hugon s’en charge lui-même), il faut bien reconnaître que l’intrigue n’a pas grand-intérêt, et que le personnage de la vamp tentatrice et manipulatrice jouée par Lil Dagover (Le Cabinet du Docteur Caligari, Les Trois Lumières, Tartuffe… une carrière de dingue dans les années 20) n’a pas un relief incroyable.

Ce carré amoureux, donc, est en fait prétexte à multiplier les morceaux de bravoure et les expérimentations. Et c’est là que se situe tout l’intérêt, la réussite, et aussi les limites de La Grande Passion. Et pas seulement sur les terrains de rugby, qui constituent le cœur vital du film : on compte aussi quelques scènes de luge (molles du genou) et une course-poursuite à ski (plus percutante que bien des scènes similaires dans les décennies à venir).

Mais là où le film est vraiment passionnant, c’est dans sa manière de nous plonger dans l’effervescence d’un match de rugby. A la fois dans l’attente d’un grand match international, avec de longues scènes de liesse populaire volées dans la rue, forcément très immersives. Et surtout dans le stade, avec des spectateurs qui sont sans doute d’authentiques supporters. Et sur le terrain bien sûr.

C’est là qu’André Hugon se montre le plus ambitieux, se posant pour le coup comme un authentique précurseur du film sportif, alternant les plans larges qui semblent être documentaires, et des gros plans inventifs… et plus ou moins convaincants. Hugon reprend et développe ainsi l’utilisation des planchers de verre, popularisés par The Lodger d’Hitchcock l’année précédente, qui permettent littéralement d’adopter le point de vue du sol. Ce qui donne quelques images étonnantes et étrangement immersives.

Plus problématiques : ces faux travellings censés accompagnés les joueurs lancés en pleine course… dont on voit bien qu’ils font semblant de courir devant un fond qui défile. Franchement rigolos pour le coup, ce qui n’est clairement pas le but. Ce serait un peu facile de ricaner près d’un siècle plus tard. Saluons pour le moins les efforts, profitons des belles trouvailles et du rythme généreux… La Grande Passion est une curiosité très séduisante.

Pêcheur d’Islande – de Jacques de Baroncelli – 1924

Posté : 25 novembre, 2023 @ 8:00 dans 1920-1929, DE BARONCELLI Jacques, FILMS MUETS, VANEL Charles | Pas de commentaires »

Pêcheur d'Islande

Comme la passion et les espoirs de la pauvre Gaud, qui attend désespérément que son rustre de marin lui déclare son amour, le film de Jacques de Baroncelli souffle constamment le chaud et le froid, et nous fait passer d’un désintérêt poli à un enthousiasme fervent. L’effet des embruns bretons, sans doute…

Gaud, jeune femme de Paimpol au visage taillée pour la tragédie… Les drames, d’ailleurs, s’accumulent autour d’elle. C’est le destin des femmes bretonnes, qui se retrouvent au pied de la croix des veuves, d’où l’on voit le mieux les bateaux rentrer au port… ou ne pas rentrer. Tout un symbole, donc, cette Gaud, qui a le regard triste et débordant d’amour de Sandra Milowanoff, jeune actrice révélée chez Louis Feuillade, et qui connaîtra une brève mais belle carrière jusqu’à la fin du muet.

Jusqu’à Dans la nuit à vrai dire, le film que réalisera Charles Vanel en 1929. Et c’est justement Charles Vanel qui interprète ici le marin rustre, celui qui ne se décide pas à déclarer son amour. Grand acteur, décidément, y compris dans ses jeunes années, où sa forte stature ne dissimule qu’à moitié une grande sensibilité ravalée. Il est formidable Vanel, dans ses doutes et dans ses obstinations, dans sa manière d’éviter le regard de Gaud, et de regarder la Mer, son autre amour.

Le vrai personnage principal de cette adaptation du roman de Pierre Loti (Charles Vanel jouera un rôle secondaire dans une autre adaptation, très libre, que tournera Pierre Schoendorffer trente-cinq ans plus tard), c’est elle, la mer. Et c’est peut-être un peu ambitieux pour Jacques de Baroncelli, qui n’a ni le regard poétique de Jean Epstein (Finis Terrae), ni le génie dramatique de Duvivier (La Divine Croisière), et qui ne réussit pas totalement à faire de la mer une entité vraiment forte.

Il y met les moyens pourtant (bon… pas dans le choix des maquettes de bateau, qui font très… maquettes de bateau), avec un montage savant et l’utilisation de transparences pour le coup joliment dramatiques. Les scènes les plus amples sont appliquées, un peu sages. Mais la magie opère pleinement dans quelques scènes remarquables, parfois très fugaces.

La main d’une veuve qui caresse celle de Gaud, la grand-mère qui assiste à travers un drap à une demande en mariage tant attendue, ou encore, et surtout, l’étonnante rencontre au large et en pleine brume avec un « vaisseau fantôme », moment où le temps semble suspendu visuellement magnifique et émotionnellement très fort.

Maman Colibri – de Julien Duvivier – 1929

Posté : 20 novembre, 2023 @ 8:00 dans 1920-1929, DUVIVIER Julien, FILMS MUETS | Pas de commentaires »

Maman Colibri

Sur le papier, Maman Colibri semble bien moins ambitieux que Le Tourbillon de Paris, La Divine Croisière ou Au bonheur des Dames, pour ne citer que quelques-uns des joyaux muets de Duvivier : un simple mélo, énième variation autour du thème de la femme martyr.

A l’écran, c’est tout le génie et la sensibilité du cinéaste qui apparaissent, éclatantes. L’utilisation des gros plans, des silences (oui, même dans le muet, il y a des silences qui en disent long), du montage… Tout dans ce film est une apologie de la puissance inégalable du langage cinématographique.

Devant la caméra de Duvivier, cette mère de famille interprétée par Maria Jacobini (37 ans au moment du tournage, sans doute un peu jeune pour le rôle, mais elle est magnifique) devient une sorte de symbole féministe, ou plutôt de l’injustice institutionnalisée dont sont victimes les femmes.

Elle, entre deux âge, étouffée entre un mari raide et autoritaire, un fils aîné dédaigneux, et une folle envie de vivre, un besoin que le corps exulte. Alors elle « se laisse tomber amoureuse » d’un jeune homme, un ami de son fils, qui lui-même n’a jamais connu l’amour. Ils s’aiment, ils partent ensemble. Mais tout ça n’aura qu’un temps…

Le sujet, en fait, est d’une grande force : cette femme qui cherche à vivre cette jeunesse dont, sans doute, elle a été privée, et qui s’observe longuement dans le miroir, guettant les premières rides, ou les signes encore présents de sa jeunesse. C’est bouleversant.

Cette femme, condamnée à vivre à travers le regard des hommes. Celui, glaçant, de son mari. Celui, d’abord tendre puis fuyant de son amant, qui l’emmène en Algérie, dans un décor de rêve où tout finit par se déliter.

Duvivier, bien sûr, tourne en décors naturels, et le contraste est fort entre la grisaille parisienne et le soleil éclatant d’Algérie, dont il capte l’atmosphère, presque le parfum. On lui pardonne une poignée de plans kaléiodoscopiques (tout en se demandant à quoi ils peuvent bien servir), pour s’extasier sur les travellings, les mouvements de grue, les alternances de gros plans et de plans larges.

La manière, aussi, dont il joue avec les décors naturels et les décors de studios. Aux grandes étendues lumineuses des extérieurs algériens, succèdent des plans d’intérieurs, où les éléments de décors (comme le piano) semblent enfermer la triste héroïne, pas dupe de l’isolement dans lequel elle est poussée.

C’est beau, c’est brillant, et la conclusion est d’une intensité renversante, tout en évitant la surenchère qui, trop souvent, plonge les mélos. Ce n’est pas le cas chez Duvivier, qui a bien compris que le destin de cette femme, son voyage désabusé des derniers feux de la jeunesse à l’âge mûr, est suffisamment poignant pour ne pas en rajouter.

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