Play it again, Sam

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Archive pour avril, 2012

Au bonheur des dames – de Julien Duvivier – 1930

Posté : 30 avril, 2012 @ 6:35 dans 1930-1939, DUVIVIER Julien, FILMS MUETS | Pas de commentaires »

Au bonheur des dames Duvivier

C’est l’un des derniers films français muets, alors que le parlant s’était déjà généralisé. Et il fallait du courage à Duvivier, pour imposer cette technique considérée alors comme archaïque, pour un film aussi ambitieux que cette adaptation du roman de Zola. Un roman où la foule et le bruit jouent un rôle primordial. Et pourtant, le muet restitue parfaitement ce vacarme d’un nouveau monde : celui des grands magasins qui se développent en condamnant les petites boutiques d’antan. Une époque qui disparaît, une autre qui commence… Un peu comme le cinéma muet, à qui Duvivier offre un dernier soubresaut, mais qui disparaissait déjà au profit du parlant qui remisait les artisans d’hier, aussi talentueux soient-ils, au rang de dinosaures inutiles. Un bel adieu en signe de chant d’amour.

Car cette année-là, l’immense majorité des films français n’étaient rien d’autre que du théâtre filmé (souvent platement), et mal dialogués. Qu’importe la forme pourvu qu’on ait le son. Ici, la caméra de Duvivier se substitue parfaitement au style de Zola pour transcrire ce monde grouillant. Le cinéaste filme remarquablement la foule et son mouvement perpétuel : le bruit omniprésent est clairement tangible, par la seule force des images… Un art narratif qui atteint une sorte de perfection.

Paradoxalement, le son (le bruit, plutôt) est au cœur de ce film muet, qui se fait de plus en plus assourdissant, jusqu’à l’apogée du film, avec un montage alterné ahurissant qui souligne d’une manière incroyable la folie et la rage grandissantes du petit commerçant, Baudu, qui voit son magasin courir à sa perte, sa fille malade mourir de chagrin, et sa nièce (Denise, jeune orpheline jouée par Dita Parlo) tomber amoureuse du patron du grand magasin installé jusqu’en face de chez lui (Pierre de Guingand apporte son charme et son élégance à Mouret, le faux méchant de l’histoire).

Et curieusement, le moment le plus calme du film, ce film où cette cohue semble enfin s’effacer le temps d’un court instant, comme si le monde retenait son souffle, est aussi celui où Dita Parlo prononce l’unique réplique parlée du film : après avoir giflé gentiment un Mouret un peu trop entreprenant, elle s’exclame : « Pardon, je ne l’ai pas fait exprès », réplique douce et désuète qui souligne joliment cette parenthèse enchantée. C’est aussi dans cette scène que Dita Parlo parvient enfin à s’extirper de la ville tentaculaire : son visage se dessine pour la première fois sur un ciel ensoleillé et pur, que ne vient pas perturber le bitume, la foule ou les immeubles. Seule, enfin.

Au bonheur des dames est l’une des plus belles adaptations d’un roman de Zola, bien plus passionnante, par exemple, que le Nana de Renoir. Duvivier, s’il prend quelques libertés, retrouve l’esprit du roman, en évitant tout manichéisme, et en soulignant la mesquinerie des hommes et leur vision étriquée. Du patron du grand magasin ou du petit commerçant de quartier, lequel est le plus coupable ? « Le seul responsable, c’est le progrès », conclut finalement Dita Parlo (et Duvivier), avec une pointe d’amertume, mais en regardant enfin vers l’avenir. Non sans de cruels sacrifices : le progrès est incontournable, mais il a un prix.

Pandora (Pandora and the Flying Dutchman) – d’Albert Lewin – 1951

Posté : 30 avril, 2012 @ 10:38 dans 1950-1959, FANTASTIQUE/SF, LEWIN Albert | Pas de commentaires »

Pandora

Dans la brève carrière de cineaste d’Albert Lewin (six longs métrages entre 1942 et 1957), ce Pandora constitue le point d’orgue. Après deux magnifiques adaptations de classiques de la littérature (Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde et Bel-Ami de Maupassant), Lewin s’inspire d’un mythe qu’il met au goût du jour : celui du « Hollandais volant », noble condamné à errer éternellement sur les mers après avoir tué la femme qu’il aimait. Il en tire une sorte de miracle de film, qui ne ressemble à aucun autre (si ce n’est, visuellement, avec Le Narcisse noir, dont il partage le chef opérateur, Jack Cardiff).

Le moindre plan est un chef d’œuvre : le cinéaste, qui s’était taillé une réputation de grande culture en tant que scénariste comme derrière la caméra, semble avoir travaillé chaque détail de ses images. Pas uniquement en filmant son couple vedette : dès la séquence d’introduction, le miracle s’installe. Dans un plan aussi discret qu’envoûtant, la caméra enveloppe Geoffrey, le narrateur du film, et semble le prendre dans ses filets pour l’envoyer vers cette fenêtre derrière laquelle tout un pan de son passé va ressurgir.

C’est ce passé qui nous est raconté : quelque temps plus tôt, dans ce port espagnol, le narrateur menait une vie de farniente avec une bande d’oisifs dont la belle Pandora représentait une sorte de phare. Langoureuse et passive, Pandora avait les hommes à ses pieds. Mais elle traversait la vie avec une sorte d’ennui et de dépression que le suicide de l’un de ses prétendants avait à peine fait vaciller. Car Pandora rêvait de l’amour ultime, celui pour lequel on est prêt à sacrifier ce qu’on a de plus cher. Ce que les hommes prenaient au mot : fou de voiture, un autre prétendant a ainsi fait faire à la voiture qu’il construisait depuis deux ans le grand plongeon du haut d’une falaise…

C’est alors que Pandora (Ava Gardner) a mis le pied sur ce mystérieux yacht, et qu’elle a fait la rencontre de l’étrange Hendrick van der Zee (James Mason), un Hollandais au secret incroyable. A son contact, la belle se met à nu pour la première fois. Au sens propre : jusqu’alors, Lewin a filmé Ava Gardner drapée des tenues les plus incroyables, tel le véritable mythe hollywoodien qu’elle est devenue cette année-là. Tellement belle, mais tellement inaccessible. Mais là, sur ce pont de bateau où elle met le pied dans son plus simple appareil, c’est l’émotion de la femme qui l’emporte pour la première fois sur la beauté de la star.

Lewin oppose constamment les excès et la vacuité de ce microcosme de bord de mer, à la profondeur des sentiments qui unissent Ava Gardner et James Mason, Sur terre, hommes et femmes tuent le temps ; sur ce yacht, le couple se place hors du temps. Ces deux-là ont plus qu’une attirance commune : ils ne font qu’un. En se rencontrant, la belle qui tuait le temps et le maudit qui voulait mettre un terme à son éternité ont trouvé l’âme sœur : deux fantômes qui se sont enfin débarrassés du temps…

Pandora vient de sortir en DVD, dans un beau coffret chez les Editions Montparnasse.

Rédemption (The Claim) – de Michael Winterbottom – 2000

Posté : 30 avril, 2012 @ 9:14 dans 2000-2009, WESTERNS, WINTERBOTTOM Michael | Pas de commentaires »

Rédemption

Il y a de la vie dans ce « western » enneigé et mélancolique, signé par un Michael Winterbottom particulièrement inspiré. Capable du meilleur (Jude) comme du beaucoup moins bon (Code 46), le cinéaste réussit là l’un de ses plus beaux films, à la fois spectaculaire, d’une justesse incroyable, et profondément émouvant.

Le décor évoque celui de John McCabe, le film de Robert Altman : même ville de pionniers isolée du monde par une nature d’un blanc immaculé, et régie par sa propre loi ; même réalisme dans la peinture du quotidien de ses habitants… Mais la comparaison s’arrête là, et The Claim a sa propre vie. C’est d’ailleurs ce qui frappe, dans ce film : l’impression de vie et de quotidien qui s’en dégage.

Loin des poncifs du genre, et délaissant toute figure imposée, Winterbottom place sa caméra au cœur de la population de cette petite ville. Il filme les visages comme autant de parties d’une foule et met en scène un joyeux (ou pas) bordel qui ne donne pas l’impression d’être maîtrisé. Résultat : le moindre figurant donne le sentiment d’être dans son élément, filmé à un moment impromptu de son existence.

La lumière, chaude dans les intérieurs éclairés à la bougie, immaculée dans les extérieurs couverts de neige, ne fait que renforcer ce réalisme si frappant.

Mais The Claim est aussi un beau film romanesque, fort et poignant. C’est le portrait d’une ville créée de toute pièce par un pionnier (Peter Mullan, extraordinaire), et qui attend de savoir si elle va prospérer, ou si elle va mourir. Pas d’entre-deux : tout dépend d’un seul homme, Wes Bentley, ingénieur des chemins de fer qui doit décider si le premier train transcontinental (celui-là même au cœur de grands westerns comme Le Cheval de Fer ou Pacific Express) passera ou non par la ville de Kingdome Come.

C’est l’histoire tous ces personnages qui se rencontrent à une époque charnière de la construction d’un pays. Ce jeune ingénieur en perpétuel mouvement, qui tombe amoureux d’une jeune femme (Sarah Polley), qui arrive à Kingdome Come avec sa mère mourante (Nastassja Kinski) pour découvrir ce père (Mullan) qui les a vendus il y a si longtemps contre un filon d’or, et qui vit désormais avec une tenancière de saloon, jouée par Milla Jovovich à une époque où elle était actrice (et plutôt bonne, qui plus est).

C’est l’histoire de ces êtres qui illustre ce monde qui disparaît, et cet autre qui apparaît. La construction de l’Amérique s’est faite par des actes de bravoure incroyables, mais aussi par une cruauté parfois inimaginable. Le personnage de Peter Mullan représente tout cela à la fois. A la fois monstrueux et charismatique, repoussant et attachant. Dans tous les cas, profondément émouvant. Un pur personnage de tragédie, bouleversant.

L’Evadée (The Chase) – d’Arthur D. Ripley – 1946

Posté : 29 avril, 2012 @ 11:28 dans * Films noirs (1935-1959), 1940-1949, RIPLEY Arthur D. | Pas de commentaires »

L'Evadée

Curieux film noir, qui commence dans la plus grande tradition du genre, avec un ancien G.I. (Robert Cummings) qui tombe amoureux de la femme d’un gangster (Michèle Morgan) et décide de s’échapper avec elle. Mais un twist inattendu amène le film au bord de l’onirisme, avec une atmosphère très particulière : quand est-on dans la réalité, quand est-on dans le rêve ? Pas facile de répondre à cette question.

Cette atmosphère si particulière, cette volonté d’être toujours sur le fil, jamais vraiment là où on l’attend, c’est la grande force d’un film par ailleurs un peu bancal : un scénario approximatif (pourtant signé Philip Yordan, d’après un roman de William Irish, romancier souvent visité par le cinéma, de L’Homme Léopard à La Mariée était en noir, en passant par Les Mains qui tuent ou La Sirène du Mississipi), une mise en scène sans éclat, et des acteurs pas vraiment en valeur.

Michèle Morgan trouve pourtant là l’un de ses rares rôles de premier plan à Hollywood. Mais son personnage n’existe pas vraiment, et n’est pas mis en valeur par la caméra de l’obscur réalisateur. Morgan qui rêvasse devant un fond d’écran représentant la mer, cela fait… eh bien Morgan qui rêvasse devant un fond d’écran ! Quand la magie n’opère pas, il n’y a rien à faire. Quant à Peter Lorre, il fait du Peter Lorre, avec son talent habituel, mais sans en rajouter.

Il y a pourtant quelques beaux moments furtifs, comme la mort d’un homme dans une cave d’excellents vins, avec ce Cognac Napoléon de 1815 qui se répand dans un égoût d’évacuation, tel la vie qui s’échappe par une mare de sang. Réussie aussi : la peinture de La Havane des années 40, gorgée de vie, où la débauche et les excès côtoient la misère. Là, lorsqu’il s’écarte un peu de son intrigue, Ripley semble être particulièrement inspiré.

Et il y a la fin, hallucinante. La montée dramatique, qui nous amène inexorablement vers l’incontournable affrontement entre Robert Cummings et ses ennemis, est évité par un rebondissement aussi subit qu’inattendu, à cause d’un inutile gadget, pour une fin absolument incroyable, sans doute sans équivalent dans l’histoire du film noir. Mine de rien, ce petit film bancal et au rythme trop lent se joue plutôt habilement de tous les codes du film noir. A défaut d’être un chef d’œuvre, c’est une vraie curiosité.

Le Rachat suprême (The Whispering Chorus) – de Cecil B. De Mille – 1918

Posté : 28 avril, 2012 @ 11:01 dans 1895-1919, De MILLE Cecil B., FILMS MUETS | Pas de commentaires »

Le Rachat suprême

Voler, c’est mal. John Tremble, le « héros » de ce mélodrame muet particulièrement cruel signé De Mille va s’en rendre compte bien amèrement, et en payer le prix fort…

Petit comptable sans le sou, tiraillé entre son mauvais ange et sa bonne conscience (qui apparaissent tout au long du film en surimpression : un visage d’homme pour le mal ; une douce femme pour le bien… De Mille ne fait pas exactement dans la légèreté, ici), il hésite entre mener une existence miséreuse mais honnête, vie dans laquelle il ne peut offrir ce qu’il souhaite à sa femme (Kathlyn Williams) et sa mère (la très digne Edythe Chapman) ; ou céder à la tentation en jouant au jeu d’argent et en volant de l’argent à son riche patron.

L’homme est faible, et souvent dominé par ses basses pulsions, dans la filmographie muette de De Mille. Tremble passe donc du côté obscur, et le piège ne tarde pas à se refermer sur lui. Acculé, il décide de disparaître, ce qui n’est pas le rebondissement le plus réussi du film : le départ semble bien précipité, alors qu’on ne ressent pas vraiment une pression énorme peser sur les épaules de notre pauvre héros.

Ce n’est pas non plus le rebondissement le plus spectaculaire, car la suite est tout bonnement incroyable. Réfugié dans les bois, Tremble découvre un cadavre qu’il « pêche » au bout de sa ligne, et qu’il décide de rendre méconnaissable pour le faire passer pour lui. Considéré comme mort, il refait sa vie dans les docks, devient estropié, et finit par être accusé de son propre meurtre, pendant que sa femme se remarie avec l’homme qui l’a fait arrêter (le très charismatique Elliot Dexter, un habitué du cinéma de De Mille). Et ce n’est pas fini…

Trop, c’est trop ? Non : De Mille signe un film hyper sombre, mais extrêmement poignant. Si le couple formé par Kathlyn Williams et Elliot Dexter est touchant, on sent De Mille bien plus ému par les rapports filiaux que par les relations maritales : il n’y guère de passion au sein du couple Tremble, et jamais le fuyard ne donne l’impression de regretter sa vie d’homme marié. C’est par contre le souvenir douloureux de sa mère qui le pousse à revenir.

L’un des deux plus beaux moments du film est d’ailleurs les retrouvailles entre la vieille mère et ce fils qu’elle ne reconnaît pas, un passage déchirant. L’autre, c’est cette scène où Jane Tremble, remariée, envisage de sacrifier cette vie de famille qui s’annonce, par fidélité pour son ancien mari. La caresse qu’elle esquisse au fantôme de son enfant pas encore né est bouleversante.

Furie (Fury) – de Brian De Palma – 1978

Posté : 28 avril, 2012 @ 10:54 dans 1970-1979, DE PALMA Brian, DOUGLAS Kirk, FANTASTIQUE/SF | Pas de commentaires »

Furie - De Palma

Chef d’œuvre ou nanar ? Film hyper maîtrisé ou brouillon de jeunesse ? Je suis bien incapable de dire ce que je pense vraiment de ce film à la fois étourdissant et bâclé. On peut dire à peu près tout et son contraire de Fury : qu’il est l’œuvre très personnelle d’un cinéaste qui définit film après film des thèmes qu’il ne cessera d’aborder ; mais aussi qu’il surfe sur les thèmes à la mode de l’époque (impossible de ne pas penser à L’Exorciste).

Le fait est que de Palma enchaîne le meilleur et le pire dans ce film qui traite du thème (franchement passé de mode) de la télépathie et de la télékinésie (dans Carrie, déjà…). Dès la séquence d’ouverture, cette ambivalence est tangible. Trois des personnages principaux y sont présentés : un Kirk Douglas vieillissant, son fils Andrew Stevens, et son ami John Cassavetes, qui deviendra sa nemesis. Rien ne sonne vraiment juste dans cette séquence d’exposition : les sentiments semblent trop primaires, les dialogues trop téléphonés, même le jeu des acteurs semble artificiel. Pourtant, la magie opère. La caméra de De Palma, forcément virtuose, virevolte autour de la table, et nous plonge malgré notre défiance dans cet univers mystérieux et si personnel.

Le thème, omniprésent dans l’œuvre de De Palma, de la vue et de la perception, est là, dès cet attentat qui sépare le père et le fils, et révèle la vraie nature de l’ami Cassavetes. Ce que l’on voit n’est pas forcément la vérité et mérite d’être décrypté. De Palma ne cessera de le répéter film après film.

L’attentat vu de plusieurs points de vue, et filmé par l’un des protagonistes ; Kirk Douglas observant les passants avec une acuité hors du commun ; les écrans de surveillance qui suivent l’évolution d’un personnage ; les yeux qui saignent… De Palma explore cette thématique tout au long du film. Logique : le ressors du film repose sur les capacités extra-sensorielles d’Andrew Stevens, et d’une jeune femme interprétée par Amy Irving, qui aide Kirk Douglas dans sa quête pour retrouver son fils, enlevé pour être l’objet d’expériences scientifiques.

Le film exerce une étrange fascination, malgré quelques effets grand-guignolesques (Cassavetes, qui s’ennuie visiblement dans ce film qu’il n’a accepté que pour financer ses propres films, ne s’éclate vraiment, et au sens propre, que dans sa dernière scène, kitchissime). Et on prend un vrai plaisir à retrouver ce bon vieux briscard de Kirk Douglas, dans un genre dont il n’est pas vraiment coutumier.

Twixt (id.) – de Francis Ford Coppola – 2012

Posté : 26 avril, 2012 @ 9:36 dans 2010-2019, COPPOLA Francis Ford, FANTASTIQUE/SF | Pas de commentaires »

Twixt

Coppola se confronte à ses propres fantômes dans ce film, le troisième depuis sa « résurrection » artistique. Retour aux sources, hommage au cinéma de ses débuts, étrange objet cinématographique entre expérimentation et série B horrifique à l’ancienne, Twixt est un film d’une grande liberté. Coppola n’a plus grand-chose à prouver, n’a plus de dette à rembourser, mais a du temps à rattraper. Tout cela se sent ici, pour le meilleur et pour le un peu moins bon.

Mais pour le meilleur, surtout. Car pour étonnante qu’elle soit, cette histoire de fantôme qui oscille entre les grosses ficelles du cinéma d’épouvante, et une approche plus contemplative, est d’une élégance extrême. Les cadres déstructurés composés par Coppola, les lumières automnales ou glacées, la musique lancinante souvent à contre-temps, et les angles d’un grand classicisme brisé par quelques fulgurances de mise en scène… Tout cela crée un sentiment fascinant de malaise qui vous prend dès la toute première image (avec la voix envoûtante de Tom Waits) pour ne plus vous lâcher.

Evidemment, d’autres que Coppola ont maintes fois fait le coup de l’écrivain en manque d’inspiration qui plonge au tréfonds de l’âme humaine pour exorciser ses propres démons (ici en enquêtant sur d’anciens meurtres dans une petite ville perdue hantée par ses fantômes). Mais lui le fait avec style, et avec la volonté affichée et réjouissante d’aller au bout de ses envies. Tout ici pousse au malaise : les rues désertes de cette ville quasi-déserte, le vieux shérif trop enthousiaste (un vrai plaisir de retrouver ce vieux briscard de Bruce Dern, le héros du dernier Hitchcock, Complot de Famille), cette gamine qui sort de la nuit sans que notre écrivain en paraisse étonné, et l’écrivain lui-même, stéréotype de l’artiste raté qui ingurgite des litres de whisky (il m’a donné soif, ce film…) pour oublier ses propres démons.

Le choix de Val Kilmer pour ce personnage n’est pas anodin : la déchéance de cet ancien jeune premier promis à une carrière de premier plan, désormais cantonné au cinéma de 8ème zone, et coincé dans un physique de baudruche, sert à merveille le film, ajoutant au malaise ressenti. L’apparition de son ex-femme Joanne Whalley, avec qui Val Kilmer a formé un couple très glamour il y a vingt ans, ne fait que renforcer ce sentiment.

Film de genre ou essai cinématographique ? Twixt joue sur tous les tableaux. Pour Coppola, le film est surtout une manière de boucler la boucle, affrontant ses vieux démons personnels (l’un de ses fils est mort dans des conditions très semblables à la fille de l’écrivain, que lui-même accepte de revivre en regardant des images en surimpression), et renouant d’une certaine manière avec le cinéma de ses débuts. Le film est en effet un hommage à l’univers d’Edgar Poe (qui apparaît tout au long des « rêves » de Val Kilmer), auteur souvent adapté par Roger Corman, le mentor des débuts de Coppola. Coppola lui-même a commencé en tournant un petit film d’horreur où les fantômes oubliés jouaient un grand rôle (Dementia 13).

Quant au brusque retournement de situation de fin, il laisse un goût un peu amer. Mais il s’apparrente à une authentique renaissance pour le cinéaste. Coppola a terrassé ses fantômes avec ce film parfois bancal, mais revigorant et férocement émouvant. Une porte ouverte pour une nouvelle carrière, voire une nouvelle vie…

Madeleine (id.) – de David Lean – 1950

Posté : 25 avril, 2012 @ 9:57 dans 1950-1959, LEAN David | Pas de commentaires »

Madeleine

Lean nous livre là une petite merveille de mise en scène, un film magnifique dominé par quelques séquences extraordinaires. Loin de ses grosses productions à venir, le cinéaste compose chacun de ses plans magistralement, et utilise comme personne la profondeur de champs, les contre-plongées et les différences de niveau : la rue qui surplombe la chambre de Madeleine, la jeune femme qui gravit le raide escalier qui la mène au cœur du tribunal, le rendez-vous galant au sommet d’une corniche… Un jeu perpétuel qui souligne le décalage du personnage par rapport à son entourage, et par rapport au regard qu’on pose sur elle.

Le sujet semblait tailler sur mesure pour le réalisateur de Brève rencontre. Pourtant, David Lean n’était pas enthousiasmé par ce film, qu’il n’a tourné que pour accéder à la demande pressante de celle qui était alors sa compagne. Ann Todd (déjà héroïne du très beau Les Amants passionnés) s’était prise de passion pour Madeleine Smith, jeune femme de la haute société écossaise du milieu du XIXème siècle, qui avait été au cœur d’un procès resté célèbre.

Accusée d’avoir empoisonné son amant, Madeleine avait déchaîné les passions, divisant l’opinion publique. Le procès, d’ailleurs, avait débouché sur un verdict sans précédent : ni coupable, ni innocente, la jeune femme avait été libérée car les preuves avaient été jugées « sans fondement ». Le mystère reste entier, et c’est la personnalité complexe qui a visiblement fasciné Ann Todd, qui l’avait déjà interprété sur scène, et qui rêvait d’en tirer un film.

Avec une délicatesse infinie, David Lean s’attache à illustrer cette complexité. Et il y arrive formidablement bien (à l’exception, peut-être, d’un dernier regard faussement ambigü et un peu lourdingue, qui rappelle les pires erzats du cinéma hitchcockien). Jeune femme bien sous tout rapport, Madeleine/Ann Todd n’a en fait rien d’une pudibonde. Avec toute la bienséance qu’il convient, Lean filme pourtant un personnage taraudé par le sexe, et pas uniquement par des amourettes de midinette.

Les censeurs s’y sont peut-être trompés à l’époque, mais aujourd’hui, les non-dits sautent aux yeux des spectateurs. La découverte de sa future chambre par Ann Todd est particulièrement évocatrice : en regardant ce soupirail qui donne sur le trottoir de la rue, elle réalise à quel point cette pièce en sous-sol sera un baisodrome parfait pour elle. Dans l’atmosphère romantique de ce Glasgow aux pavés humides, Lean nous montre une jeune femme qui semble être l’incarnation même de l’héroïne romantique, mais qui en est tout l’inverse.

Au fond, même si elle se convainc du contraire, les histoires d’amour n’intéressent pas Madeleine, qui leur préfère les aventures clandestines. Les choix qu’elle fait sont parfaitement anti-romantiques : son mari, un homme bon et aimant, est sacrifié au profit d’un petit aventurier détestable et calculateur. Cette Madeleine nous laisse un drôle de goût, l’impression de nous être attachés à une jeune femme qui est loin d’avoir révélé tous ses secrets.

Une Corde pour te pendre / Le Désert de la peur (Along the great divide) – de Raoul Walsh – 1951

Posté : 24 avril, 2012 @ 12:29 dans 1950-1959, DOUGLAS Kirk, WALSH Raoul, WESTERNS | Pas de commentaires »

Une corde pour te pendre

« Si seulement mon père n’était pas entre nous »

Walsh ne s’embarrasse pas de superflu avec ce western âpre et tendu, qui plonge le spectateur directement au cœur de l’action. Dès les premières images, dans un beau noir et blanc baigné de soleil, on est dans les grandes étendues qu’on ne quittera pas avant la séquence finale. Un marshall est là, avec ses deux adjoints. Que font-ils là ? On n’en sait rien et ça n’a aucun intérêt. Mais ils sont au bon endroit, au bon moment pour empêcher un lynchage. Ils convoient alors le « condamné » vers une ville où il pourra être jugé, mais sont pistés par les lyncheurs qui ont juré de l’abattre à tout prix.

C’est le premier western de Kirk Douglas qui, cinq ans après ses débuts sur grand écran, s’était particulièrement illustré dans le film noir jusqu’à présent (notamment avec ses deux premiers films, L’Emprise du crime et La Griffe du passé, deux chef d’œuvre absolus). Il apporte à son personnage de marshall obstiné jusqu’à l’extrême une modernité et une noirceur plutôt rare dans le genre.

Le personnage féminin est tout aussi réussi : c’est la très belle Virginia Mayo, que Walsh avait déjà dirigée dans La Fille du désert et surtout L’Enfer est à lui, et qu’il retrouvera pour Capitaine sans peur. Dans le rôle de la fille du lynché (joué lui par l’incontournable Walter Brennan), garçon manqué et incroyablement féminine, elle apporte au film une séduction trouble. Et qu’importe si elle sort du désert avec un brushing impeccable et une chemise immaculée…

Along the great divide (un titre original bien plus beau et poétique que l’un ou l’autre des titres français) n’est pas qu’un western de plus se déroulant dans le désert. Walsh, ici, ne parle ni d’héroïsme, ni de vengeance, ni d’amour : il ne s’intéresse qu’aux relations père-fils, au cœur de tout le film jusque dans ses moindres recoins.

L’obstination de Kirk Douglas est motivée par le souvenir douloureux de ses rapports avec son père décédé ; Walter Brennan se met en scène auprès de son « geôlier » comme un père de substitution sournois et manipulateur ; Virginia Mayo est prête à sacrifier son amour naissant et son propre sens de l’honneur pour soutenir son père ; le riche propriétaire qui piste le convoi est bien décidé à venger la mort de son fils préféré ; le frère aîné de ce dernier n’est motivé que par la volonté d’exister aux yeux de son père…

On pourrait encore continuer comme ça : il n’est question que des relations père-fils (ou fille) dans ce très beau western tendu et passionnant, réalisé par un Walsh en grande forme. Et ce ne sont pas les deux ou trois zooms grossiers (j’aime pas les zooms), qui tranchent avec la fluidité habituelle des films de Walsh, qui gâchent le plaisir. Même si ces effets pas terribles font un peu tâche chez le réalisateur qui a élevé le travelling au rang de grand art trente-cinq ans plus tôt, avec Régénération.

Voyage sans retour (Where danger lives) – de John Farrow – 1950

Posté : 23 avril, 2012 @ 9:38 dans * Films noirs (1935-1959), 1950-1959, FARROW John, MITCHUM Robert | Pas de commentaires »

Voyage sans retour

Après des chef d’œuvre comme Feux croisés (Edward Dmytryk) ou La Griffe du passé (Jacques Tourneur), ce Voyage sans retour fait figure d’œuvre mineure dans la longue liste des films noirs interprétés par Bob Mitchum. Et c’est vrai qu’on est loin de la mécanique diabolique du film de Dmytryk ou du pouvoir de fascination absolu de celui de Tourneur. Pourtant, on prend un plaisir fou à voir ce petit film de genre pas franchement crédible (Mitchum en chirurgien ? mouais…), mais diablement bien réalisé par un John Farrow à qui on doit quelques grandes réussites du genre (La Grande Horloge, chef d’œuvre avec Ray Milland, ou Fini de rire pour lequel il retrouvera Mitchum l’année suivante).

C’est du pur film noir, et Mitchum est l’anti-héros type : un jeune chirurgien fiancé avec une infirmière douce et aimante (Maureen O’Sullivan, la Jane de Tarzan, la femme de Farrow, et la mère de Mia), qui se laisse prendre au piège d’une de ses patientes, une jeune femme bien belle (Faith Domergue), mais visiblement dérangée. Il la rencontre alors qu’elle a essayé de se suicider ; il comprend trop tard que celui qu’elle présente comme son père (Claude Rains, dans son éternel emploi de cocu digne) est en fait son mari ; ce dernier meurt alors que Bob vient de le laisser seul avec son épouse… Mais non, notre héros n’imagine pas que sa belle a peut-être un grain. Pire, il se laisse persuader que c’est lui qui a causé la mort de Rains…

Alors les voilà tous deux sur les routes, persuadés d’être poursuivis par toutes les polices. Mitchum, l’homme fort et viril par excellence, est la victime de cette vamp aux yeux renversants. Plus surprenant : il est une victime incroyablement passive. Il suffirait d’un rien  de jugeotte pour qu’il se sauve de ce piège, mais non, il plonge. Comme s’il fuyait inconsciemment cette vie bien rangée et toute tracée qui l’attendait, cette fiancée trop gentille, tellement gentille qu’elle lui pardonnera tout sans la moindre scène, alors qu’il mérite au moins une bonne trempe…

Le fameux art de ne rien faire de Mitchum trouve ici une logique toute nouvelle : ce personnage en apparence typique du genre révèle en effet peu à peu une absence de personnalité que la passivité de l’acteur rend fascinante. Embarqué par la belle, ballotté par les hasards des rencontres, Bob traverse de nombreuses petites épreuves qui nous plongent au cœur de l’Amérique profonde, des garagistes roublards, des shérifs trop contents d’avoir une « affaire » à régler, des communautés trop entreprenantes… Ce voyage sans retour est une véritable odyssée américaine.

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