The Major (Maïor) – de Youri Bykov – 2013
Elle n’est pas gaie, cette Russie au cœur de The Major : un pays glacial et sans joie, peuplé d’êtres tristes vivants dans des villes ouvrières sans charme et recouvertes d’une épaisse couche de neige. C’est dans ce décor que le film commence, par un faits divers tragiquement banal : un automobiliste qui roule trop vite pour retrouver sa femme sur le point d’accoucher, un enfant qui traverse la route, la neige qui interdit tout arrêt brusque…
A partir de ce terrible accident, Youri Bykov nous plonge dans la violence et la corruption de son pays. Il se trouve que l’automobiliste impliqué est un capitaine de police, et que pour le couvrir, ses collègues et supérieurs sont prêts à tout : mensonge, intimidation, meurtre même… Et au vu et au su de tous, qui plus est, et c’est là que le film de Bykov est le plus perturbant : lorsqu’il décrit cette loi du silence, ce poids si inhumain et imparable du pouvoir.
Pour son film (son deuxième long métrage), Youri Bykov choisit des tons quasi monochromes, sans la moindre couleur vive si ce n’est celle du sang qui tache la neige. Et ce n’est pas un hasard : dans ce pays où les citoyens se heurtent à la toute puissante des « officiels », l’espoir est une notion bien étrangère… Et le soudain réveil de conscience de notre « héros » n’y changera pas grand-chose.
D’une noirceur abyssale, le film est aussi passionnant que dérangeant. Il permet surtout de révéler l’incroyable talent de Youri Bykov, l’auteur, l’âme et l’incarnation de ce faux film noir construit comme un western tragique. Dans le rôle du cow-boy qui tente de se racheter une conduite, Denis Shvedov est parfait. Mais c’est Youri Bykov lui-même qui dévore l’écran dans le rôle du flic chargé des basses œuvres : un sale type, certes, mais dévoré par la lassitude, l’écœurement, et même la peur de se confronter lui-même à la violence.
Sa présence à l’écran et la profondeur qu’il apporte à ce personnage d’ordure absolue sont assez sidérantes. Acteur, réalisateur, scénariste, monteur du film, Youri Bykov est aussi le compositeur d’une musique totalement envoûtante qui fait beaucoup pour l’atmosphère unique du film. Un talent éclectique pour un film électrique… Youri Bykov est un cinéaste à suivre.
* DVD édité chez Luminor / Arcadès, avec peu de bonus : la seule bande annonce, et la présence du dossier de presse papier, avec notamment une interview de Youri Bykov.