Play it again, Sam

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Archive pour février, 2014

Obsessions (Flesh and Fantasy) – de Julien Duvivier – 1943

Posté : 28 février, 2014 @ 2:17 dans 1940-1949, DUVIVIER Julien, FANTASTIQUE/SF, STANWYCK Barbara | Pas de commentaires »

Obsessions

Exilé aux Etats-Unis durant la guerre, Duvivier y a tourné une poignée de films qui sont loin d’avoir la même réputation que ses films français d’avant-guerre, mais qui n’ont rien d’anodins non plus. Ce Flesh and Fantasy en particulier, souvent ignoré, peut-être parce qu’il s’agit d’un film à sketch, genre parfois un peu foutraque.

Mais cette fois, il y a une vraie cohérence dans le choix des trois histoires, et dans la manière qu’a Duvivier de les mettre en images : avec une belle utilisation de trucages (surimpressions, faux reflets, séquences de rêves…) qui illustrent joliment l’effet du subconscient sur le comportement des personnages.

C’est le fil conducteur des trois histoires que lit un homme à l’un de ses amis (Robert Benchley, vedette de courts métrages dont la série How to…), troublé par un rêve et sa rencontre avec une diseuse de bonne aventure.

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La première histoire est introduite de la plus belle des manières : un cadavre découvert par d’étranges personnages tout de noir vêtus, aux masques grimaçants. Un temps, on imagine être en enfer, mais la caméra révèle bientôt une affiche indiquant qu’il s’agit d’une fête de Mardi-Gras, le soir des masques.

L’héroïne est une femme aigrie qui se croit laide (laideur que Duvivier souligne par un éclairage par en-dessous aussi simple qu’efficace), mais à qui une rencontre avec un étrange vieillard va offrir une nouvelle chance : un masque qui lui donne, quelques heures durant, les traits de céramique d’une belle femme (visage qui ressemble étrangement à celui de Veronika Lake), et surtout la confiance dont elle avait besoin.

C’est la plus morale des trois histoires : l’apparence ne serait que le reflet de la beauté intérieure. Mais c’est joliment fait, avec une belle histoire d’amour naissante (avec Robert Cummings), dans l’effervescence festive, mais curieusement morbide de cette soirée costumée.

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La deuxième histoire offre à Edward G. Robinson un rôle taillé sur mesure pour lui, pas si loin de ceux qu’il tiendra chez Lang : un homme obsédé par son destin, que lui a révélé un diseur de bonne aventure (Thomas Mitchell). Cet homme promis à un beau mariage (avec Anna Lee) doit commettre un meurtre, c’est en tout cas ce qui est écrit dans sa main…

L’obsession est vraiment le sujet de ce sketch, obsession qui prend le visage du reflet de Robinson dans la glace, sorte d’ange maudit qui lui rappelle sans cesse qu’il tuera. A tel point qu’il se décide à passer à l’acte pour se débarrasser de cette fatalité. Dame May Whity (la Miss Froy d’Une femme disparaît) et C. Aubrey Smith (le père assassiné de Quatre hommes et une prière) feront des cibles parfaites.

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Tout aussi réussie, la troisième histoire est une déclinaison sur le même thème, mais avec l’espoir en plus. Un funambule (Charles Boyer, co-producteur du film avec Duvivier) rêve qu’il tombe de son fil devant les yeux d’une inconnue (Barbara Stanwyck). Le rêve le hante, jusqu’à ce qu’il rencontre cette femme sur un bateau…

Il y a là aussi de beaux trucages : Charles Boyer filmé en gros plan sur un fil à 25 mètres de haut, des réminiscences de ses rêves qui apparaissent soudain à l’écran… Des effets qui soulignent le malaise et les doutes du personnage.

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Obsessions n’a peut-être pas la puissance de ses grands chef d’œuvre, mais cette deuxième incursion de Duvivier dans le film à sketchs hollywoodien (après Tales of Manhattan) est un sans faute, avec une bien belle distribution…

Maris et femmes (Husbands and wives) – de Woody Allen – 1992

Posté : 28 février, 2014 @ 2:06 dans 1990-1999, ALLEN Woody | Pas de commentaires »

Maris et femmes

En terrain connu, abordant une fois de plus les rapports entre les hommes et les femmes, Woody Allen parvient une nouvelle fois à surprendre et à signe un chef d’œuvre qui s’inscrit dans la lignée naturelle de ses précédents films, tout en marquant une rupture assez radicale.

Formellement, d’abord, Husbands and wives confirme la volonté du cinéaste d’explorer de nouveaux horizons. Loin de l’hommage au film noir de son précédent opus, Ombres et brouillard, Allen adopte ici un style qui évoque le film documentaire un peu improvisé. Caméra à l’épaule, faux raccords, coupes volontairement approximatives… Allen crée le sentiment d’un cinéma vérité parfois troublant : la sensation d’intimité s’en trouve renforcée, comme dans cette belle séquence d’orage, au cours de laquelle Woody se met en scène avec Juliette Lewis, facilement de 30 ans sa cadette, dans ce qui est l’un des baisers les plus romantiques de ces années-là.

Mais ce passage délicat et sensuel n’est qu’une parenthèse. Car le ton est, lui aussi, plus radical que dans les précédents films d’Allen. Avec cette histoire de deux couples qui connaissent les mêmes difficultés, mais suivent des destins inverses (Woody Allen et Mia Farrow, Judy Davie et Sydney Pollack), Allen souligne comme jamais peut-être la difficulté de vivre en couple, et l’aspect éphémère de la passion et des illusions.

Au cours d’une discussion passionnée en pleine nuit, Woody évoque les moments les plus mémorables de son couple avec Mia Farrow : une promenade au clair de lune, un éclat de rire, qu’importe… Mais elle lui répond qu’il ne s’agit que de souvenirs isolés, qui ne racontent pas ce qu’est leur vie ensemble. Une discussion calme, et même tendre, mais le propos est dur, sans concession. Et aucun des deux n’a encore compris qu’il s’agissait là d’un dialogue de rupture…

Dans Husbands and wives, hommes et femmes semblent constamment en décalage, jamais dans le même timing. Mia veut un enfant depuis des années, mais Woody n’accepte l’idée que lorsqu’il est trop tard. Sydney Pollack veut expérimenter le célibat, mais il ne réalise ce qu’il perd que lorsque sa femme Judy Davis commence à y prendre goût…

Sans vouloir sur-interpréter, ni dresser des ponts systématiques entre la vie et l’œuvre, ce grand film sur le couple, sombre et sans illusion, semble ouvertement marquer la fin de quelque chose, comme si Allen ne pouvait aller plus loin dans cette direction. Difficile de n’y voir qu’un hasard : Maris et femmes est le dernier de ses films dont Mia Farrow est l’interprète (et l’égérie), avant la douloureuse rupture. Avec son film suivant, Meurtre mystérieux à Manhattan, Woody Allen surprendra encore avec un nouveau changement de cap, radical, et réjouissant.

Le Drame de Shanghaï – de Georg Wilhelm Pabst – 1938

Posté : 28 février, 2014 @ 2:02 dans 1930-1939, PABST Georg Wilhelm | Pas de commentaires »

Le Drame de Shanghai

Grand cinéaste du muet, Pabst a poursuivi une carrière loin d’être inintéressante, au début du parlant. Avec ce Drame de Shanghaï, dont les héros sont des laissés pour compte de la grande histoire en marche, le cinéaste retrouve même une inspiration, un sens de l’atmosphère, et par moments une ambition qui rappelle ses plus grandes heures.

L’atmosphère, c’est celle de la Chine mystérieuse. Atmosphère envoûtante et inquiétante, à laquelle s’ajoute l’omniprésente menace de guerre, qui contribue à renforcer l’aspect désespéré d’un film qui, tourné à une autre époque, aurait sans doute eu une fin plus heureuse.  Les dernières séquences sont l’œuvre d’un réalisateur qui observe l’état du monde sans illusion.

Film d’atmosphère (et de décors), Le Drame de Shanghaï bénéficie aussi des excellents dialogues de Henri Jeanson, qui disent mieux que de longs discours ou d’inutiles flash-backs le passé des personnages, en particulier de Christl Mardayn (la chanteuse Kay Murphy) et Louis Jouvet, anciens aristocrates russes qui  ont grandi ensemble, mais que la révolution de 1917 a transformés en aventuriers apatrides.

Leurs destins à tous deux, et le poids de l’histoire en marche, tranchent avec les rebondissements et l’esprit feuilleton du film, cette histoire d’une bande mystérieuse appelée le Serpent noir, qui évoque curieusement Tintin.

La comparaison n’est sans doute pas anodine, tant il paraît évident que Le Drame de Shanghaï et Le Lotus bleu se sont nourris l’un l’autre (la première version de la BD, en noir et blanc, était sortie peu avant, mais Hergé la remodèlera plus tardpour la version couleur que l’on connaît). La ligne claire de Tintin est là, sa manière d’imbriquer la construction feuilletonnante et l’arrière-plan très documenté.

Si le personnage du journaliste Franchon ressemble étrangement à Tintin, ce sont des plans entiers, certains personnages et même des figurants aperçus au détour d’un plan, qui semblent sortir de l’œuvre d’Hergé.

Dark Blue (id.) – de Ron Shelton – 2002

Posté : 28 février, 2014 @ 1:59 dans * Thrillers US (1980-…), 2000-2009, SHELTON Ron | Pas de commentaires »

Dark Blue

Passé relativement inaperçu, par rapport à un Training Day au thème semblable (on retrouve d’ailleurs le même David Ayer aux scénarios de ces deux films), Dark Blue n’a pourtant rien perdu de sa puissance, en dix ans. Ce polar noir, noir, noir, porte à la fois la marque de son scénariste, et surtout celle de James Ellroy, qui a écrit l’histoire originale. Il y a mis ses obsessions : ce L.A. bouffé par la corruption, la violence et le racisme qui peuple ses romans noirs.

Le flic interprété par un Kurt Russell renversant ressemble aux personnages rongés par leurs démons qu’il aime mettre en scène dans ses livres. Un type dévoré par une machine corrompue qui l’a entraîné dans une abyssale descente aux enfers. Et, bonne nouvelle, ni le scénar, ni la réalisation, plutôt inspirée, de Ron Shelton, ne font quoi que ce soit pour atténuer la noirceur du propos.

La belle idée du film est d’avoir situé l’intrigue durant le printemps 1992, à quelques heures de l’acquittement des flics qui ont tabassé Rodney King un an plus tôt, verdict qui va mettre la ville à feu et à sang, et mettre en évidence l’immense corruption et les méthodes douteuses du LAPD. Le destin de Perry (Kurt Russell) est lié à ces émeutes : l’un comme l’autre symbolisent la fin d’un système, l’explosion de violence nécessaire au grand nettoyage…

Bien sûr, les lecteurs fidèles d’Ellroy (j’en suis) auront l’impression d’avoir déjà vu ça mille fois. Mais l’esprit de l’auteur est bien là, tout comme celui du scénariste. David Ayer, cinéaste, aurait sans doute apporté un aspect un peu plus rugueux au film, que Ron Shelton peine parfois à donner. Mais la tension est bien là, et il y a quelque chose de shakespearien et de profondément tragique dans le destin de ce flic embrigadé par son père génétique et une sorte de père de substitution depuis sa plus tendre enfance, qui rompt finalement avec ce qui a toujours été sa vie.

Kurt Russel n’a peut-être jamais aussi bien que dans ce rôle de flic qui flirte de plus en plus avec les abysses, perd son âme, avant de se confronter, tardivement, à ce qu’il est et surtout ce qu’il n’est plus. La scène de rupture avec sa femme, parenthèse apaisée dans un enchaînement de violence, sonne la rupture du personnage avec ses propres démons. Une scène magnifique, la plus belle du film, au cours de laquelle son humanité affleure enfin…

Le Paquebot Tenacity – de Julien Duvivier – 1934

Posté : 27 février, 2014 @ 2:55 dans 1930-1939, DUVIVIER Julien | Pas de commentaires »

Le Paquebot Tenacity

Dans l’impressionnante filmographie d’avant-guerre de Duvivier, Le Paquebot Tenacity fait figure de grande curiosité : un film tombé dans un oubli assez abyssal que le précieux Cinéma de Minuit a eu la bonne idée d’exhumer il y a quelques semaines. Une bonne idée, parce que le film possède une fraîcheur et une profondeur qui n’ont rien à envier aux grands classiques du cinéaste de la même époque : La Belle Equipe ou La Bandéra.

Comme pour ces deux chefs d’œuvre avec Gabin, Le Paquebot Tenacity raconte l’histoire de Parisiens qui rêvent d’un ailleurs moins gris, qui souhaitent s’évader de la crise et de la misère, en l’occurrence en signant un contrat qui leur promet un avenir dans les vastes plaines du Canada. A Albert Préjean, grande gueule qui sait ce qu’il veut, et à son pote Hubert Prélier, foncièrement bon mais totalement incapable de prendre une décision qui lui est propre.

Pas de tragédie ou de grand rebondissement à l’horizon, pour ces deux amis décidés à laisser leur vie trop terne derrière eux. Le Havre, où ils échouent en attendant que leur paquebot (le Tenacity, donc) appareille, s’apparentera à une période de transition où chacun apprendra à mieux se connaître, et à comprendre ce qu’ils attendent vraiment de la vie. Une sorte d’introspection qui prend l’aspect d’une femme, bien sûr, dont les deux amis tombent amoureux, sans se l’avouer.

Comme souvent chez Duvivier, il est affaire de destin ici : lorsque le paquebot part, il ne tarde pas à faire demi-tour et à rentrer au port, victime d’une avarie. Comme le dit le beau personnage du vieil ouvrier (Pierre Laurel), « il y a ceux qui partent et ceux qui restent, on n’a pas le choix ». Et ceux qui pensent avoir le choix se bercent d’illusion.

Le destin, en l’occurrence, n’est pas aussi tragique que dans la plupart des grands film français de cette époque : ni meurtre, ni damnation, pour ces deux hommes en quête d’un ailleurs plus souriant. Mais il est synonyme d’une perte d’illusions, et d’une prise de conscience : l’un comme l’autre des deux personnages principaux finira par assumer ce destin auquel il n’était pas préparé.

L’une des forces du film est d’associer la profondeur du propos avec une vraie légèreté. Le port du Havre, à mi-chemin (moralement en tout cas) entre la grisaille de Paris et les promesses inquiétantes du Canada, est une sorte d’entre-deux enchantée, une bulle de bonheur en marge d’une réalité bien sombre. Là, les personnages découvrent une communauté à laquelle ils ne pensaient pas, et se laissent aller à des moments de pure joie.

Il y a notamment cette soirée précédant le départ, au cours de laquelle les clients d’un bar reprennent en chœur une chanson commencée par Albert Préjean, bientôt suivis par les passants dans la rue, et même par les prostituées sur le trottoir d’en face. Un chant si communicatif que la patronne lance au personnage : « Tu chantes mieux que Préjean ! »

Le Train sifflera trois fois (High Noon) – de Fred Zinnemann – 1952

Posté : 27 février, 2014 @ 2:51 dans 1950-1959, COOPER Gary, WESTERNS, ZINNEMANN Fred | Pas de commentaires »

Le Train sifflera trois fois

Howard Hawks détestait ce film et surtout son héros, shérif dont une bande de gangsters veut la peau, et qui passe les trois quarts du film à arpenter les rues en réclamant de l’aide à des villageois qui lui ferment systématiquement la porte au nez. C’est en réaction à ce faux héros qu’il tournera Rio Bravo, sorte de double inversé de High Noon, dont le shérif assumera jusqu’au bout ses fonctions, en refusant d’impliquer la population.

Mais on n’est pas obligé de choisir son camp. On peut trouver que Rio Bravo est l’un des plus grands westerns jamais tournés, et aimer ce High Noon assez incroyable, aux parti-pris radicaux et au scénario brillantissime. Quasiment dénué d’action, jusqu’à la fusillade finale qui fait figure de libération tant elle est attendue, le film est admirablement tendu, se limitant la plupart du temps à une interminable attente.

Raconté en temps réel (plutôt rare, dans un western), le film raconte l’heure qui précède l’arrivée, par le train de midi, du criminel qui a juré la mort du shérif. L’une des grandes idées de Zinnemann est d’avoir placé des horloges partout, horloges que les personnages ne cessent de scruter, et dont les aiguilles semblent ne pas avancer tant on attend la délivrance.

Le réalisateur, qui tournera l’année suivante son autre classique, Tant qu’il y aura des hommes, va au bout de son sujet. Sa mise en scène souligne efficacement la solitude grandissante du shérif, abandonné par tous ceux qu’il pensait être ses amis, y compris la femme qu’il vient d’épouser (Grace Kelly, quaker qui refuse de voir son mari utiliser les armes) et l’ami qu’il croit fidèle (Thomas Mitchell), qui se lance dans un vibrant plaidoyer visiblement à son avantage, mais qui finit par l’enterrer définitivement…

Le visage en gros plan de Gary Cooper, filmé dans des rues désertées, souligne merveilleusement la peur et la rancœur qui naissent dans son esprit. L’acteur est immense, une fois de plus, dans ce rôle effectivement anti-héroïque au possible : le shérif, s’il reste droit constamment, va réclamer de l’aide jusque dans une église, et se laisse aller à ses angoisses lorsqu’il se croit seul.

Il y a comme ça de nombreuses fulgurances dans la mise en scène de Zinnemann : la bagarre absurde avec l’adjoint joué par Lloyd Bridges, les errances désespérées de Gary Cooper, son visage tuméfié à travers une vitre brisée, et puis le regard sans complaisance qu’il lance à la population enfin rassemblée autour de lui… Mais le réalisateur adopte par moments une mise en scène purement fonctionnelle que l’on sent inspirée par les shows télévisés naissants, et qui n’est pas toujours à la hauteur d’un scénario exceptionnel.

Un scénario qui permet aux seconds rôles les plus anodins d’exister, de l’odieux réceptionniste au pathétique borgne réclamant qu’on lui offre une dernière chance, du prêtre incapable de savoir ce qui est juste à la « professionnelle » (l’excellente Katy Jurado), seule  personnage clairvoyant de l’histoire… Des êtres qui, pour certains, sont à peine plus que des figurants, mais qui donnent une troublante authenticité à cette ville, dont Zinnemann fait un condensé d’une Amérique marquée par le McCarthysme.

Frantic (id.) – de Roman Polanski – 1987

Posté : 27 février, 2014 @ 2:42 dans * Thrillers US (1980-…), 1980-1989, FORD Harrison, POLANSKI Roman | Pas de commentaires »

Frantic

Après l’échec cinglant de Pirates, Polanski revient avec un thriller, genre qu’il a peu fréquenté jusqu’alors, mais qu’il s’approprie d’une manière très personnelle. Lui qui a dû quitter l’Amérique où il avait fait sa vie pour s’installer en France filme la détresse d’un Américain perdu à Paris, sans connaître grand-chose de la ville, et sans en parler la langue… D’abord et avant tout un pur film de genre, efficace et passionnant, mais dans lequel le cinéaste semble dire beaucoup de sa propre expérience d’exilé plongé dans une culture qui n’est pas la sienne.

Dans le rôle principal, Harrison Ford est formidable. C’est peut-être la plus belle période de sa carrière : entre deux Indiana Jones (Le Temple maudit et La Dernière Croisade), l’acteur venait de trouver deux rôles en or chez Peter Weir (Mosquito Coast et Witness). Avec Frantic, il casse une nouvelle fois son image d’aventurier, imposée par Lucas et Spielberg : il interprète un grand médecin qui n’a rien d’héroïque, mais forcé de se confronter à la violence lorsque sa femme disparaît mystérieusement, et que personne ne prend cette absence au sérieux, ni la police, ni le consulat américain.

Toute l’histoire est racontée de son point de vue, et c’est l’idée la plus importante du film, qui nous met dans la peau de ce monsieur tout le monde confronté à une situation exceptionnelle, et emmuré par les frontières de la langue et des cultures. Le principe n’est pas nouveau : John Frankenheimer avait déjà fait de ce choc des cultures l’un des moteurs de French Connection 2. Mais Polanski va plus loin, en en faisant le sujet central de son film.

Incapable de se faire comprendre, Walker/Ford plonge dans un monde qui n’est pas le sien : pas la même langue, pas les mêmes codes, pas la même musique même (un leitmotiv qui revient tout au long du film), et obligé de « faire équipe » avec une jeune femme qui est son opposée en tout. Beaucoup plus jeune, beaucoup moins sérieuse, beaucoup moins honnête… c’est le rôle qui a révélé la nature extraordinaire d’Emmanuelle Seigner qui, hélas, ne sera convenablement exploitée par la suite que par Polanski lui-même, son pygmalion et compagnon.

D’un scénario très hitchcockien (avec un vrai macguffin que n’aurait pas renié le maître), Polanski tire une virée sinistre et presque irréelle dans un décor qui, lui, est criant de vérité : les bas-fonds d’une ville de carte postale dont on découvre le glauque revers. Un cauchemar éveillé marqué par cette étrange rencontre de deux êtres que tout oppose et qui n’aurait jamais dû se croiser, mais qui se rapprochent peu à peu, sans jamais franchir la ligne, mais en baissant la garde lors d’une troublante et magnifique scène dans une boîte de nuit. Là, lors d’une courte scène de danse, tout se lit sur le visage de Ford : la fatigue, la peur, l’urgence, l’attirance, la culpabilité…

Formellement, tout n’est pas aussi réussi que ce moment fascinant. Mais Polanski tient son suspense de bout en bout, et filme un Paris comme on l’a rarement vu…

Parkland (id.) – de Peter Landesman – 2013

Posté : 27 février, 2014 @ 2:33 dans 2010-2019, LANDESMAN Peter | Pas de commentaires »

Parkland

Morbide et fascinant, l’assassinat de Kennedy est l’un des événements les plus marquants de la mythologie américaine. Un événement fondateur, même, pour une certaine vision de cette Amérique, entre romantisme et machiavélisme. 50 ans après ce fameux 22 novembre 1963, tout a été dit, filmé ou démontré sur l’assassinat, et la théorie du complot continue à affronter celle du tireur isolé.

Peter Landesman choisit une autre approche. En évitant soigneusement de donner la moindre indication qui pourrait faire pencher pour l’une ou l’autre des théories, ou de donner trop de place à des images que l’on connaît par cœur, le réalisateur filme les coulisses de l’assassinat : les à-côté pas forcément spectaculaires, mais qui en disent énormément sur le traumatisme national et individuel qu’a représenté cette journée. Comme Patrick Jeudy dans son excellent documentaire « Dallas, une journée particulière », Landesman s’intéresse à une poignée de personnages qui ont été impliqués d’une manière ou d’une autre dans cette journée particulière.

Abraham Zapruder (le vidéaste amateur à qui on doit le fameux film montrant l’assassinat), un interne de l’hôpital de Parkland qui a été le premier à intervenir sur JFK, un responsable des services secrets chargés de protéger le président, un agent du FBI qui a eu affaire à Oswald sans l’inquiéter, ou encore le frère de Lee Harvey Oswald… Rien de commun entre toutes ces personnes, si ce n’est celui d’avoir été au cœur de cette journée, et de ne pas en être sorti indemne…

C’est ce que montre le film : comment un assassinat présidentiel a marqué, sans doute à jamais, des personnes que le destin a placé au mauvais endroit au mauvais moment. La première partie, d’ailleurs, est la plus passionnante. Pas uniquement les minutes qui suivent directement les trois coups de feu, mais aussi celles qui précèdent, et que Landesman filme avec une légèreté inattendue. Il rappelle ainsi que ce devait être une belle journée pour tous ces anonymes qui se réjouissaient de voir le président. Du moment fatidique, on ne verra que le regard de Zapruder (Paul Giamatti, formidable) vissé dans sa caméra, et qui se fige soudain. Plus marquant, peut-être, que ces images qu’il a filmées et qu’on a vues si souvent…

Sur la forme, rien de bien neuf : Landesman adopte un style proche du film de reportage, caméra à l’épaule et montage faussement approximatif, insérant habilement des images d’archives (vraies ou fausses). Un choix presque obligatoire depuis le douteux et formidable JFK d’Oliver Stone.

Mais les personnages sont parfaitement dessinés, et le film souligne assez formidablement, et avec une impressionnante sensation de réalité, le bordel qui entoure l’assassinat. Dans la première demi-heure, surtout, Landesman ne nous montre que des professionnels, services secrets ou personnel hospitalier, totalement désorganisés, brutalement tirés d’une routine qui confine à l’ennui, et forcés de prendre des décisions auxquelles ils ne sont visiblement pas préparés.

Bien sûr, la figure de Kennedy est déifiée, et relève plus du symbole que de la véritable personnalité. Mais qu’importe : c’est ce qu’il représente, et ce que sa mort entraîne qui est au cœur du film. Un film qui ne révolutionne rien, mais qui apporte un éclairage nouveau et passionnant sur un événement décidément au-delà du mythe.

• Blue ray chez Metropolitan, avec un commentaire audio du réalisateur, et une poignée de scènes coupées.

Face à face (The Killing Season) – de Mark Steven Johnson – 2013

Posté : 27 février, 2014 @ 2:30 dans 2010-2019, DE NIRO Robert, JOHNSON Mark Steven | Pas de commentaires »

Face à face

Dans les immenses forêts des Appalaches, un ancien soldat vivant en reclus voit arriver un chasseur bosniaque venu du bout du monde. Les deux hommes se lient d’amitié, mais lorsqu’ils partent chasser tous les deux, le vétéran réalise que leur rencontre ne doit rien au hasard, et que le chasseur est là pour lui…

Le titre français, la bande annonce, l’affiche et la situation de départ laissent penser qu’il s’agit d’un enième film de chasse à l’homme, sur le thème mille fois repris de La Chasse du Comte Zaroff. The Killing Season est autrement plus ambitieux et intéressant que ça : avec ce face-à-face entre deux anciens soldats, l’un américain et l’autre bosniaque, le film explore les effets de la guerre sur les êtres humains. Rien de moins.

Le sujet est un peu trop ambitieux pour Mark Steven Johnson, qui ne réussit son film qu’à moitié. Ce qui, tout de même, n’est pas si mal. Plutôt réussi : le parti-pris esthétique ouvertement inspiré par la photographie, qui recouvre la belle nature sauvage des Appalaches d’une sorte de filtre cendré, donnant au film un aspect mortifère qui colle parfaitement avec le sujet.

Quasiment seuls à l’écran (le film aurait d’ailleurs gagné à se passer des quelques seconds rôles), les deux personnages principaux affrontent, dans cette nature superbe, les morts qui les hantent et la violence que la guerre a instillé en eux, plus qu’ils ne s’affrontent l’un l’autre. Très bons l’un et l’autre, John Travolta (malgré un look improbable et un accent un rien too much) et Robert DeNiro (sobre et touchant) n’en font jamais trop.

C’est d’ailleurs dans leurs échanges que le film est le plus juste. Parce que la frontière entre ces deux-là est plutôt fine, et que leur conscience est aussi ravagée chez l’un que chez l’autre. Ce retour à la nature de deux hommes dévastés par la guerre… c’est un peu un double inversé du début de Voyage au bout de l’enfer. Une filiation que le réalisateur assume pleinement, en filmant un DeNiro qui retient son tir lorsqu’il a un cerf en ligne de mire.

Hélas, le film n’est qu’en parti réussi, parce qu’il est parsemé d’excès qui ruinent l’esprit même du film et des personnages. Des gros plans numériques particulièrement laids et maladroits, et surtout une multiplication d’effets gores totalement hors de propos, filmés avec une complaisance impardonnable, et dignes d’un mauvais film d’horreur.

Comme si Mark Steven Johnson n’avais pas eu suffisamment confiance en la force de son sujet, et en la capacité de ces acteurs d’incarner ce qu’il y a de plus inhumain dans la guerre. Il a eu tort.

• Blue ray chez Metropolitan, avec peu de bonus : un court making-of promotionnel, et quelques bandes annonces.

Ombres et brouillards (Shadows and fog) – de Woody Allen – 1991

Posté : 19 février, 2014 @ 12:57 dans 1990-1999, ALLEN Woody | 1 commentaire »

Ombres et brouillard

Après le magnifique Alice, Woody Allen surprend encore avec ce film en noir et blanc qui ne ressemble à aucun autre. Une curieuse errance dans une nuit de brouillard, pleine de répliques alleniennes irrésistibles (« Un maniaque a la force de dix hommes. Moi, j’ai la force d’un enfant. Qui a la polio. »), de rythme et de musique de cirque. Mais derrière ces attraits de comédie, Allen signe peut-être son film le plus glaçant.

On rit franchement, on frémit aussi face aux déambulations nocturnes de cet hommes un peu couard que l’on oblige à errer dans des ruelles où rode un tueur en série. On s’amuse aussi du casting étonnant (autour de Woody et Mia Farrow : John Malkovich, Madonna, John Cusack, Jodie Foster ou Donald Pleasance) et des innombrables références qu’Allen place dans son film : cette imagerie à la Jack l’Eventreur bien sûr, mais aussi l’ambiance absurde tout droit sortie d’un roman de Kafka : Allen, ballotté d’une organisation à une autre, sommé de choisir son camp dans une querelle dont il ne comprend rien, et errant désespérément à la recherche d’une quelconque explication…

Mais cette errance burlesque et absurde, qui rappelle autant les films noirs que le cinéma fantastique des années 40 (sublime travail sur les ombres, et la lumière qui transperce le brouillard dans de jolis effets), illustre une atmosphère de défiance généralisée, de peur, de colère et de suspicion qui évoque douloureusement la montée du nazisme en Europe.

Ce thème, l’incompréhension de la Shoah et de l’antisémitisme d’une manière générale, a souvent été en filigrane dans l’œuvre d’Allen. Il l’aborde cette fois frontalement, notamment dans une scène qu’il filme comme une comédie, mais qui glace le sang : ce petit homme ballotté par l’histoire (derrière la petite histoire, ce tueur mystérieux qui terrorise la ville, on imagine bien l’ombre de la grande Histoire, l’Holocauste), justement appelé Kleinman, entre dans une église pour faire un don important, et découvre le prêtre et un policier occupés à établir une liste, visiblement noirs, où figurent son propre nom et d’autres dont la consonance ne laisse planer aucun doute.

Visuellement splendide, constamment étonnant, Ombres et brouillards réussit le miracle d’être une comédie irrésistible, un thriller efficace, et un grand film, intelligent et effrayant, sur la plus grande catastrophe de ce siècle qui se termine…

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