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Archive pour la catégorie 'SIDNEY Sylvia'

Scène de la rue (Street Scene) – de King Vidor – 1931

Posté : 24 février, 2021 @ 8:00 dans 1930-1939, SIDNEY Sylvia, VIDOR King | Pas de commentaires »

Scène de la rue

Un quartier populaire de New York, un été caniculaire… La caméra de King Vidor ne quitte jamais le perron d’un immeuble modeste, où les locataires se croisent, papotent, cancanent, ou se déchirent, dans cette adaptation d’une pièce à succès d’Elmer Price, Prix Pulitzer en 1929.

Street Scene n’échappe d’ailleurs pas à l’aspect théâtral de l’entreprise, avec sa stricte unité de lieu et de temps : trois scènes clairement définies, entrecoupées par des ellipses fortes en tension dramatique ; l’une laissant en suspens le destin d’une femme sur le point d’accoucher ; l’autre celui d’une autre femme gravement blessée.

King Vidor, grand cinéaste du mouvement et de la foule, relève un vrai défi avec ce dispositif théâtral qui se concentre sur un décor de quelques mètres carrés seulement, avec beaucoup d’enjeux hors champs. Il s’en tire avec les honneurs, même si on le sent contraint par ce parti-pris.

Mais il donne de la vie à cette petite communauté, bien servi par de beaux acteurs : Sylvia Sidney en jeune femme femme tragique et forte, Beulah Bondi en commère affreuse, John Qualen en brave concierge… Surtout, c’est dans les détails qu’on retrouve le talent du cinéaste : dans cette série de plans inauguraux qui rendent palpables la chaleur accablante, ou dans celle du premier « entracte » qui suggère la nuit qui passe, préfigurant les images de voisins dans Fenêtre sur cour, bien plus tard.

Mais c’est dans les deux scènes de foule que le réalisateur du bien nommé La Foule rappelle vraiment le grand cinéaste qu’il est : deux séquences où le drame attire les curieux, libère les passions morbides… et dont Vidor fait le cadre idéal pour isoler ses héros, comme prisonniers d’un environnement étouffant et mesquin.

Pas le chef d’œuvre de Vidor, non, mais un film intense et sensible, et ancré dans une réalisé sans concession, et sans illusion.

Casier judiciaire (You and me) – de Fritz Lang – 1938

Posté : 29 octobre, 2016 @ 8:00 dans * Films de gangsters, 1930-1939, LANG Fritz, SIDNEY Sylvia | 2 commentaires »

Casier judiciaire

Troisième film américain de Lang, et troisième (et dernière) collaboration avec Sylvia Sidney, sa belle actrice de Furie et J’ai le droit de vivre. La parenté entre ces trois films est assez évidente. Il y est à chaque fois question du regard des honnêtes gens sur ce qu’ils considèrent comme le Mal, et sur la difficulté pour ceux qui ont fauté d’avoir une seconde chance et de trouver leur place dans la société.

Pourtant, Casier judiciaire se distingue très clairement de ses précédents films. A vrai dire, il est assez unique dans la filmographie de Lang, qui s’aventure dans des eaux qu’il n’a quasiment jamais navigué. Car le ton est bien différent ici. Sans être une pure comédie qui fait rire, le film est quand nettement plus léger que à peu près tout ce que Lang a tourné avant ou après.

Il y a de la légèreté dans cette manière qu’il a de filmer le « gang » (au sein duquel on retrouve un tout jeune Robert Cummings, un Jack Pennick pour une fois pas chez Ford et pas muet, et quelques gueules qu’on aime bien : Roscoe Karns, Warren Hymer, ou le patibulaire Barton McLane. Un gang de pieds niquelés qui évoque moins les tueurs de Scarface que les attachants hors la loi de Up the River

Lang n’est sans doute pas un spécialiste de la comédie. Mais il semble vouloir explorer de nouvelles voies, parsemant notamment son film d’interludes musicaux écrits par Kurt Weill, le complice de Brecht. Pas étonnant que l’atmosphère se dirige parfois vers L’Opéra de Quatre Sous : l’utilisation de la musique et des chansons, la manière de filmer les bas-fonds où évolue la pègre, et le ton par moments beaucoup plus sombres tranchent avec la légèreté du ton général.

Le film n’est pas totalement abouti : Lang navigue ainsi entre plusieurs genres sans savoir vraiment sur quoi se concentrer. Sur cette histoire d’amour contrariée entre deux anciens détenus (Sidney et George Raft). Ou sur ce patron de grand magasin qui n’emploie que des repentis sortis de prisons (Harry Carey, forcément sympathique). Ou sur la tentation pour le héros de reprendre le chemin des cambriolages…

Mais la mise en scène de Lang est là, inventive et audacieuse, comme la séquence d’ouverture : une chanson dont l’air et les paroles conduisent la caméra vers la main prise en flagrant délit d’une cleptomane dans le magasin, belle manière d’introduire le personnage de Sylvia Sidney et ses grands yeux tristes. Ou le très joli plan des mains de Sylvia et George qui se frôlent tendrement dans un escalator. Ou encore la déclaration d’amour drôle et touchante par la fenêtre d’un bus.

Mais la plus belle scène du film est aussi la plus étonnante, la plus inattendue : l’un des interludes « musicaux », sans autre musique que de courtes phrases scandées par les membres du gang, qui se retrouvent le soir de Thanksgiving et se remémorent leurs années de prison. Transparences, flash-backs stylisés, ambiance envoûtante… Le temps d’une scène, Lang casse les codes traditionnels de narration, et laisse imaginer comment il aurait pu transcender la comédie musicale, un genre qu’il n’abordera jamais.

La Rue sans issue (Dead End) – de William Wyler – 1937

Posté : 22 janvier, 2014 @ 1:00 dans * Films noirs (1935-1959), 1930-1939, BOGART Humphrey, BOND Ward, SIDNEY Sylvia, WYLER William | Pas de commentaires »

Rue sans issue

La carrière de Bogart n’a pas commencé avec Le Faucon maltais et High Sierra. Dans les années qui ont précédé ces deux monuments, le futur mythe est apparu dans de nombreux films plus ou moins marquants, souvent dans des rôles de brute. Beaucoup de seconds rôles, dans des productions pas toujours mémorables. Mais aussi quelques pépites, en particulier ce Dead End absolument formidable, où Bogie ne tient que le troisième rôle, mais crève littéralement l’écran.

Cette « rue sans issue », c’est un quartier pauvre de New York : une rue qui ne conduit que sur les berges sales du fleuve, et dont les habitants semblent condamnés à ne jamais en sortir… Les décors (de Richard Day) sont exceptionnels, et font beaucoup pour l’atmosphère unique de ce film noir et incroyablement cruel, adapté d’une pièce à succès (Wyler en respecte d’ailleurs parfaitement l’unité de lieu et de temps) de l’époque.

Cette rue grouillante de vie et de misère est le seul décor du film. C’est aussi le seul horizon de ces jeunes (les Dead End Kids, groupe d’adolescents que l’on retrouvera dans de nombreux films dans les années qui suivent, notamment dans l’excellent Je suis un criminel de Busby Berkeley), mais aussi des quelques adultes qui ont grandi là et n’ont jamais pu partir de ce lieu sans avenir.

C’est le cas du couple vedette : la craquante Sylvia Sidney en grande sœur courage, et Joel McCrea, architecte sans emploi qui vit de petits boulots. Ces deux-là pourraient s’aimer passionnément, mais sont continuellement ramenés à leur condition miséreuse par leur entourage, par leurs difficultés au quotidien, et par l’apparition d’immeubles luxueux. Censé remplacer à terme leurs appartements insalubres, ce nouveau voisinage menace jusqu’à leur existence, les privant définitivement du moindre avenir.

Les deux stars sont parfaites, mais dans des rôles un peu monochromes. Celui de Bogart, par contre, est extraordinaire. Célèbre gangster recherché par les polices de tout le pays, Baby Face revient contre toute attente dans le quartier où il a grandi, par nostalgie. Un vrai dur qui a tout connu : le luxe, l’aventure, les femmes. Mais qui n’aspire qu’à revoir sa vieille mère et son premier amour, qui n’ont jamais quitté le quartier.

Dans ce décor de son enfance, rien ne semble avoir changé. Mais la confrontation avec ses souvenirs sera bien cruelle : sa mère rejette le tueur qu’il est devenu. Quant à son ex, que le temps a idéalisé, il la retrouve abîmée par la vraie vie : pute malade, personnage déchirant que l’immense Claire Trevor (qui n’avait pas encore tourné Stagecoach) parvient à rendre inoubliable en quelques minutes de présence à l’écran seulement. Le vrai couple de ce film désespéré, c’est bien celui-là, et c’est déchirant.

J’ai le droit de vivre (You only live once) – de Fritz Lang – 1937

Posté : 3 juin, 2013 @ 10:13 dans * Films noirs (1935-1959), 1930-1939, BOND Ward, LANG Fritz, SIDNEY Sylvia | Pas de commentaires »

J’ai le droit de vivre (You only live once) – de Fritz Lang – 1937 dans * Films noirs (1935-1959) jai-le-droit-de-vivre

Deuxième film américain de Fritz Lang après le formidable Furie, et toujours le même thème : celui de l’innocent condamné et lynché. Mais il y a une différence de taille : cette fois, ce n’est pas la foule, incontrôlable et inhumaine, qui lynche l’innocent, mais la société dans tout ce qu’elle a d’organisée et d’officielle.

Henry Fonda, mauvais garçon libéré de sa troisième peine de prison et bien décidé à marcher droit et à mener une vie décente auprès de sa fiancée, la jolie Sylvia Sidney. Sauf que la rédemption est une chimère, et que cette société américaine, à peine sauvée par quelques grandes âmes (le prêtre, l’avocat, deux belles personnes qui risquent leur intégrité, leur bonheur et leur vie pour le bonheur des amoureux), ne laisse guère d’espoir à un condamné en quête d’une deuxième chance.

Alors que le terme n’a pas encore été inventé, J’ai le droit de vivre est un vrai film noir, dans la lignée du génial Je suis un évadé, et avec tout ce que cela implique de tragédie, de mauvaises décisions, et de contexte social.

Ce film est un chef d’œuvre, un de plus pour Lang. De cette histoire simple et tragique, Lang fait une formidable version moderne de Roméo et Juliette, avec deux personnages d’univers très différents, que l’amour conduit vers une apothéose fatale absolument sublime.

Etonnant de voir à quel point Lang, jeune exilé accueilli comme un roi à Hollywood, se montre critique et cynique envers la société américaine. Son film est d’une ironie cruelle, à l’image d’une scène assez incroyable : à quelques heures de son exécution, Fonda est soigné dans l’infirmerie de l’hôpital, les médecins s’affairant pour s’assurer qu’il sera en bonne santé pour subir son châtiment…

Cette ironie vire au cynisme absolu lors de l’évasion, moment de bravoure annoncé qui vire au tragique absurde. Lang signe une œuvre d’une noirceur abyssale, évitant toute facilité, et tout sentimentalisme : ses personnages sont des victimes, dans une certaine manière, mais Lang ne leur enlève par leur libre arbitre, et n’en fait pas de simples pions manipulés par le destin. Fonda a sa part d’ombre : il suffit de le voir chuchoter avec hargne, les yeux exorbités, « Give me a gun », pour s’en convaincre. Et Sidney abandonne tout, jusqu’à ce qu’elle a de plus innocent en elle (son bébé) pour son homme…

On s’en doute dès les premières images : tout ça finira très mal. Après Furie, les premiers pas de Lang à Hollywood sont décidément très, très, très sombres… Et Lang a une vision de l’innocence et de la culpabilité très personnelle.

Les Inconnus dans la ville (Violent Saturday) – de Richard Fleischer – 1955

Posté : 5 avril, 2013 @ 6:19 dans * Films noirs (1935-1959), 1950-1959, FLEISCHER Richard, SIDNEY Sylvia | Pas de commentaires »

Les Inconnus dans la ville (Violent Saturday) – de Richard Fleischer – 1955 dans * Films noirs (1935-1959) les-inconnus-dans-la-ville

Violent Saturday est un film génial qui, mine de rien, révolutionne complètement le film de braquage. A première vue, Richard Fleischer signe un film de genre tout ce qu’il y a de plus classique : trois gangsters arrivent dans une petite ville et se préparent pour l’attaque d’une banque. On a vu ça cent fois dans des polars, ou des westerns.

Mais dans la première heure, les préparatifs des gangsters ne sont là qu’en pointillés, servant de fil conducteur entre des personnages qui, d’habitude, ne sont au mieux que des seconds rôles, au pire des figurants : les habitants de cette petite ville, ceux qui, vers la fin du film, vont voir leur vie bouleversée par un petit moment de violence extrême.

Ils sont une dizaine de personnages qui n’ont rien de spectaculaire, mais qui ont tous leurs petits défauts, leurs fêlures. Et ce sont ces parts d’ombre que Fleischer explore, avec une délicatesse et une intelligence folles. Victor Mature en père de famille qui souffre de ne pas être un héros aux yeux de son fils ; Richard Egan en riche héritier qui aime encore une femme dont l’infidélité le ronge ; Sylvia Sidney en vieille fille qui n’arrive pas à joindre les deux bouts et se résout à voler ; Tommy Noonan en banquier qui reluque la cliente dont il est secrètement amoureux…

Fleischer réussit à faire vivre chacun de ses personnages, à la rendre profondément attachants et émouvants. Et il le fait avec une fluidité de l’action qui est remarquable : pas une seconde cette action en suspens ne fait baisser le rythme d’un film constamment passionnant et brillant.

Côté gangsters aussi, Fleischer évite les facilités, choisissant trois caractères qui flirtent avec le stéréotype (le chef, le cérébral, la brute), pour mieux en prendre le contre-pied. Notamment lors d’une discussion nocturne entre Stephen McNally et Lee Marvin, totalement inattendue, qui n’apporte strictement rien à l’intrigue, mais fait beaucoup pour la profondeur de ces personnages, et pour l’atmosphère si singulière du film.

Cette courte scène illustre bien le part pris de Fleischer : ne s’intéresser vraiment qu’à tout ce qui d’habitude passe au second plan : les angoisses et incertitudes des protagonistes, le quotidien des personnages secondaires,…

Quant à l’explosion de violence attendue, aussi brève que fulgurante, elle est d’une virtuosité incroyable, révélant le caractère de certains, et l’absurdité de l’entreprise. La fusillade finale, surtout, est extraordinaire, donnant soudain à Victor Mature les épaules d’un authentique héros. Sa vie, et ses rapports avec son fils, s’en trouveront bouleversés.

C’est ce qui est beau dans ce film : la manière dont l’intrigue policière et la chronique d’une petite ville normale sont intimement liées. Violent Saturday est un chef d’œuvre, l’un des plus beaux films de son auteur.

Agent Secret (Sabotage) – d’Alfred Hitchcock – 1936

Posté : 26 juillet, 2011 @ 10:11 dans * Polars européens, 1930-1939, HITCHCOCK Alfred, SIDNEY Sylvia | Pas de commentaires »

Agent Secret (Sabotage) - d'Alfred Hitchcock - 1936 dans * Polars européens agent-secret

Formellement, ce film méconnu d’Hitchcock, adaptation d’un roman de Joseph Conrad, est une splendeur. Toute la première partie, d’ailleurs, est à placer dans le panthéon hitchcockien. Malgré une absence d’humour plutôt rare dans l’œuvre du cinéaste, cette plongée au cœur des quartiers populaires de Londres (pas ceux, moite et inquiétant, de Frenzy, plutôt un quartier modeste mais chaleureux, un village dans la ville ; les temps ne sont pas les mêmes) est passionnante et fascinante. En quelques plans étonnants, Hitch plante le décor : la capitale anglaise vit sous la menace de mystérieux terroristes.

Une menace que les Londoniens prennent plutôt à la légère (étonnante scène d’un métro plongé dans le noir, dont les passagers sortent un large sourire aux lèvres), mais dont on pressent que les conséquences vont être terribles : parce qu’on connaît le roman, mais surtout parce qu’un ton aussi sombre chez Hitchcock ne peut pas être anodin. Et de fait, le point d’orgue du film est une tragédie, sans doute la séquence la plus insoutenable de toute l’œuvre hitchcockienne. Et mieux vaut ne pas lire plus loin si on n’a jamais vu le film…

Cette séquence est marquée du sceau de l’horreur, parce qu’elle tourne autour de l’image même de l’innocence : un jeune garçon, qui trimballe sans le savoir une bombe dans les rues bondées de Londres. Cette bombe, le spectateur sait très exactement à quelle heure elle doit exploser. Et Hitchcock fait monter la tension en filmant ces images d’insouciances, et des plans de plus en plus rapprochés sur les horloges de la ville. Jusqu’à l’explosion, qui coûte la vie au garçon, et à plusieurs passagers d’un bus. Terrible.

Le principal défaut du film repose sur les conséquences de cette tragédie, trop facilement évacués. Après cette séquence, inoubliable, qui est sans doute la raison d’être du film, Hitchcock tombe un peu dans la facilité. Des rebondissements trop téléphonés, un semblant de happy-end, laissent un arrière-goût étrange, d’inachevé.

C’est dommage, parce que toute la première moitié du film est exceptionnelle. Les personnages, notamment, sont formidablement bien dessinés : il y a ce flic infiltré, qui soupçonne Verloc, le patron d’un cinéma (étonnant Oscar Homolka), d’être l’auteur des sabotages qui se multiplient. Il y a la femme de ce dernier, jeune beauté émouvante (Sylvia Sidney, craquante et bouleversante). Il y a un étonnant artificier clandestin, qui dissimule ses bombes dans la cuisine où travaille sa fille et où joue sa petite-fille… Hitchcock filme ce petit monde avec une ironie plus mordante qu’à l’accoutumée, qui crée un malaise persistant.

La dernière partie du film ne manque pas d’intérêt, cela dit. Plusieurs séquences sont même exceptionnelles. Celle, bouleversante, où Mme Verloc, qui vient d’apprendre la mort de son jeune frère, se met à rire devant un dessin animé… ; ce rire fait ressentir violemment l’horreur de cette innocence sacrifiée. Celle, aussi, de la mort de Verloc, tué de la main de sa femme ; s’est-il volontairement dirigé vers cette mort, rongé par la culpabilité ? Hitchcock le laisse penser, tout en faisant planer le doute.

Méconnu, mal aimé, Sabotage n’a pas connu un très gros succès en salles : les spectateurs n’y ont pas retrouvé la patte habituelle du cinéaste. Ils feront par contre un triomphe à ses deux réalisations suivantes : Jeune et innocent et Une femme disparaît.

Furie (Fury) – de Fritz Lang – 1936

Posté : 3 septembre, 2010 @ 1:04 dans 1930-1939, LANG Fritz, SIDNEY Sylvia | Pas de commentaires »

Furie (Fury) - de Fritz Lang - 1936 dans 1930-1939 furie-lang

Premier film américain de Fritz Lang, Furie est un film immense, probablement celui qui décrit le mieux le comportement inhumain d’une foule, comment des hommes et des femmes, aussi bons soient-ils individuellement, peuvent s’influencer les uns les autres et devenir de véritables bêtes sauvages. Lang plonge au cœur de la population, au cœur de la foule, pour ne rien perdre de ce processus, mais il le fait sans appuyer le trait, sans jamais s’appesantir. D’ailleurs, en à peine plus de 90 minutes, le cinéaste a le temps de faire non pas un, mais deux films, autour de cette histoire d’un homme arrêté par erreur, et que la population d’un petit village tentera de lyncher parce qu’elle le prend pour le kidnappeur qui terrorise la région.

Le premier de ces « films » décrit le mécanisme implacable de la foule, et Lang utilise tous les outils du ciné-reportage (ce n’est d’ailleurs pas un hasard si on voit des caméras filmer le lynchage), avec une alternance de gros plans et de plans larges, de plongées et contre-plongées, et un montage sec et nerveux, qui mettent littéralement le spectateur au cœur de l’action, au milieu de cette foule qui avance. Le « second film » s’intéresse aux conséquence, terribles, du lynchage, et emprunte au « film de procès », sous-genre qui a toujours été très populaire en Amérique, et que Lang utilise ici pour poser le débat . Les deux parties du film, radicalement différentes dans leur ton, s’équilibrent parfaitement : Lang décrit, sans concession, et sans atténuer ni la gravité des faits, ni l’horreur du comportement de ces citoyens au-dessus de tout soupçon ; mais il se garde bien de tout jugement, et c’est bien ce qui rend le film aussi passionnant, et aussi dérangeant.

Dérangeante aussi : la prestation de Spencer Tracy, dont la métamorphose est impressionnante. Du Mr. Nice Guy qui montre le bon exemple à ses frères, et choisit de travailler d’arrache-pied loin de sa fiancée durant de longs mois pour pouvoir fonder un foyer, à l’inquiétant bloc de haine qui le pousse à la plus terrible des vengeances, le fossé est incroyablement large, et l’interprétation de Tracy d’une grande force. Peut-être Victor Fleming a-t-il pensé à la métamorphose de l’acteur dans Furie, lorsqu’il a pensé à lui pour interpréter Docteur Jeckyll et Mister Hyde, cinq ans plus tard…

Parfait contrepoint de la haine trimballée par Tracy, la douce Sylvia Sidney, muse incontournable de Lang pour ses débuts hollywoodiens (le cinéaste la dirigera de nouveau dans J’ai le droit de vivre en 1937, et dans le méconnu Casier judiciaire, en 1938), incarne la raison et l’empathie. C’est elle qui pose la vraie question soulevée par le film : peut-on juger individuellement les membres d’une foule ? Ne comptez pas sur Lang pour donner une réponse tranchée à cette question. Les responsables du lynchage regrettent-ils leur geste ? Peut-être, mais ces regrets ne deviennent évidents que lorsqu’ils découvrent qu’eux-mêmes encourent la plus lourde des peines…

Lang réussit là des débuts éclatants à Hollywood, et montre dès ce premier film ses ambitions, énormes. Il filme comme peu de cinéastes avant lui (on peut citer le Eisenstein du Cuirassé Potemkine, et surtout de La Grève, sans doute une référence pour Lang), l’âme de la foule : non pas comme une masse informe, mais comme une accumulation de visages déformés par la colère et la soif de sang. Ces visages restent longtemps en mémoire, notamment ce petit plan furtif montrant une mère, son enfant dans les bras, les yeux écarquillés et le sourire sadique, attendant avec envie de voir le pauvre Spencer Tracy brûler dans sa cellule…

La Fille du Bois Maudit (The Trail of the Lonesome Pine) – de Henry Hathaway – 1936

Posté : 30 août, 2010 @ 5:28 dans 1930-1939, HATHAWAY Henry, SIDNEY Sylvia | Pas de commentaires »

La Fille du Bois Maudit (The Trail of the Lonesome Pine) - de Henry Hathaway - 1936 dans 1930-1939 la-fille-du-bois-maudit

The Trail of the Lonesome Pine est resté dans l’histoire pour avoir été le premier tourné en technicolor en extérieur. Mais le plus important est ailleurs : Hathaway signe là un film magnifique, l’une de ses plus éclatantes réussites, d’une richesse incroyable, et visuellement ébouriffant : le poids de la nouveauté technique n’a aucunement gêné le cinéaste, pas plus que ça ne l’a freiné dans ses ambitions esthétiques. Dans des décors naturels impressionnants, le vert, le bleu, le blanc sont éclatants, et soulignent parfaitement la beauté des lieux. On sent aussi que Hathaway a profité de tous les « incidents » climatiques qu’il a rencontrés pour enrichir son film : les plans sur la vallée baignée de brouillard sont d’une grande beauté.Tous comme les scènes d’intérieur, tournées dans une pénombre chaleureuse, les visages étant souvent (très joliment) éclairées par les flammes de la cheminée.

Visuellement, The Trail of the lonesome Pine (le titre original est bien plus beau que sa « traduction » française) est donc une splendeur. Mais c’est aussi, et surtout, un film passionnant, qui commence comme un western, se poursuit sur le ton d’une jolie comédie bucolique, et se termine en tragédie shakespearienne. Comme dit Albert Dupontel dans Le Créateur : « on rit, on pleure, une heure trente de bonheur »… A vrai dire, on ne rit pas beaucoup, mais on sourit énormément (et on soupire d’aise) devant ses longues séquences qui nous montrent à quel point la vie est belle au grand air, loin de toutes les contraintes du monde moderne.

Tout n’est pourtant pas si beau dans ces montagnes où se déroulent l’action. Le cadre de vie est magnifique, mais les deux familles qui y vivent, les Tolliver et les Falin, se livrent depuis des générations à une guerre sans merci dont, contrairement à ce que les personnages clament à longueur de temps (« Je sais pourquoi je les déteste » affirme l’un d’entre eux sans y croire vraiment), l’origine est oubliée depuis longtemps. Et on n’est pas ici dans une petite querelle de voisinage : la guerre est livrée à coup de fusils et d’explosifs, et il n’est pas rare qu’un membre d’une famille ou d’une autre soit tué, pour le plus grand bonheur des hommes de l’autre famille… et pour le grand malheur de la mère Tolliver, un rôle magnifique interprété avec beaucoup de nuances par Beulah Bondi (la « mère » de James Stewart dans plusieurs films) qui ne rêve que de vivre en paix, et d’arrêter de voir « ses hommes » se faire tuer pour rien.

C’est dans ce contexte qu’arrive Fred McMurray, alors un habitué des rôles de comédie. Le futur interprète d’Assurance sur la mort joue un ingénieur de la ville qui arrive dans les montagnes pour trouver un accord avec les deux familles, afin qu’elles autorisent le passage du chemin de fer sur leurs terres. Homme sensible, bon et raisonnable, l’ingénieur Jack Hale sympathise rapidement avec le patriarche de la famille Tolliver. Mais le neveu Tolliver, joué par un Henry Fonda assez loin des rôles de gentils naïfs dont il est un habitué, observe avec méfiance l’arrivée de Hale. Avec raison d’ailleurs : June, sa cousine, avec laquelle il doit se marier, semble très attirée par cet ingénieur aux antipodes de ses propres manières frustres.

Dans le rôle de June, petite sauvageonne au regard de chat, on retrouve la mimi Sylvia Sidney, qu’on un peu trop vite oublié, mais qui enchaînait alors les chef d’œuvre : la belle était sur le point de tourner, coup sur coup, Furie de Fritz Lang, Agent Secret d’Alfred Hitchcock, et Rue sans Issue de William Wyler… Soixante ans plus tard, peu avant sa mort, la jeune génération la redécouvrirait grâce à Tim Burton, qui lui offrira le rôle de la vieille dame à la clope dans Beetlejuice, et celui d’une mamie qui contribue à sauver le monde d’une invasion extraterrestre dans Mars Attacks.

Et surtout, le personnage d’Henry Fonda redoute que l’arrivée du chemin de fer, qui a souvent symbolisé la modernité et la fin de l’époque des pionniers dans les westerns, remette en cause le mode de vie qu’il a toujours connu. C’est d’ailleurs tout le sujet du film, et le film ne tombe dans aucune facilité pour le traiter. D’autres à la place d’Hathaway aurait choisi leur camp : vive la modernité ? ou vive le retour à la nature ? Le cinéaste, lui, ne tranche pas. L’arrivée de Fred McMurray, qui représente à lui seul cette modernité, vient bouleverser l’existence des Tolliver, et s’accompagne bien de drames terribles. Mais c’est aussi grâce à ces bouleversements que les habitants de la montagne pourront enfin tirer les leçons de leurs erreurs.

 

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