The Old Oak (id.) – de Ken Loach – 2023
Ken Loach a 87 ans, et il va bien. Il n’a en tout cas rien perdu de sa capacité d’indignation, ni de sa profonde empathie pour « les gens », comme dirait François Ruffin. Et c’est l’une des meilleures nouvelles de cette nouvelle année pleine de drames. De ces drames, Loach n’est vraiment pas du genre à faire comme s’ils n’existaient pas. Au contraire : au fil des ans et des films, il n’a jamais cessé d’en faire les sujets de ces drames plus ou moins graves.
Mais Ken Loach n’est pas qu’un citoyen engagé et révolté. C’est aussi, et surtout, un cinéaste qui croit en la force du cinéma, et de la fiction en générale. The Old Oak, qui aborde frontalement l’immigration massive, est à la fois un film réaliste et très documenté, et une fable que n’aurait pas reniée Frank Capra. En tout cas pas aujourd’hui.
La référence à Capra n’est pas anodine : The Old Oak a clairement quelque chose de La Vie est belle, dans sa manière de faire intervenir un miracle dans la vie d’un homme profondément bon qui ne réalise pas lui-même à quel point sa présence est précieuse à la cohésion d’une petite ville ; dans sa manière aussi de filmer une espèce de communion qui dépasse tous les cadres sociaux… Une fable donc, mais filmée avec le regard de Loach, tout aussi humaniste que celui de Capra, mais plus ancré dans l’actualité.
The Old Oak évoque les bouleversements que provoque l’arrivée de migrants syriens dans une petite ville minière sinistrée depuis la fermeture des puits. Le film est triste. Profondément, parce que ancré dans la réalité. Il est aussi, et tout aussi profondément, optimiste. Idéaliste, même : Loach filme la naissance d’une nouvelle communauté, qui réunit dans un même groupe des villageois « du cru » et des migrants.
Plutôt que d’opposer la misère des uns et des autres (opposition dont il ne nie pas l’existence), Loach évoque des hommes et des femmes qui décident de faire de la cohabitation de ces deux misères une chance, et une force. Et c’est beau parce que plein d’espoirs, et parce que le film met en scène de vrais héros, qui justement n’ont rien d’héroïque. A commencer par le patron du pub, vieille baderne fatiguée et découragée, qui remonte la pente grâce à la force d’une jeune migrante qui a traversé tant d’horreurs et garde la tête haute.
Cette amitié improbable avait sans doute besoin du regard si doux et conscient à la fois de Loach pour être si belle, si émouvante. Elle l’est. Et si Loach en reste là, comme il l’a laissé entendre, alors il aura refermé sa magnifique carrière de la plus belle des manières, sur une image qui symbolise mieux qu’aucune autre peut-être l’humanité et la beauté de son regard.