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Archive pour novembre, 2023

Les Trois Singes (Üç maymun) – de Nuri Bilge Ceylan – 2008

Posté : 30 novembre, 2023 @ 8:00 dans 2000-2009, CEYLAN Nuri Bilge | Pas de commentaires »

Les Trois Singes

Jamais Nuri Bilge Ceylan ne s’est autant rapproché du film de genre qu’avec ces Trois Singes, le plus méconnu de ses films, une sorte de transition entre ses premiers films nourris de sa propre vie, et ses grandes fresques à venir. Après ça, le plus grand cinéaste vivant enchaînera avec quatre chefs d’œuvre absolus. En attendant le cinquième…

On n’en est pas tout à fait là, et Les Trois Singes est un film à la fois formidable, et un peu en deçà des précédents et (surtout) des suivants. Sans doute la photo saturée et quasi monochrome des premières séquences est-elle pour quelque chose dans la sensation initiale d’assister à une espèce d’essai qui ne serait qu’à peu près abouti. Cela dit, cette sensation ne dure pas, tant le style de Ceylan semble s’épanouir au fur et à mesure que le film avance.

D’ailleurs, un Ceylan en deçà vaut bien mieux qu’à peu près n’importe quel autre film. Et celui-ci a une intensité folle, basée pour une fois sur une intrigue et une narration plus classiques qu’à l’accoutumée, Ceylan flirtant même avec les stéréotypes du noir, femme fatale, sale type et antihéros à l’appui. Un chauffeur qui accepte n’endosser la responsabilité de l’accident mortel causé par son politique de patron, ce dernier profitant de la peine de prison de son larbin pour coucher avec sa femme.

Sans attendre la puissance des grands chefs d’œuvre du cinéaste, cette première partie inattendue a quelque chose d’assez radical, qui pousse à rêver d’un authentique film de genre que réaliserait Ceylan. Ce qui, on en a bien conscience, n’arrivera sans doute jamais. Première partie excitante donc, mais c’est dans la seconde moitié que l’on retrouve vraiment le génie du cinéaste.

Lorsque le mari sort de prison et qu’il retrouve sa femme et leur fils… Trois êtres largués et à la croisée des chemins, effrayés chacun à leur manière par l’avenir qui les attend. Le mari, rongé par la jalousie. Le fils, incapable de se projeter dans la vie, et confronté à un sentiment ravageur de trahison. L’épouse et mère, surtout, le plus beau personnage du film, une femme entre deux âges qui se raccroche à une aventure sans lendemain comme pour prolonger cette vie de femme désirable qui lui échappe.

C’est là, en se recentrant sur cette cellule familiale bouffée par les mensonges et les non-dits, que l’art de Ceylan s’exprime avec le plus d’intensité, dépassant les quelques fulgurances esthétiques qui parsèment son film. Oui, il a fait plus fort, et il fera encore plus fort. Mais même avec ce film transitoire imparfait, Ceylan est grand, et son cinéma unique et précieux.

Une poule dans le vent / Une femme dans le vent (Kaze no naka no mendori) – de Yasujiro Ozu – 1948

Posté : 29 novembre, 2023 @ 8:00 dans 1940-1949, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Une poule dans le vent

Deuxième film de l’après-guerre pour Ozu, après Récit d’un propriétaire, et on sent que le cinéaste est encore très marqué par ce conflit qu’il a vécu rudement de l’intérieur. Dans son style inimitable à hauteur de tatamis… et de gravas, il filme un Japon qui n’a pas encore pansé ses plaies, et qui ne s’est pas encore reconstruit.

Le décor est souvent important pour les petits objets ou la place de la nature dans les films d’Ozu. Ici aussi d’une certaine manière, mais « l’objet » qui domine, c’est cet immense réservoir qui surplombe les maisons et les terrains vagues, et dont les personnages semblent ne pas pouvoir s’éloigner, ombre pesante qui semble étouffer une certaine vision du Japon, qui aurait disparu avec la guerre.

Ozu n’a jamais filmé frontalement le conflit. Mais avec ce film plus sans doute qu’avec aucun autre, il en fait ressentir les effets. En filmant d’abord une jeune mère courage qui attend désespérément le retour de son mari, parti pour le front quatre ans plus tôt et pas encore démobilisé, et qui doit se résoudre à se prostituer le temps d’une soirée pour payer les soins de son fils tombé malade.

C’est Kinuyo Tanaka, immense star du cinéma japonais qui fut une interprète fidèle d’Ozu une quinzaine d’années plus tôt (à partir de J’ai été diplômé, mais…), et qui deviendrait cinq ans plus tard une réalisatrice remarquable (avec Lettre d’amour). On n’en est pas encore là : elle est en 1948 une grande actrice, déchirante dans le rôle de cette femme que le retour de son mari confronte à ses choix.

C’est poignant, déchirant même lorsque le visage de Tanaka brise le masque qu’elle tentait de garder, révélant son extrême désespoir face à un mari (Shuji Sano, formidable lui aussi) comme transformé en bloc de marbre. Et c’est quand lui tombe l’armure que le film est, peut-être, le plus émouvant : lorsque, face à une autre femme ayant dû se résoudre à vendre ses charmes, il réalise l’ampleur de ce qu’on vécu les femmes pendant son absence, et ce qu’elles endurent encore.

Je m’étais juré de ne plus utiliser le terme « magnifique » en évoquant un film d’Ozu. Trop facile, trop évident. Mais que ce film est beau, encore. Ozu a ce talent rare de transformer la simplicité en moments de grâce. A vrai dire, c’est tout simplement magnifique.

Damnation (Kárhozat) – de Béla Tarr – 1988

Posté : 28 novembre, 2023 @ 8:00 dans 1980-1989, TARR Bela | Pas de commentaires »

Damnation

Béla Tarr filme la laideur, et c’est magnifique. Visuellement en tout cas, tout en plans séquences, en mouvements de grue et en panoramiques extraordinaires. Parce que les personnages, eux, ne le sont pas (magnifiques). Ils sont même d’une tristesse et d’une noirceur assez abyssales, quand on prend le temps de les observer.

Et il le prend (le temps), notre cinéaste hongrois préféré, qui semble redoubler d’intensité lorsqu’il filme les silences, l’ennui, le temps qui paraît même ne pas passer tant les personnages s’enfoncent dans un immobilisme radical, tout en moments sans cesse rejoués, en paroles presque vides de sens, en tout cas d’intérêt.

On pourrait résumer l’histoire assez simplement : un homme coupé du monde peine à conquérir une jeune chanteuse avec laquelle il a une liaison intermittente, et profite d’une occasion qui se présente pour envoyer le mari de cette dernière convoyer un chargement de drogue… Une intrigue de film noir, avec anti-héros, mari cocu, femme fatale… et pluie battante.

Pourtant, Tarr ne fait de cette intrigue qu’une vague trame, qu’il relègue au second plan, loin derrière l’observation de ces êtres qui se désagrègent. Une vision que renforcent les décors glauques, tout en friches et en terrains vagues, mais aussi ce noir et blanc au grain profond qui sera la marque du cinéaste dans ses grands films à venir.

Il y a quand même quelque chose d’assez intimidant à parler d’un film de Béla Tarr. Parce que l’intrigue est secondaire. Parce que son cinéma est un étonnant mélange d’austérité et de générosité, d’un rythme extrêmement lent et d’images superbes. Parce que ces images forment un tout fascinant et parfois abscons.

Une chose est sûre : Damnation est une suite presque ininterrompue d’images d’une puissance incroyables, qu’on aurait envie de toutes citer. Deux exemples, simplement… Le premier plan d’abord, paysage désolé et vaguement industriel que sa durée rend fascinant, annonçant l’ouverture hypnotique du Cheval de Turin. Et puis ce face à face inattendu et hallucinant entre le « héros » et un chien, les deux se lançant dans une espèce de duel, ou de danse, sous très haute tension.

On sort de Damnation avec le sentiment d’avoir vécu une expérience hors normes, et d’avoir été plongé dans les tourments internes de personnages paumés et presque résignés. Et c’est déstabilisant.

The Killer (id.) – de David Fincher – 2023

Posté : 27 novembre, 2023 @ 8:00 dans * Thrillers US (1980-…), 2020-2029, FINCHER David | Pas de commentaires »

The Killer Fincher

Un quasi-remake du Samouraï. Une espèce de contre-pied absolu à John Wick et toutes les grosses productions interchangeables récentes. On pourrait facilement résumer ainsi le nouveau film de David Fincher, dont l’histoire est on ne peut plus classique : un tueur, après un contrat raté, veut se venger de ceux qui s’en sont pris à sa petite amie.

Sur le papier, la simplicité et la frontalité du sujet évoquent d’autres classiques, comme le Point Blank de John Boorman. La liste des références, à vrai dire, est presque sans fin. A l’écran, la première séquence met d’emblée à mal toutes les velléités de comparaisons : avec The Killer, qui marque son retour au thriller noir (et ses retrouvailles avec son scénariste de Seven), Fincher se réinvente et réinvente le genre, comme il n’a cessé de le faire.

The Killer est sans doute son film le plus simple à résumer. C’est aussi peut-être son plus complexe stylistiquement. Aux antipodes de la surenchère habituelle du film de genre hollywoodien actuel, Fincher nous plonge dans l’esprit d’un tueur à gages, filmant longuement l’attente, la préparation, les interrogations, tout ce qui mène vers l’action elle-même qui n’est qu’un fragment spectaculaire dans un tout dénué de tout romantisme.

Son « héros », joué par un Michael Fassbender fascinant comme rarement, est un être ouvertement froid et clinique, attaché maladivement aux détails, et qui évite au maximum tout contact humain, ou tout ce qui pourrait faire de lui un être reconnaissable. Alors Fincher le met en scène dans des univers froids, interchangeables, sans âme.

Les décors eux-mêmes se ressemblent étrangement, où que se situe l’action. Et elle voyage beaucoup : le récit est divisé en cinq actes, et autant de villes à travers le monde. Et si le décor évolue peu, l’atmosphère elle, est clairement celle des lieux où Fincher pose ses caméras : Paris, New York, La Nouvelle Orléans…

Le directeur de la photo n’y est pas pour rien. Mais c’est surtout la précision de la mise en scène qui impressionne. La maîtrise absolue de son art, qui lui permet de signer des séquences aussi longues, aussi dénuées de tout effet spectaculaire, et aussi passionnantes. Le style Fincher épouse parfaitement les obsessions de son personnage principal, la prédominance des détails et une certaine froideur.

Pourtant, The Killer est aussi, et de loin, le film le plus drôle de Fincher. Bon. Pas non plus une franche comédie, non. Mais avec la voix off très présente de Fassbender, Fincher introduit une ironie, un décalage et une distance avec la froideur et la violence de son propos. Et derrière la simplicité du récit, c’est une sorte de condensé de tout son cinéma que réussit le réalisateur, de Fight Club à Gone Girl en passant par Panic Room.

Plus que jamais, Fincher est le cinéaste le plus passionnant de sa génération.

La Grande Passion – d’André Hugon – 1928

Posté : 26 novembre, 2023 @ 8:00 dans 1920-1929, FILMS MUETS, HUGON André | Pas de commentaires »

La Grande Passion

Il serait sans doute très présomptueux d’affirmer qu’André Hugon invente ici le film de sports. En creusant un peu, on doit pouvoir trouver cinquante exemples de films antérieurs. Variétés par exemple, si on part du principe que le trapèze est bien un sport, et dont l’intrigue présente quelques points communs avec cette Grande Passion.

Dans les deux cas, on trouve deux partenaires d’un même sport, attirés par la même femme. Et dans les deux cas, c’est le contexte sportif qui sort le film du classique schéma du triangle amoureux. Cela dit, la comparaison s’arrête là, ne serait-ce que parce que là où le trapèze était au fond un simple ressort dramatique, le rugby ici semble être la raison d’être première du film.

Sans vouloir balayer d’un revers de la main la tension amoureuse de ce triangle-qui-est-en-fait-un-carré (Hugon s’en charge lui-même), il faut bien reconnaître que l’intrigue n’a pas grand-intérêt, et que le personnage de la vamp tentatrice et manipulatrice jouée par Lil Dagover (Le Cabinet du Docteur Caligari, Les Trois Lumières, Tartuffe… une carrière de dingue dans les années 20) n’a pas un relief incroyable.

Ce carré amoureux, donc, est en fait prétexte à multiplier les morceaux de bravoure et les expérimentations. Et c’est là que se situe tout l’intérêt, la réussite, et aussi les limites de La Grande Passion. Et pas seulement sur les terrains de rugby, qui constituent le cœur vital du film : on compte aussi quelques scènes de luge (molles du genou) et une course-poursuite à ski (plus percutante que bien des scènes similaires dans les décennies à venir).

Mais là où le film est vraiment passionnant, c’est dans sa manière de nous plonger dans l’effervescence d’un match de rugby. A la fois dans l’attente d’un grand match international, avec de longues scènes de liesse populaire volées dans la rue, forcément très immersives. Et surtout dans le stade, avec des spectateurs qui sont sans doute d’authentiques supporters. Et sur le terrain bien sûr.

C’est là qu’André Hugon se montre le plus ambitieux, se posant pour le coup comme un authentique précurseur du film sportif, alternant les plans larges qui semblent être documentaires, et des gros plans inventifs… et plus ou moins convaincants. Hugon reprend et développe ainsi l’utilisation des planchers de verre, popularisés par The Lodger d’Hitchcock l’année précédente, qui permettent littéralement d’adopter le point de vue du sol. Ce qui donne quelques images étonnantes et étrangement immersives.

Plus problématiques : ces faux travellings censés accompagnés les joueurs lancés en pleine course… dont on voit bien qu’ils font semblant de courir devant un fond qui défile. Franchement rigolos pour le coup, ce qui n’est clairement pas le but. Ce serait un peu facile de ricaner près d’un siècle plus tard. Saluons pour le moins les efforts, profitons des belles trouvailles et du rythme généreux… La Grande Passion est une curiosité très séduisante.

Pêcheur d’Islande – de Jacques de Baroncelli – 1924

Posté : 25 novembre, 2023 @ 8:00 dans 1920-1929, DE BARONCELLI Jacques, FILMS MUETS, VANEL Charles | Pas de commentaires »

Pêcheur d'Islande

Comme la passion et les espoirs de la pauvre Gaud, qui attend désespérément que son rustre de marin lui déclare son amour, le film de Jacques de Baroncelli souffle constamment le chaud et le froid, et nous fait passer d’un désintérêt poli à un enthousiasme fervent. L’effet des embruns bretons, sans doute…

Gaud, jeune femme de Paimpol au visage taillée pour la tragédie… Les drames, d’ailleurs, s’accumulent autour d’elle. C’est le destin des femmes bretonnes, qui se retrouvent au pied de la croix des veuves, d’où l’on voit le mieux les bateaux rentrer au port… ou ne pas rentrer. Tout un symbole, donc, cette Gaud, qui a le regard triste et débordant d’amour de Sandra Milowanoff, jeune actrice révélée chez Louis Feuillade, et qui connaîtra une brève mais belle carrière jusqu’à la fin du muet.

Jusqu’à Dans la nuit à vrai dire, le film que réalisera Charles Vanel en 1929. Et c’est justement Charles Vanel qui interprète ici le marin rustre, celui qui ne se décide pas à déclarer son amour. Grand acteur, décidément, y compris dans ses jeunes années, où sa forte stature ne dissimule qu’à moitié une grande sensibilité ravalée. Il est formidable Vanel, dans ses doutes et dans ses obstinations, dans sa manière d’éviter le regard de Gaud, et de regarder la Mer, son autre amour.

Le vrai personnage principal de cette adaptation du roman de Pierre Loti (Charles Vanel jouera un rôle secondaire dans une autre adaptation, très libre, que tournera Pierre Schoendorffer trente-cinq ans plus tard), c’est elle, la mer. Et c’est peut-être un peu ambitieux pour Jacques de Baroncelli, qui n’a ni le regard poétique de Jean Epstein (Finis Terrae), ni le génie dramatique de Duvivier (La Divine Croisière), et qui ne réussit pas totalement à faire de la mer une entité vraiment forte.

Il y met les moyens pourtant (bon… pas dans le choix des maquettes de bateau, qui font très… maquettes de bateau), avec un montage savant et l’utilisation de transparences pour le coup joliment dramatiques. Les scènes les plus amples sont appliquées, un peu sages. Mais la magie opère pleinement dans quelques scènes remarquables, parfois très fugaces.

La main d’une veuve qui caresse celle de Gaud, la grand-mère qui assiste à travers un drap à une demande en mariage tant attendue, ou encore, et surtout, l’étonnante rencontre au large et en pleine brume avec un « vaisseau fantôme », moment où le temps semble suspendu visuellement magnifique et émotionnellement très fort.

The Bookshop (id.) – d’Isabel Coixet – 2017

Posté : 24 novembre, 2023 @ 8:00 dans 2010-2019, COIXET Isabel | Pas de commentaires »

The Bookshop

Il y avait la promesse d’une bluette charmante à la Chocolat de Lasse Halström, dans cette histoire d’une jeune femme décidée à ouvrir une librairie dans un petit village anglais dominé par une riche femme acariâtre. Las… Tout est cliché, tout est laid, et rien ne marche.

On aimerait aimer cette histoire. On aimerait aimer ce personnage interprété par Emily Mortimer. On aimerait être surpris par la « méchante » jouée par Patricia Clarkson. On aimerait être charmé par les décors et emporté par l’atmosphère. Mais non. On regarde ça avec un simple désintérêt.

Seul Bill Nighy réussit à attirer l’œil. Trop brièvement : son personnage d’amoureux des livres vivant en reclus n’est mystérieux qu’un temps, et disparaît plus vite encore qu’il n’était apparu. Cette adaptation d’un roman à succès de Penelope Fitzgerald manque décidément cruellement d’âme.

The Old Oak (id.) – de Ken Loach – 2023

Posté : 23 novembre, 2023 @ 8:00 dans 2020-2029, LOACH Ken | Pas de commentaires »

The Old Oak

Ken Loach a 87 ans, et il va bien. Il n’a en tout cas rien perdu de sa capacité d’indignation, ni de sa profonde empathie pour « les gens », comme dirait François Ruffin. Et c’est l’une des meilleures nouvelles de cette nouvelle année pleine de drames. De ces drames, Loach n’est vraiment pas du genre à faire comme s’ils n’existaient pas. Au contraire : au fil des ans et des films, il n’a jamais cessé d’en faire les sujets de ces drames plus ou moins graves.

Mais Ken Loach n’est pas qu’un citoyen engagé et révolté. C’est aussi, et surtout, un cinéaste qui croit en la force du cinéma, et de la fiction en générale. The Old Oak, qui aborde frontalement l’immigration massive, est à la fois un film réaliste et très documenté, et une fable que n’aurait pas reniée Frank Capra. En tout cas pas aujourd’hui.

La référence à Capra n’est pas anodine : The Old Oak a clairement quelque chose de La Vie est belle, dans sa manière de faire intervenir un miracle dans la vie d’un homme profondément bon qui ne réalise pas lui-même à quel point sa présence est précieuse à la cohésion d’une petite ville ; dans sa manière aussi de filmer une espèce de communion qui dépasse tous les cadres sociaux… Une fable donc, mais filmée avec le regard de Loach, tout aussi humaniste que celui de Capra, mais plus ancré dans l’actualité.

The Old Oak évoque les bouleversements que provoque l’arrivée de migrants syriens dans une petite ville minière sinistrée depuis la fermeture des puits. Le film est triste. Profondément, parce que ancré dans la réalité. Il est aussi, et tout aussi profondément, optimiste. Idéaliste, même : Loach filme la naissance d’une nouvelle communauté, qui réunit dans un même groupe des villageois « du cru » et des migrants.

Plutôt que d’opposer la misère des uns et des autres (opposition dont il ne nie pas l’existence), Loach évoque des hommes et des femmes qui décident de faire de la cohabitation de ces deux misères une chance, et une force. Et c’est beau parce que plein d’espoirs, et parce que le film met en scène de vrais héros, qui justement n’ont rien d’héroïque. A commencer par le patron du pub, vieille baderne fatiguée et découragée, qui remonte la pente grâce à la force d’une jeune migrante qui a traversé tant d’horreurs et garde la tête haute.

Cette amitié improbable avait sans doute besoin du regard si doux et conscient à la fois de Loach pour être si belle, si émouvante. Elle l’est. Et si Loach en reste là, comme il l’a laissé entendre, alors il aura refermé sa magnifique carrière de la plus belle des manières, sur une image qui symbolise mieux qu’aucune autre peut-être l’humanité et la beauté de son regard.

Crépuscule à Tokyo (Tokyo boshoku) – de Yasujiro Ozu – 1957

Posté : 22 novembre, 2023 @ 8:00 dans 1950-1959, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Crépuscule à Tokyo

Un père dont les filles sont à l’âge de se marier, et qui se prépare à se retrouver dans une maison vide… Ozu reste fidèle à ses thèmes habituels. Mais ce film-ci, son dernier en noir et blanc, rompt assez radicalement avec la plupart de ses autres grandes réussites.

On y retrouve cette petite musique si typique de son cinéma : une langueur plus que de la lenteur, la confrontation de la tradition et de la modernité, les indispensables « Hmmm » de Chishu Ryu (le plus beau son de toute l’histoire du cinéma), les êtres qui vont et viennent et les objets qui restent, le saké qui réchauffent les soirées de solitudes, le temps qui passe, surtout…

Mais cette fois, la douce nostalgie d’Ozu laisse la place à une vraie gravité, voire à un pur mélodrame qui ne laisse guère de place à la légèreté. Le père (le grand Chishu Ryu, donc) a été abandonné par sa femme bien des années plus tôt. Sa fille aînée (la toute aussi indispensable Setsuko Hara) s’éloigne d’un mari alcoolique et sans doute violent. Et sa fille cadette (Ineko Arima, bouleversante) court désespérément après un amant qui l’a laissée enceinte…

Le cinéma d’Ozu est souvent fait de petites choses, de minuscules drames de la vie qui passe. Dans Crépuscule à Tokyo, on sent bien que le drame est inévitable. Jusqu’au titre, d’ailleurs, qui tranche avec les titres habituellement apaisants des films d’Ozu. Mais le mélo est d’une classe folle, et d’une grande pudeur qui ne fait que rendre le drame plus poignant.

Et que dire du personnage de la mère absente, cette femme qui a abandonné mari et filles, et qu’on découvre faisant son possible pour combiner sa volonté de vivre avec la douleur de ses regrets. De ce personnage très en retrait viennent peut-être les émotions les plus vives de ce film magnifique. Peut-être parce qu’elle concentre toute la complexité de l’âme humaine. En tout cas pour le regard que lui porte Ozu, cinéaste humaniste et précieux.

Invisible Man (The Invisible Man) – de Leigh Whannell – 2020

Posté : 21 novembre, 2023 @ 8:00 dans 2020-2029, FANTASTIQUE/SF, WHANNELL Leigh | Pas de commentaires »

Invisible Man

Comment faire du neuf avec du vieux.… Cette version moderne et high tech d’un mythe qui a donné quelques grands films (au moins un : celui inaugural de James Whale) a droit à une nouvelle version très ancrée dans les enjeux actuels, avec deux sujets pour le prix d’un : l’omniprésence de la technologie dans notre quotidien, et les violences contre les femmes.

Le scénario est assez machiavélique, et plutôt convainquant à défaut d’être révolutionnaire : il met en scène une jeune femme qui fuit un compagnon violent, et qui réalise bientôt que ce dernier la harcèle et la suit sans qu’elle puisse le voir. Elle comprend alors qu’il a trouvé un moyen de se rendre invisible, et de l’épier nuit et jour. Pour commencer.

Le comment importe peu. Mieux vaut d’ailleurs ne pas trop s’y attarder, parce que la psychologie du compagnon violent et l’utilisation des nouvelles technologies flirtent dangereusement avec la caricature la plus facile. Faire dudit compagnon un homme richissime et d’une froideur compulsive (encore plus invisible quand on le voit à l’écran) trouble par ailleurs le discours, transformant ce qui aurait pu être un film anti-violences faites aux femmes assez fort en un film d’épouvante efficace, mais plus classique.

Mais il y a Elisabeth Moss, l’indispensable interprète de Top of the Lake, décidément grande actrice. Elle est de toutes les scènes, presque de tous les plans, et c’est le plus grand atout de ce film qui joue plutôt habilement sur la menace invisible, la plupart du temps avec la seule force de la suggestion, n’utilisant les effets spéciaux qu’avec une grande parcimonie. Ils n’en sont que plus impressionnants.

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